Des Ames grises (sondées avec Yves Angelo) à Tous les Soleils (aux lumineux fantômes), la différence de ton est patente et de sa Lorraine natale à l’Alsace, son éternelle rivale, le dépaysement considérable. Mais il y a longtemps que Philippe Claudel les aime, toutes les deux, et, de sœurs de sang (Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein) en dames de cœur (Clotilde Courau et Anouk Aimée), cela se voit, cela s’entend. Allegro vivace ma non troppo.
A peine sortis du rêve hollywoodien rétrospectif de Sherlock Holmes 2 (façon Guy Ritchie), les Strasbourgeois, par la magie du Septième Art, seront bien entendu une nouvelle fois à la fête, tant leur métropole, que sillonne au(x) soleil(s) le folâtre Solex d’un professeur de musique baroque très « morettien », leur paraîtra comme enchantée par un grand (et non moins accessible) auteur dont la promesse faite à l’UGC CinéCité, en 2008, lors de sa précédente avant-première, d’y planter un beau jour sa caméra, s’avère ainsi tenue de magnifique façon. Moins égarés que Dans la ville de Sylvia (2008) et en meilleure compagnie qu’avec L’Inconnu de Strasbourg (1998), ils se laisseront d’emblée porter, puis charmer, par cette volubile chronique du manque et du trop-plein, de l’esquive et de l’engagement, du temps et de l’instant, se délectant aussi à reconnaître entre autres lieux familiers, sous la belle lumière du chef opérateur Denis Lenoir (venu en renfort de Los Angeles), le Palais Universitaire ou la Petite France, une winstub (Zuem Strissel) et une boutique de spiritueux (Au Millésime), la plupart des quais (Lezay Marnésia, Bateliers, Kléber), les rues des Juifs, de l’Epine, du Chapon et du Général Gouraud. Contre toute attente, tarentelles et bretzels font là aussi bon ménage qu’entrechoqués dans leur étroit appartement bohème (en fait, un décor parisien), son sympathique trio italien de petites solitudes dont la moins immature n’est pas celle qu’on croit : une ado gentiment rebelle de 15 ans (Lisa Cipriani, lancée dans Demandez la permission aux enfants), en quête d’amour pour elle et son géniteur, mais affligée au quotidien d’un tonton popote fou de sitcoms, révolutionnaire en robe de chambre (Neri Marcore, imitateur politique et vedette de la Rai 3, issu de l’imagerie des Vitelloni), et d’un papa poule vibrionnant, pétri d’abnégation maladroite (l’irrésistible Stefano Accorsi, que devraient pourtant flétrir barbe hirsute, lunettes d’écaille et casque vintage). C’est que le pauvre bougre, inconsciemment, s’interdit de s’épanouir depuis la mort accidentelle de sa jeune et blonde épouse (Fleur Lise Heuet, en spectral avatar vidéo d’Ann Harding dans Peter Ibbetson, l’explicite référence clé de ce film de conteur cinéphile). Il ne vit plus pour lui, mais seulement pour les autres (proches abrasifs, étudiants abusifs et patients d’une unité de soins palliatifs, auxquels il apporte, en lisant, le « lien des mots ») ; il s’oublie, se fuit en eux, se donne, compatit pour ne pas se perdre, ni s’effondrer ; chante, danse et vocifère pour vaincre ce « silence d’amour » qui, emprunté à une vieille ritournelle napolitaine d’Alfio Antico, avait d’ailleurs offert son titre initial moins optimiste à Tous les Soleils (autocitation dissimulée d’un poème de son réalisateur). Qu’on ne confonde donc pas celui-ci, mieux accordé à la tonalité d’ensemble, malgré les larmes qu’inévitablement on y versera, avec ses homonymes, le tube de Michel Polnareff (autre répertoire) ou le roman de Bertrand Visage (Prix Femina 1984) ! Et qu’on s’attende, sous la légèreté trompeuse de cette comédie douce-amère qu’aurait pu signer Dino Risi, à ce qu’une Anouk Aimée en transit nous y rappelle que « les morts sont plus forts que nous parce qu’ils ont toute la vie devant eux » et qu’il n’y a point de sérénité possible