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MA COMPAGNE DE NUIT-2010-
Nationalité : France
Durée : 1h40
Date de sortie en France : 23/03/2011
Genre : DRAME
Themes
Cancer
- cinéma français -
Employé(e)s de maison
- cinéma français -
Architectes
- cinéma français -
Réalisation : Isabelle BROCARD
Prise de vues : Jeanne LAPOIRIE
Musique : Manuel PESKINE
Distributeur : Zelig Films Distribution
Visa d'exp. : 123837
Résumé
Exerçant la profession d'architecte, Julia est heureuse de son travail et de son existence, hormis qu'elle souffre d'un cancer en phase terminale. Ne désirant aucune personne de son entourage proche, auprès d'elle durant cette période critique, elle engage la jeune Marine, comme aide ménagère.
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Evénement intime il y eut au St-Ex, le 10 mars : pour son tout premier passage d’ambassadrice du 7e Art en notre ville, Emmanuelle Béart fit le choix éloquent d’escorter "Ma Compagne de nuit", 1er long métrage radical et délibérément inconfortable, mais ni difficile, ni complaisant, d’Isabelle Brocard, ex-professeur de lettres certifiée déjà porteuse d’un court (depuis 1991) et d’un documentaire sur l’anorexie. Sa nouvelle vie, la jeune cinéaste aura eu l’audace de la commencer par la fin et d’en célébrer l’accouchement à l’envers, avec l’interprète de ses rêves.
Car du plan initial (périlleuse piscine) au moment ultime (apaisante baignoire), d’eau il sera beaucoup question, de fluidité, de reflets et donc, symboliquement, de liquide amniotique dans ce drame de l’abandon consenti, entre farouche vigueur et repli fœtal, silences diurnes et hurlements nocturnes, sournoises manipulations et gestes secourables. Amaigrie, traits tirés, peau granuleuse, cheveux très courts (chimiothérapie oblige), celle qui fut Manon des Sources nous saisit ici sans pathos en femme de tête vaincue par son corps que guette, de sursauts en effondrements, une issue certaine. Pour entamer la phase terminale de son cancer généralisé, elle engage à mille euros la semaine une solide et peu avenante lingère que campe, avec ce qu’il faut d’aplomb buté, d’attention et de sourde rébellion, Hafsia Herzi (infirmière en devenir avant de goûter la graine et le mulet). Dans son implacable et rugueuse linéarité, l’œuvre n’exclut toutefois pas le rire qui grince (emprunté à Zweig) et la grâce qui, elle aussi, parfois irradie. Autour de son trou noir bipolaire gravitent par ailleurs un frère pesant (Laurent Grevill), une fille volatile (Annabelle Hettmann), une douce voix des ondes (Bruno Todeschini), un docteur de miséricorde (Alain Cerrer, la révélation du film) et des parents fusionnels (Alexandra Stewart et Bernard Verley), tous au zénith de leur art.
Mais c’est aux deux visiteuses du Star, charmantes et fort loquaces, que nous laissons à présent la parole :
I. B. : La question du titre (et du choix de son adjectif possessif initial) est importante et complexe. Ma coscénariste Hélène Laurent et moi, nous avons peiné à en trouver un, puisqu’une quinzaine de possibilités ont été, en réalité, envisagées ! Il faut dire que le travail d’écriture, très documenté, s’est étalé sur dix ans…Ma Compagne de nuit devait d’abord rester un titre provisoire, mais je ne voulais en aucun cas du « la », que je trouvais trop « démonstratif ».S’il s’est finalement imposé, c’est que le point de vue de Marine (Hafsia Herzi) me paraît moins prédominant au final que dans le scénario : après la mort de Julia (Emmanuelle Béart), elle cesse d’exister elle aussi. Et puis compagne de nuit, toutes deux le sont, au fond, l’une pour l’autre !
E. B. : Cette histoire ne peut d’ailleurs se raconter qu’à deux. Marine et Julia n’y auraient, l’une sans l’autre, nulle raison d’exister. Il s’agit d’un corps à corps entre deux êtres : l’un qui s’en va et l’autre qui tente de le retenir le plus longtemps possible. Au-delà de leur combat de guerrières, il y a symbiose, transmission. Qui est la « compagne de nuit » de l’autre, en effet, mais qui est la mère, qui est la fille aussi ? Quel est l’étrange rapport qui se noue entre ces deux femmes que tout oppose ? Tout sauf la force, l’énergie, l’autonomie de pensée et donc une certaine forme de liberté : c’est pour cette raison-là, je crois, qu’elles se choisiront. Consciente de se trouver en échec thérapeutique, Julia s’avère en outre instinctivement attirée par la force que dégage Marine, dès le début du film, lors de son intervention d’urgence auprès de sa voisine d’hôpital. L’une demande, commande, mais l’autre reste. Au bout de leur échange mutuel, inscrit dans un temps déjà déterminé, il y a, derrière le cancer du sein (ce mal qui blesse la mère et la femme à la fois), quelque chose d’insaisissable : le mot « mort », si difficile à dire et pourtant profondément inscrit dans la vie. Marine aide Julia à opérer ce passage et quand Julia meurt, elle demeure quelque part en Marine ; elle s’est inscrite dans sa mémoire physique et psychique.
