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SAINT LAURENT-2014-
Nationalité : France
Durée : 2h25
Date de sortie en France : 24/09/2014
Genre : BIOPIC
Réalisation : Bertrand BONELLO
Prise de vues : Josée DESHAIES
Musique : Bertrand BONELLO
Distributeur : EuropaCorp Distribution / Orange Studio
Visa d'exp. : 136432
Résumé
"La rencontre de l'un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre.
Aucun des deux n'en sortira finalement intact"
Source : Matériel de presse
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Pléonasme ou paradoxe ? Des effets de mode il y en a dans ce second portrait résolument hanté – et non « homologué » cette fois – du couturier Yves Saint Laurent (1936-2008), saisi en glorieux « damné » (viscontien) du révolu déjà décadent et de la spectrale permanence : le refus de la chronologie (bousculée à loisir entre l’enfance empreinte de gravité et l’immature agonie), l’emploi ponctuel du split screen depuis peu réactivé, la complaisante nudité frontale (qui ferait presque de l’étalon Ulliel, aussi féminisé soit-il, un sérieux rival pour Rocco Siffredi), les interminables scènes de clubbing ou encore le très éclectique patchwork d’emprunts musicaux qui mêle Jay Hawkins à la Callas, le Velvet Underground au Bel Canto de Puccini et Giordano. Loin d’indisposer, pourtant, ils trouvent leur pleine légitimité dans l’œuvre d’art libre et hautaine ourdie d’abord, puis ajustée de main de maître par Bertrand Bonello, contribuant même à son étrange et vénéneux pouvoir de fascination. Une datation claire en surimpression nous préserve en effet de tout excès d’égarement ; le choix des airs nous transporte là où il le faut, quand il le faut ; le vif morcellement de l’écran, lors du défilé d’adieu, s’apparente à du Mondrian (ultime acquisition de son ordonnateur) ; la sensualité trouble inhérente au personnage et à son petit monde d’esthètes en perdition nous enveloppe d’un habile maillage de sidérantes épiphanies successives. Pas plus que l’illustre fêtard affalé, le spectateur n’oubliera ainsi les premières apparitions noctambules de l’emblématique mannequin Betty Catroux, sa « sœur jumelle » (sic), en piste Chez Régine, ni de Jacques de Bascher, dandy délétère emprunté à Karl Lagerfeld. Si ce dernier brille par son absence à l’image (dans le Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, c’est Nikolaï Kinski, fils de Klaus, qui lui prêtait son accent et son ténébreux mystère), Louis Garrel , lascif, moustachu et gominé, campe son amant avec un aplomb très wildien, façon Dorian Gray. Mais, au nombre somme toute restreint des ensorcelants intimes du créateur, la vraie révélation n’en demeure pas moins Aymeline Valade (vue seulement dans Riviera d’Anne Villacèque, il y a près de dix ans !), dont la blondeur secouée de liane un peu rêche supplante la ronde excentricité baba de Léa Seydoux, en charge de l’égérie Loulou de la Falaise. Parfaites dames de cœur l’une et l’autre, elles existent ici beaucoup mieux que Marie de Villepin et Laura Smet, qu’on se remémore à peine sous les oripeaux précédents des mêmes modèles d’exposition.Nous n’en dirons pas autant, hélas, de l’indispensable Pierre Bergé de Jérémie Rénier. Affligé sans doute d’une teinture trop voyante et d’une ressemblance très approximative avec l’homme d’affaires, l’acteur, loin de renouveler le stupéfiant miracle mimétique de Cloclo, manque d’épaisseur et d’entregent, de cette autorité naturelle, de ce stoïcisme inquiet et meurtri qu’avait su si bien distiller Guillaume Gallienne avant lui. Le point de vue a certes basculé, contournant sans vergogne (besoin de liberté oblige) l’irascible gardien du temple, narrateur de la version décrétée « officielle », au bénéfice exclusif de l’artiste, de ses visions (jusqu’aux hallucinations serpentines de sa toxicomanie, proches de celles d’Yves Montand alité en plein Cercle rouge), de ses joies passagères et de ses lancinants