sans élan, ni détachement. Revenu le 15 février 2011 aux cinémas UGC et Star Saint-Exupéry de sa ville de tournage, soit un mois et demi avant la sortie nationale de son second opus cinématographique, Philippe Claudel retrouvait également là, outre quelques bons comédiens du cru (Aude Koegler, Marie Seux et Xavier Boulanger), son si touchant couple d’interprètes, la princesse Clotilde Courau et Stefano Accorsi, venu en famille avec Laetitia Casta et sa fille aînée Sahteene (toutes deux fort discrètes). Paroles éparses de Strasbourgeois d’adoption : Philippe Claudel : A l’origine de Tous les Soleils, j’invoquerai deux facteurs : la volonté de tourner à Strasbourg, une très belle ville qui n’avait jamais été, selon moi, vraiment valorisée dans la durée au cinéma, et l’envie de lui inventer une histoire qui rende compte de ce carrefour de l’Europe. Très vite, elle m’a ainsi menée sur les traces de l’Italie, celle du Sud en particulier, à travers le leitmotiv fondateur de la tarentelle. Cette musique, née dans les Pouilles au XVIe siècle, était censée soulager la piqûre de la tarentule qui provoquait soit l’apathie et l’hébétude, soit l’excitation et les accès de folie. Tantôt vive, tantôt balsamique, elle pouvait au choix calmer ou réveiller. Or on m’en avait offert un album, enregistré par Christina Pluhar, et j’y trouve tant de plaisir que je brûlais de le faire découvrir au plus grand nombre. Après mon premier film (Il y a longtemps que je t’aime, 2008), un drame, je voulais aussi m’essayer au registre de la comédie, tout en y ménageant des moments d’émotion et de gravité. Le personnage principal qu’interprète Stefano (Accorsi) garantit à lui seul cette double polarité : fantasque, drolatique et lumineux avec son frère, il se révèle également hanté par un passé tragique et assez mystérieux qui toujours le renvoie à la perte de sa femme. Il a été comme piqué par ce deuil et, tout en enseignant son contrepoison musical, se trouve dans l’incapacité d’en guérir. Tous les Soleils, c’est, au fond, un film de fantômes : il s’inscrit dans ce genre que j’adore depuis toujours. L’histoire du cinéma lui doit nombre de moments forts, parmi lesquels la séquence finale du chef d’œuvre onirique de Henry Hathaway, Peter Ibbetson (1935), que je fais entendre et où, après sa mort, Ann Harding vient trouver Gary Cooper, seul sur un banc, pour lui dire que l’au-delà existe, magnifique, et qu’ils s’y rejoindront. Je tenais pour ma part à signifier, en quelques scènes plus légères que dramatiques, combien les autres restent présents, même lorsqu’ils sont absents, et de quelle façon ils peuvent nous reconstruire. La compagnie des amis, en revanche, relève du fantasme. Depuis plusieurs années, mon rythme de travail m’a éloigné de chez moi, asséchant malheureusement ma vie amicale que je recrée à l’écran et en marge des prises. Avec tous les acteurs, avant le tournage, nous avions ainsi passé une journée de détente, entre Strasbourg et le col du Donon, pour tenter de former un vrai groupe de copains. Il ne me restait plus alors, ensuite, qu’à capter une ambiance préexistante. Le film démontre d’ailleurs qu’Internet ne suffit pas à établir une relation authentique, au contraire : il détruit plus de couples qu’il ne paraît en avoir construit. Comme dans les grandes comédies italiennes d’antan, je souhaitais enfin mêler tous les rires, énormes ou subtils, à des moments de crise ou d’abattement, avec, en prime, un ingrédient de critique sociale et politique. Ce qui m’intéresse, c’est de me frotter à des langages cinématographiques différents. Stefano Accorsi : Nous avons procédé ensemble, en amont, à de multiples lectures du scénario, mais en nous arrêtant à des détails qui nous permettaient de parler plus avant de mon personnage, de ses diverses facettes ou des