Deux longs métrages se sont, à juste titre, tout particulièrement distingués, l’hiver dernier (entre le 30 janvier et le 3 février 2013), lors du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer qui fêtait là, en frissonnant avec eux au plus haut niveau, son 20e anniversaire de survivance "bien arrosé" (sang … et pluie surtout, dixit Pierre Sachot, Président de l’Association Fantastic’Arts). Deux approches très différentes, voire antagonistes du genre, propres à en souligner, depuis le grand-guignol échevelé jusqu’à la poignante évanescence, l’extrême variété. Deux premiers films enfin qui logiquement se partagèrent, d’inéquitable mais assez pertinente façon, l’essentiel des trophées vosgiens : le Grand Prix, le Prix du Public (par avis à la sortie des salles) et celui du Jury Jeunes de Lorraine pour Mama ; le Prix du Jury ex aequo (avec Berberian Sound Studio de l’Anglais Peter Strickland, sorti le 3 avril) pour The End de Jorge Torregrossa, projeté non sans malice en "fin" de sélection.
Malgré l’audacieux et très beau discours de clôture du Président Christophe Lambert dont le cœur penchait, à mots couverts, pour le second, le premier disposait d’emblée d’un non négligeable avantage en nature : la venue sur l’estrade de son réalisateur Andrés Muschietti, espiègle, charismatique et aussi grand par la taille que par le talent, flanqué de sa sœur Barbara ("un cœur à prendre", a-t-il cru devoir préciser), coscénariste et productrice du film, mais impuissante à compenser l’absence de "sa" star Jessica Chastain, alors en route pour l’Oscar (manqué de peu avec un non moins éprouvant Zero Dark Thirty ). Autres atouts, plus grand public cette fois : son cortège d’effets spéciaux fort efficaces (accrus par l’ingénieuse alternance des ralentis et des accélérés), les envoûtantes nappes de musique tissées, dès le générique (à base de dessins de marmots), par son compositeur Fernando Velazquez et l’intelligible (quoique funèbre et follement poétique) résolution de son intrigue, quand le concurrent espagnol privilégiait au contraire l’ellipse et l’incertitude.
Comment ne pas se laisser attirer, en outre, par le parrainage toujours prometteur du cinéaste mexicain Guillermo del Toro, expert ès cauchemars infantiles, dont le Jury géromois de Norman Jewison distingua L’Echine du Diable en 2002 ? Car ce n’est pas pour de simples raisons commerciales que son nom surplombe l’obscure affiche de Mama, authentique conte macabre revendiquant d’entrée de jeu la formule magique du "Once upon a time" ("Il était une fois") dans un univers qui oscille entre merveilleux et modernité (le krach boursier d’octobre 2008, enduré depuis Richmond) et s’entortille autour de deux sœurs fraîchement orphelines, "enfants sauvages" recluses cinq ans durant au fond d’une cabane abandonnée, puis adoptées et tant bien que mal rééduquées par leur oncle (le Danois Nikolaj Coster-Waldau, rebelle de l’ombre dans Oblivion) et sa compagne stérile, guitariste de punk rock (une Jessica Chastain brune, tatouée et quasi méconnaissable en avatar gothique de Lisbeth Salander !).
Tourmenté et mal assorti, ce quatuor familial deviendra bientôt la cible des assauts domestiques les plus hallucinants du personnage éponyme, sortie des bois dans le sillage de ses deux petites "protégées" (dont elle avait jadis emporté le père, devenu suicidaire et meurtrier). Une monstrueuse Mama, certes, parfois trop "attendue" dans ses répétitives incursions de passe-muraille, mais qui aura eu l’insigne mérite de ne ressembler à aucune autre et de s’inscrire pour toujours dans les mémoires des amateurs : tour à tour effroyable et fascinante, presque attendrissante au cours du grandiose dernier quart d’heure, elle ne déparerait pas chez Tim Burton si l’on considère sa maigreur arachnéenne, sa flottaison spectrale ou ses longs cheveux noirs, épars et hirsutes. Sorcière ? Succube ? Fantôme ou fantasme ? Elle est en somme un peu tout cela et bien davantage, d’autant que son existence passée nous ramène au XIXe siècle, naturellement, et que deux interprètes la (dé)composent (le corps de Javier Botet, échappé de REC 3, et la voix de Jane Moffat).
Nous nous garderons cependant de lever le voile à l’excès sur les méandres et les contorsions physiques ou scénaristiques d’une histoire dont on s’étonnera seulement qu’elle puisse constituer, sur une heure quarante, la vigoureuse extension d’un court métrage de trois minutes seulement, livré sous le même titre en 2008. Leur maître d’œuvre eut beau ironiser sur la brièveté de celui-ci qui en aurait, selon lui, conditionné seule l’excellent accueil, la maîtrise précoce de son art s’impose avec éclat dès la séquence de l’accident de voiture lancée à toute allure sur une route enneigée, conçue tel un éblouissant ballet de dérapages et de tête-à-queue, digne de la fatale embardée ralentie des Choses de la vie. Avec Mama, à l’évidence, un immense cinéaste argentin est né, et nous brûlons déjà de suivre Andrés Muschietti, par ailleurs auteur dramatique et story-boarder, en d’autres domaines hantés que son chalet Helvetia, mieux conçu pour les "vrais" Hansel et Gretel ( pas les Witch Hunters !) que pour les suppôts d’Evil Dead.
Et si, à Gérardmer, nous avons, pour notre part, préféré l’apocalypse en creux de The End, son soleil indifférent n'amoindrit point la nuit contagieuse du grand gagnant. "Un fantôme est une émotion contrariée tendant à se répéter sans cesse jusqu’à ce que l’erreur soit réparée", y proclame-t-on fort justement. Face à certains d’entre eux, on se prendrait presque à souhaiter qu’elle ne le soit jamais.
Maxime Stintzy