C’est avec une vive curiosité que près d’un mois avant les autres cinéphiles français, lors de la soirée qui lui fut dédiée, le samedi 28 janvier, par le 24e Festival du Film Fantastique de Gérardmer, les fidèles admirateurs de Kiyoshi Kurosawa avaient attendu le dévoilement du Secret de la chambre noire, pour la 1ère fois inscrit chez nous, dans notre propre langue. Las ! Ce 47e opus aux Japonais absents se « révéla » en fait bien embarrassant. Pris d’assaut, l’Espace LAC le fut peut-être d’autant plus vite que, dérogeant à une longue tradition, les organisateurs n’avaient cette fois prévu aucune rencontre publique avec leur invité d’honneur dans la si adéquate Salle des Mariages de la Mairie. Le passeur nippon qui, par le biais idéal d’Un Certain Regard, avait mené la Croisette en 2015 Vers l’Autre Rive (y gagnant un Prix de la Mise en Scène incontesté), s’était cependant aventuré ce jour-là, avec le soleil levé de midi, sur la glace épaisse de celles de la Perle des Vosges. Un photo-call s’y était tenu avant une assez surréaliste réception mondaine au-dessus du gouffre celé, et fort de cette expérience pour lui aussi mémorable qu’inédite, le prestigieux professeur de cinéma tokyoïte (né à Kobé en 1955) en profita donc pour filer la métaphore. Les 24 cm d’épaisseur gelée qui l’avaient un peu plus tôt préservé d’un fatal engloutissement l’étonnèrent d’abord par leur stabilité, l’exposant même à la tentation de marcher jusqu’au milieu du site pour en tester la périlleuse limite de fracture. S’il confessa ne pas avoir eu le courage d’y succomber, il vit au moins dans cette nouvelle épiphanie-là le troublant reflet de sa démarche cinématographique et nous assura qu’à mi-chemin de son parcours incertain, il espérait encore pouvoir faire « le tour du lac ».Or une chose semble sûre : sans lien de parenté avec son défunt homonyme Akira (l’illustre réalisateur des Sept Samouraïs), Kiyoshi Kurosawa se sera fait un prénom par son talent fécond et singulier, souvent dérangeant (de l’érotisme à la terreur pure), comme en attestèrent à Gérardmer les joyaux noirs rétrospectivement proposés (au même nombre de sept !) par un festival qui l’avait jusqu’à présent toujours ignoré. Dans son éloquent hommage de circonstance, le fidèle Jean-François Rauger (directeur de programmation à la Cinémathèque de Paris) rappela ainsi que « la peur est sans doute ce qui caractérise le plus son oeuvre, faisant de celle-ci l’exemple parfait d’un art raffiné de l’angoisse » et qu’« il règne dans ses films », fort à propos, « la conscience vertigineuse d’une imminence de la fin du monde ». Puissent les plus béotiens des spectateurs présents en avoir été assez persuadés ou s’être endormis après la première heure du Secret de la chambre noire (qui, valorisant la lenteur, en compte plus de deux, hélas !) pour ne point retirer à son aimable réalisateur toute leur estime ! Malgré la terne et peu convaincante omniprésence de Tahar Rahim (un Jean Malassis aux inflexions arabes ?), l’argument original et fascinant de cette histoire de spectres féminins, autant que son entrée en matière subtile et délicieusement énigmatique, à l’ancienne, pouvait d’abord faire illusion. Seul candidat retenu pour assister un ex-photographe de mode veuf et rétrograde (Olivier Gourmet, en perte de justesse), le jeune anti-héros pénètre peu à peu l’univers morose et figé du vieux manoir de Genneviliers où il vit et travaille en reclus avec sa fille unique et patient modèle, entre un vaste studio de pose souterrain et une serre où sa femme s’est pendue, torturée par ses exigences. L’ombrageux artiste y préserve l’art exclusif du Daguerrotype (en version anglaise), un procédé mis au point en 1839 auquel Balzac (qui s’y soumit pour un fameux portrait de biais) prêtait un caractère magique, redoutant qu’il le prive de son enveloppe charnelle. La « camera oscura » géante du titre, posée à terre, s’avère là indissociable de l’affreux appareillage métallique qui lui fait face, garant de la longue immobilité forcée de sa jeune héritière en robe d’époque. Pour la désincarner, Constance Rousseau (du Jury CM) est diaphane à souhait, mais souffre par contraste de prunelles trop mobiles qui rendent tout gros plan insoutenable. Elle n’en rappelle pas moins Edith Scob, l’égérie de Georges Franju auquel Kurosawa emprunte, sans l’égaler, l’envoûtante atmosphère des Yeux sans visage, ruinée ensuite par trop de triviales incohérences. La musique de Grégoire Hetzel reste belle ; pas celle de la langue qu’un Japonais ne saurait précisément percevoir. « Les fantômes permettent de rendre le passé visible dans le présent », dit-il. N’en subsistent ici que d’affligeants pointillés.