situations qui le concernaient. Nous nourrissions ainsi le futur travail de plateau. L’humeur du film, je la portais toutefois dans mes gênes, entre clownerie et mélancolie, jusqu’à la nostalgie. Au départ, Philippe (Claudel) s’était figuré un veuf de cinquante-cinq ans, estimant vite plus intéressant de le rapprocher de l’âge de sa fille, de suggérer qu’il n’avait pas encore fait sa vie. Il m’a alors contacté et nous nous sommes d’emblée bien entendus. Paradoxalement pourtant, un gros problème le préoccupait : j’étais trop jeune à ses yeux ! Il m’a donc demandé de me laisser pousser la barbe et, un mois plus tard, sans autre maquillage, je devenais convaincant… Parler, puis danser la tarentelle sur un bureau devant un amphithéâtre rempli de vrais étudiants, et ce dès le tout premier jour de tournage, cela aide après à mettre les choses en place ! Le personnage doit se construire et s’affiner dans l’instant, face à une cinquantaine de témoins, alors il faut foncer, et c’est plus difficile que sur un Solex dans les rues de Strasbourg… Clotilde Courau : Mon arrivée tardive dans le dernier tiers de l’histoire ne m’a posé aucun problème d’intégration. J’ai essayé, en très peu de scènes, d’incarner un personnage bien abîmé qui se dirige vers la lumière et de l’habiter entièrement. Dans l’idée de Philippe, il fallait qu’Anouk (Aimée), ma mère dans le film, disparaisse, pour que j’apparaisse et qu’il puisse y avoir transmission. Elles ont là, après tout, un homme en commun, alors que c’est un autre homme qui les avait séparées. Grâce à l’unique séquence qui nous réunit à distance, j’ai quand même passé trois jours de tournage à ses côtés dans une petite église de Lorraine et ce fut une vraie rencontre entre nous. Anouk est une belle personne et j’espère un jour avoir la chance de travailler avec elle. Mes trois partenaires de jeu chantent dans le film et j’aurais aussi pu me sentir frustrée de ne pas y donner de la voix, mais la question pour moi ne s’est pas posée un seul instant ! Je travaillais alors sur mes chansons de meneuse de revue au Crazy Horse et je ne suis pas une fille du regret.
C’est sous le soleil exactement, un persistant soleil strasbourgeois qui lui donnait donc raison, que Philippe Claudel, chantre lorrain de notre ville au cinéma, par deux fois nous revint en septembre : pour promouvoir le 10, au Virgin, la sortie DVD de sa fraternelle comédie italienne des bords de l’Ill, mais aussi le 2I, à la Médiathèque Malraux, pour causer problèmes d’adaptation dans le cadre choisi des Bibliothèques idéales. Là, un second rendez-vous avec l’écrivain réalisateur nous permit d’éclairer, à bonne distance, quelques zones d’ombre laissées chez nous par Tous ses Soleils...
Le mythe d’Orphée serait-il vraiment sans surprise ? "Les morts ne peuvent jamais rejoindre les vivants", assène une fillette asiatique au personnage de Stefano Accorsi, ce lecteur veuf et bénévole qui tisse avec elle, dans un hôpital de Strasbourg, "le lien des mots". Sauf par la magie du 7e Art, et l’auteur de Il y a longtemps que je t’aime (2 Césars en 2009) en fait la belle, l’éclatante, la bouleversante démonstration. Or souvenons-nous, s’il se peut : d’autres films que son 2e opus cinématographique tentèrent avant lui de mettre à l’honneur, de bout en bout, notre capitale européenne. Et citons, dans des registres fort variés, L’Auvergnat et l’autobus (alias Fernand Raynaud, en 1969), Retenez-moi ou je fais un malheur (en 1983, avec Jerry Lewis !), L’Inconnu de Strasbourg (1998), Les Passagers (1999) ou Dans la Ville de Sylvia (2008). Mais, en dépit de ses quelques "délocalisations" (une maison vosgienne, une église mosellane, un appartement de studio parisien), aucun d’entre eux ne nous avait tant aimés, ni jusqu’alors rencontré un tel succès critique et public.