tourments. Nulle idéalisation du sujet, toutefois, pas plus qu’un quelconque souci d’exhaustivité, et en cela les deux films quasi concomitants se rejoignent, dans les hauts comme dans les bas d’une trajectoire bornée ou presque à ses deux versants les plus abrupts, de 1967 à 1976 – chiffres en eux-mêmes révélateurs d’une fort symbolique inversion. Face aux envoûtants vertiges de l’authentique chef d’œuvre de Bertrand Bonello, il convient d’ailleurs aujourd’hui de ne point mésestimer, ni occulter les mérites du meilleur film de Jalil Lespert, cinéaste adoubé à juste titre, quoique plus méticuleux et didactique que possédé par les beaux excès de fièvre propres à Saint Laurent. L’audacieux réalisateur de L’Apollonide et du Pornographe (qui laissaient craindre à tort un surcroît de voyeurisme) n’omet pas, au demeurant, le travail ingrat, souvent tendu, des petites mains (tandis que résonnent, tard le matin, les vocalises lyriques dans les appartements de leur exigeant et lunatique patron) et les épineuses tractations financières avec les partenaires américains (en atteste une curieuse et assommante séquence assise de ping-pong verbal masculin comme arbitrée par une impassible interprète).Mais son dessein est d’une autre nature. Quoi d’étonnant alors si, à l’exemple du créateur en ses miroirs de verre et de chair, il paraît se démultiplier derrière son ouvrage de grande ampleur (deux heures et demie tout de même !) dont il cosigne musique et scénario (avec Thomas Bidegain) ? Il s’y attribue également, dans un épilogue troublant de réalisme magique, le rôle d’un journaliste deLibération. Perdu solitaire à la jonction de deux somptueux univers pareillement évanouis, son Yves Saint Laurent se féconde et se fuit lui-même en changeant de visage et d’identité. Fasciné par le tableau refuge de la chambre de Marcel Proust jusqu’à en reproduire chez lui le décor, il devient Swann, son nom de client reclus quand il en prend une autre à l’hôtel. Deux acteurs enfin se confondent en lui, à treize ans d’intervalle, de vie gommée, de déchéance par le tranchant cruel de l’ellipse soudain accélérée. Le premier s’y dissimule avec une grâce inespérée : c’est, plus habité encore que Pierre Niney, Gaspard Ulliel, extraordinaire de justesse, béant tel un trou noir d’insondable et magnétique intensité. Le second en ressurgit au terme d’une longue éclipse, d’une comparable dérive aussi : il s’agit du déjà légendaire Helmut Berger (doublé par le précédent), dont le choix, inattendu et tellement évident à la fois, relève du coup de génie. « Je suis le dernier », susurre-t-il, impérial, comme pour lui-même, tout en se regardant jouer, jeune acteur des Damnés sur sa petite télévision en noir et blanc. Un constat funèbre qu’il importe malgré tout de nuancer, au vu du travail accompli par Bonello : professeur à la FEMIS, le Niçois d’origine italienne s’y souvient en sa compagnie des capiteuses splendeurs de Luchino Visconti qu’il exalte et ressuscite, avec une pensée, en passant, pour Pasolini. Ne convoque-t-il pas au surplus, dans le rôle trop bref de l’altière Lucienne Saint Laurent (la mère d’Yves), une autre revenante, la Dominique Sanda de Violence et Passion (et, chez Vittorio De Sica, du Jardin des Finzi Contini) ?La Croisette, malheureusement, ne vibre plus aux mêmes influx, elle qui avait accueilli Le Guépard, en son temps, avec tout le faste qui lui était dû, le couronnant d’une Palme d’Or incontestée. Un demi-siècle plus tard, elle ne s’est guère montrée sensible à son héritier direct et singulier. Manquait-il quarante-six minutes de plus à son métrage, pourtant généreux ? Sans doute ne lui eussent-elles pas suffi pour l’emporter sur le très théâtral (et cérébral) Winter Sleep, garant d’assoupissements fédérateurs. Du moins Hollywood lui offre-t-il une indéniable seconde chance puisque Saint Laurent y représentera la France aux Oscars, tout naturellement.
Bibliographie