Nous sommes, Hafsia et moi, très telluriennes. Nous n’arrêtons pas tant que nous n’avons pas l’impression d’avoir obtenu ce que nous voulons. Nous sommes aussi assez solitaires. Nous n’avions pas besoin de parler, mais de récupérer. Nous nous isolions dans nos loges, ne nous rencontrant que sur le plateau. La tension qui y régnait, en raison du peu de temps et de moyens dont nous disposions, nous incitait à rester sérieuses et concentrées. Je ne me serais pas permis de rire entre les prises. Derrière ma porte, en revanche, il m’arrivait de me défouler, entourée d’une équipe plutôt atypique de techniciennes que je m’étais créée, et je ne rêvais que d’une chose : manger. Or on ne me servait que des graines pour m’empêcher de défaillir ! Je pesais 40 kilos, en ayant perdu dix très rapidement… Je me suis en effet astreinte à un régime assez violent, mais il fallait paraître crédible et faire oublier au public mes formes sensuelles. Ma curiosité l’emporte en pareil cas, car je ne connais aucun autre métier qui permette, valises faites, de plonger à chaque fois en terre étrangère et de s’y promener. En donnant vie à Julia, et seulement à ce moment-là, je me suis posé des questions sur sa virulence, sa dureté. Aborder chaque jour sans rien prévoir, voilà ce que je trouve fracassant et intéressant à la fois. Le matin, à peine sortie de la voiture, j’ai besoin d’être sur le terrain, de sentir où je suis, de toucher les objets et de voir mes partenaires. J’aimerais pouvoir me passer du temps de l’habillage et du maquillage, qui freine mon élan. Souvent, je choisis ensuite de m’accrocher aux indications du metteur en scène. Isabelle, quant à elle, provoque davantage l’imagination en allant jusqu’à dire : « Je ne sais pas. Ce n’est pas parce que je mets en scène que je dispose de toutes les réponses ». Je crois moins à la préparation intellectuelle du rôle qu’à sa mise en situation ; j’ai ainsi peu à peu découvert en Julia une femme de pouvoir qui a sans doute tout mis en œuvre pour garantir son autonomie. Il me venait cependant de grandes bouffées d’émotion lors des visites de mon médecin accompagnant, joué par Alain Cerrer. Dès qu’il arrivait, je me sentais rassurée, même s’il était hors de question que je m’identifie à mon rôle. En vingt-cinq ans de carrière, cela m’est arrivé deux fois et j’en ai souffert. J’ai donc appris à établir une juste distance entre eux et moi.
Je possède d’ailleurs une drôle de nature qui me rend absolument monstrueuse : j’ai l’art ou le don d’oublier le mal qu’on m’a fait et s’il y a eu des moments difficiles sur le tournage, je ne m’en souviens plus. Julia m’a marquée, mais ne m’a pas détruite. Et ce que j’aime bien dans le film d’Isabelle, c’est qu’on n’en fait pas un personnage extrêmement sympathique, idéalisé du seul fait qu’il souffre d’un cancer. Il m’a surtout permis de rencontrer, à Villejuif, des gens du personnel médical qui font un travail admirable quand on leur en donne les moyens (de moins en moins, hélas !). Le flottement, je l’ai éprouvé après, lorsque je suis revenue à ma vie avec ce corps-là et que, dans son état, il ne me servait plus à rien. Enchaîner avec les répétitions d’une pièce de Camus m’a heureusement permis de retrouver la nécessité de manger. Mon tempérament m’incite à donner des coups de pied, où que je me trouve ; à ne jamais me laisser enfermer dans un genre ou un registre, à parler ou à m’exprimer quand l’envie m’en prend. Ce n’est pas du courage, non, je ne sais pas faire autrement ! J’ai toujours eu la prétention, l’impression d’être libre. Or le métier d’actrice m’aide à mieux ouvrir les yeux sur le monde, à aiguiser ma conscience ; il fait de moi, en même temps, un témoin responsable de la vie.
I.B. : Dans « fin de vie », d’ailleurs, il y a encore le mot « vie ». En abordant cette étape, je voulais raconter une relation qui ne soit ni amoureuse, ni familiale, et montrer que le cinéma peut aussi parler d’une aventure humaine de l’intime. Ainsi les parents de Julia avaient-ils plus de dialogues dans le scénario, mais ils m’ont paru, au cours des prises, trop explicites, psychologisants et redondants, presque trop épris l’un de l’autre : ils expliquaient, en quelque sorte, ce qu’on voyait. Je les ai donc dépossédés de la plupart de leurs répliques pour qu’on ne les juge pas ; paradoxalement, pour les faire davantage exister. La première composante qui s’en va, au tournage, ce sont en effet les paroles. Plus on approche du silence, plus il se passe autre chose.