A l’affiche ici une bonne vingtaine de semaines, Tous les Soleils poursuivent désormais leur ineffable rayonnement dans l’intimité de nos salons, agrémentés d’une heure de bonus incluant un long entretien avec le cinéaste, six scènes coupées et commentées, un faux "soap opera" (ces Amours cliniques dont se repaît le frère rebelle et pantouflard campé par Neri Marcorè) et un facétieux clip musical collectif (Kilo d’oranges). De quoi regagner vingt-cinq minutes de temps enfoui, chanter la tarentelle et garder le sourire tout en ressortant ses mouchoirs, fantômes obligent. La parole pour l’heure à Philippe Claudel :
"Silence d’amour" (titre initial de Tous les Soleils), la romance d’Alfio Antico qui clôt le film, a été enregistré un soir par Stefano Accorsi et l’Arpeggiata dans une église parisienne, en près de vingt prises raccordées pour le résultat final : la séance ne se prêtait donc pas à des prises de vues pour les bonus. Il n’y aura pas non plus, à mon grand regret, de disque intégral de la B.O.F. dans la mesure où nous avions déjà assez peiné pour nous mettre d’accord avec Christina Pluhar et son avocate sur l’utilisation de son CD La Tarantella, paru en 2002 et à la base de mon projet. Cela me semble d’ailleurs d’autant plus curieux qu’elles en ont, au bout du compte, largement bénéficié, leur album plutôt confidentiel s’étant revendu à très grande échelle ! Je n’avais quant à moi pas prévu d’écrire deux chansonnettes pour le film et je n’y ai, là encore, consenti que pour mettre fin à des négociations juridiques et financières sur les droits très élevés de celles que je voulais d’abord utiliser. Je ne les nommerai pas, mais comme elles étaient d’un niveau affligeant, j’ai pensé que je n’aurai aucun mal à ne pas le relever ! Ce fut même un régal, quoique pour moi sans lendemain.
Avec Strasbourg, je ne voulais pas tomber dans la carte postale. J’ai dès lors évacué des endroits trop symboliques, trop pittoresques ou trop difficiles à bloquer pour privilégier l’italianité de la ville, ses teintes toscanes. J’aime réaliser des objets à plusieurs entrées, lisibles à différents degrés. Ainsi ai-je toujours été fasciné par l’esthétique baroque, en architecture comme en littérature. Je suis attiré par l’ornement, le trompe-l’œil, le mystère de la mort. Mais j’avais surtout plaisir ici à partager avec le plus grand public possible, grâce au cinéma, un objet musical peu connu, la tarentelle, emblématique de ce mouvement. De mai à septembre, je demeure un fidèle du petit festival de musique baroque de Froville, non loin de chez moi, et qui ne concerne qu’un nombre très réduit d’amateurs, même s’il accueille des artistes de la trempe de Gustav Leonhardt, James Bowman ou Philippe Jaroussky. J’ai donc choisi d’y tourner la dernière scène, au Prieuré Notre-Dame, pour en faire une chambre d’écho. Cette église romane du XIe siècle a été magnifiquement remise en lumière par le travail acharné d’une association de bénévoles et chaque fois que je m’y rends, le lieu m’enchante autant que la musique telle qu’elle y résonne, devant un public qui communie avec eux, au sens laïque du terme. Et puis il y a autre chose : comme à Epfig, où j’ai filmé la scène de l’enterrement d’Anouk Aimée, la nef est encore entourée par le cimetière. Or j’avais besoin de cette présence accrue des disparus, d’un lieu de passage des fantômes vers la vie pour terminer mon voyage cinématographique. Les gens qui ont compté dans ma propre existence et qui ne sont plus là, je ne les vois plus physiquement, bien entendu, puisqu’ils sont sous terre ou incinérés, mais je me sens entouré par eux : ils conservent dans ma perception une très vive prégnance. Il en va de même pour Alessandro (Stefano Accorsi) lors du concert final, la séquence figurant aussi une radiographie de son paysage mental. Quant à ses deux interlocutrices mineures, sa fille adolescente et la petite patiente, elles lui communiquent une vision plus juste, plus brutale de la réalité : elles sont là pour lui dire cette évidence nécessaire qu’il se refusait sans elles de considérer. Qui nous fait ce que nous sommes ? Des vivants, mais également des absents.
