L’avide Adèle ( la vide Adèle ?)
Le mystère (de l’amour et des êtres) procède, au cinéma comme dans la vie, d’un art consommé (et non point consumériste !) de la suggestion dont Abdellatif Kechiche semble vouloir s’obstiner à tout ignorer ; quant au marivaudage dont il persiste à revendiquer l’héritage, il est d’abord feintes subtiles ("esquive" !) et langage choisi, finement articulé, aux antipodes de ces indigents et grossiers déballages de préau où, ravalés à la vie des bêtes (ou peu s’en faut), on "nique" comme on "broute" (sic). Le maître queux de La Graine et le Mulet (non moins indigestes !), qui se complaît dans la lente et peu ragoûtante dévoration, filme à vrai dire ses multiples repas de spaghetti avec la même indécente proximité que ses interminables et répétitives scènes saphiques que rien ne distingue, hélas, de la plus crue et risible pornographie. Sa caméra, aussi obscène dans ses longues focales que le téléobjectif scrutateur d’un paparazzo, ne nous épargne ainsi rien des humeurs (larmes et morve mêlées) et des inconséquentes pulsions de ses nymphettes sans réelle épaisseur, à la diction par ailleurs trop souvent approximative. On ne perd au demeurant pas grand-chose à mal les entendre, tant l’insipide platitude des dialogues le dispute à la vacuité de leurs prétentions intellectuelles. Elles ont beau citer Sartre, Picasso, Klimt ou Schiele, n’est pas Eric Rohmer qui veut ! Sans la "valeur" militante ajoutée du lesbianisme, brandie en alibi douteux d’une lubricité qu’on devine toute hétérosexuelle, l’histoire serait d’une banalité à pleurer : un nouveau "jeu de l’amour et du hasard", certes, mais languissant et abâtardi, entre une institutrice en herbe obtuse, passablement inculte, un rien démago, et une jeune artiste peintre aussi volage que jalouse. Allez comprendre pourquoi la première cède aux avances du premier collègue venu (vite évacué par le scénario) et la seconde, si affranchie, se montre soudain à ce point intransigeante !... Les yeux de veau égaré d’Adèle Exarchopoulos et les variations capillaires de Léa Seydoux (un peu plus attrayante tout de même que sa partenaire) ne soulignent dès lors à chaque (gros) plan, près de trois heures durant, que cette prévisible évidence : en matière de bleu, celui que distille la Jasmine de Woody Allen (et de Cate Blanchett) se révèle beaucoup plus profond et poignant, sans une once de prétention. Alors la Palme ? Plutôt un tuba, pour ne pas étouffer ou pour respirer, s’il se peut, un air moins vicié.