Ce n’est jamais simple de couper des scènes au montage, mais celles qui figurent parmi les bonus, je m’y suis résolu sans regret. Je souhaitais en effet privilégier le rythme du film car plus une comédie est courte, mieux elle s’en porte. Mon véritable regret, c’est plutôt de les avoir tournées, d’y avoir perdu du temps, de l’énergie et d’y avoir fait jouer des comédiens qui ne se retrouvent plus à l’écran (dont Roland Kieffer). Pour moi, ces suppressions tardives sont le signe qu’on n’a pas assez travaillé son scénario. Je regarde peu, par ailleurs, les "making of" : en général, ils me consternent parce qu’ils n’ont aucun intérêt et relèvent souvent du bêtisier. Il faut, chez leur réalisateur, une ligne directrice, un réel engagement pour qu’ils puissent devenir intéressants. Je ne sacrifie pas non plus au commentaire audio que je trouve ennuyeux. J’ai en revanche beaucoup peint par le passé et, même si le temps me manque aujourd’hui pour m’adonner à cette passion, je crayonne encore. Comme Luigi (Neri Marcorè), je ne cesse de reprendre le thème de la pomme et du téléphone portable, à la façon d’une nature morte hollandaise. J’en ai donc confié des modèles au peintre Jean-Paul Letellier pour le tournage. Mon rapport au portable s’avère néanmoins fort addictif et je m’en désole. Je le perds régulièrement en autant d’actes manqués, mais, en toute honnêteté, je ne m’interdis de ne pas en racheter que pour deux personnes : ma femme et ma fille.
Tous les Soleils a déjà été projeté à Rome cet été, mais il va prochainement sortir sur grand écran un peu partout en Italie. Mon premier film avait bien marché là-bas et nous avons été assez surpris par les difficultés rencontrées avec celui-ci : nombreux sont les Italiens qui ne voulaient même pas le coproduire, embarrassés qu’ils étaient, malgré son aspect léger et farcesque, par le discours « anti-berlusconien » qui y fleurit. Le vrai problème me paraît pourtant résider dans son doublage puisque sa pleine saveur ne saurait être préservée que si le protagoniste ne parle qu’occasionnellement sa langue natale, or on double tout chez eux…
Avec le recul, je crois avoir fait, au-delà de leurs points communs, un mélodrame et un "feelgood movie" ; le troisième sera donc à nouveau très différent. Je rêverais, moi, de réaliser un film ultra violent, mais alors sur un scénario produit par un seul neurone : mettons, l’histoire d’un type avec une batte de base-ball qui dégomme tout sur son passage… Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer des genres variés au cinéma, bien plus qu’en littérature, et de me poser, par leur biais, des questions de mise en scène. Kafka apparaît à travers mes images, mais il me tombe des mains. Il partage avec Proust et Rimbaud le faux avantage d’être connu de gens fort nombreux qui ne les ont jamais vraiment lus. Ce sont, selon moi, des écrivains victimes de leur aura. En ce sens, L’Enquête, mon dernier roman, est à la fois kafkaïen et très cinématographique par ses cadrages ou ses trajectoires de personnages. En l’écrivant, j’ai donc ressenti, pour la première fois, la tentation d’adapter l’un de mes livres à l’écran. Mais le film devrait être jusqu’au-boutiste, plus proche de l’animation que de la fiction incarnée. J’étais hier encore à New York et, avec mon ami le compositeur Alexandre Desplat, nous caressons toujours le rêve de monter un "musical". J’y ai pris goût sur le tard grâce à ma fille qui, petite, regardait en boucle les films de Jacques Demy. Les Demoiselles de Rochefort, que j’ai vu des dizaines de fois, m’enchante, mais l’engouement actuel des artistes français pour ce genre érode mon désir en la matière. J’ai d’abord envie de clore ma trilogie de l’Est à Metz, une ville encore vierge face à l’objectif. Elle possède pourtant une architecture intéressante, une belle circulation et une ambiance très particulière que j’aspire à révéler ».