7e FESTIVAL EUROPEEN DU FILM FANTASTIQUE DE STRASBOURG
Strasbourg, Texas
Oyez, oyez, bonnes gens, l’Apocalypse est à nos portes – et pas seulement celles des salles de cinéma strasbourgeoises où le FEFFS en expansion, comme pour en exorciser allègrement l’emprise, fit régner le Malin en majesté, des cinémas Star à l’UGC. ..
Ne percevez-vous point dans vos journaux du soir comme du matin le souffle et le vacarme de ses Cavaliers funestes lancés au grand galop sur notre fragile planète bleue ? Tous les quatre déjà ils sont là, bien reconnaissables : le blanc de la barbarie conquérante ; le rouge de la guerre civile, avec son sanglant cortège d’égorgés ; le noir de la famine et de la pénurie ; le pâle enfin de l’épidémie, vorace ambassadrice de la Mort toute-puissante. A moins qu’une tempête solaire ne les prenne de vitesse, puisqu’il suffirait d’une giclure plus véloce de plasma ionisé pour accomplir le Ravage jadis anticipé par René Barjavel et y précipiter, corps et biens, les vulnérables esclaves de la Fée Electricité que nous sommes hélas devenus.
Rappelés alors en festifs éclaireurs, les 4000 volontaires de notre si cathartique Zombie Walk, le samedi 13 septembre, par les rues laissées intactes de Strasbourg ? 13, forcément, comme le nombre de films en compétition pour l’Octopus d’Or, lesquels générèrent, avec les courts et les longs métrages des autres alléchantes sections (baptisées « crossovers », « midnight movies » ou « revivals »), 6000 entrées de plus, en dix jours, dans les salles – autant dire une déferlante, mais toute bénéfique, celle-là, et pareillement sympathique.
Aux antipodes, par conséquent, du « magnifique » (sic) tsunami de flammes accueilli sur les côtes australiennes par les derniers survivants de l’espèce humaine dans The Final Hours – douze au total – de leur compatriote Zak Hilditch. Pour une projection d’ouverture, le titre ne manquait ni d’ironie, ni d’à-propos. Malgré la jolie présence rédemptrice d’Angourie Rice (blonde fillette au cœur du chaos, sur le lointain modèle de Brigitte Fossey dans Jeux interdits), ce compte à rebours paradoxalement soporifique ne s’avéra en revanche guère représentatif de la très honorable qualité d’ensemble de la sélection, toujours concoctée avec amour par Daniel Cohen et Consuelo Holtzer, duo aguerri s’il en est. Combien plus puissant avait été, en effet, chez Mimi Leder et Lars Von Trier, le « deep impact » causé par la chute sur notre globe d’une météorite fatale ! Mais, issus principalement de la série B, les genres volontiers agglomérés du fantastique et de la science-fiction produisent davantage de déchets que les autres ; ils y puisent même une part non négligeable de leur charme et de leur insolence, inhérents au substrat primitif d’un art forain qu’ils pérennisent quand certains, mieux éduqués en apparence, s’obstinent à le renier.
Le Texan Tobe Hooper (71 ans), prestigieux Président cette année d’un Grand Jury retreint à deux confrères européens de proche obédience (l’Espagnol Juan Martinez Moreno, maintenant installé à Londres, et le Français Xavier Palud, responsable d’une récente Intrusion fantastique en Alsace, sous l’égide d’ARTE), ne pouvait certes nier, avec le recul du sourire entendu, une telle évidence. Crânement planté en 1981 dans l’effrayant territoire des Freaks, non loin de la Nightmare Alley< plus tard parcourue par Edmund Goulding (noire référence haut et fort revendiquée), son Funhouse en témoigne d’ailleurs assez bien : pour les amateurs français un second Massacre, dans le train fantôme cette fois-ci – l’illustre tronçonneuse (plusieurs fois brandie) du premier étant depuis devenue, jusqu’à notre Foire Saint Jean, une efficace attraction « live » de fin de parcours. Comme flambant neuve dans la version restaurée de son 40e anniversaire, celle-ci avait aussi recommencé à vrombir, ce printemps, sur la Croisette où nos deux directeurs du FEFFS happèrent son auteur pour le plus grand plaisir de leurs aficionados du cru, accourus nombreux à sa fort conséquente Masterclass du dimanche après-midi, au Star Saint Exupéry.
Accessible et jovial, humble et narquois, l’homme révéré derrière « Leatherface » nous l’affirma, en l’occurrence, à bon escient : « Pour faire de grands films d’horreur, il faut vivre des périodes troubles ». Ou y survivre. Tel fut son cas, lui l’enfant d’Austin que le hasard faillit faire naître dans une salle obscure. Travaillé tout à la fois par les spectres de la guerre, l’atroce exhibition des faits divers télévisés et l’éclatement d’un foyer en folie, il ne dut son salut mental qu’aux impérieux attraits du grand écran – un autre monde de fantaisie où l’on chante sous la pluie, où l’on ferraille sous cape et dont les magiciens s’appelaient Michal Curtiz, Stanley Donen ou Howard Hawks ( superviseur de La Chose), mais aussi Antonioni et Fellini. Serait-il pour autant devenu le pionnier inquiet, rural et fauché du « slasher » sans le choc décisif ressenti, le 22 novembre 1963, devant le plus court des films gore : 26 secondes horrifiques signées Abraham Zapruder où volait en éclats, avec le crâne de JFK, une certaine idée, fausse et ripolinée, de l’Amérique. A l’image tremblée de cette atterrante ligne de fracture, il y aura bien, une décennie plus tard, selon l’enseignant Jean-Baptiste Thoret (interlocuteur ad hoc de Tobe Hooper à Strasbourg), un « avant » et un « après » The Texas Chain Saw Massacre.
Difficile, de ce fait, pour ses jeunes compatriotes de venir se mesurer chez nous à la puissance d’ébranlement intacte du joyau brut livré (et disséqué) par le réalisateur de Poltergeist. Or ce sont deux nouvelles recrues du genre qui vaillamment nous arrivèrent d’Hollywood pour promouvoir chacune leur premier long métrage en compétition : Ana Lily Amirpour et Leigh Janiak. Tout parut, en l’occurrence, opposer la brune et la blonde, du tempérament au propos et de l’univers spécifique (urbain d’abord, sylvestre ensuite) à l‘esthétique – avec un avantage certain, quoique inopérant, pour l’Anglo-Iranienne, fraîche lauréate du Prix de la Révélation Cartier au 40e Festival du Cinéma Américain de Deauville.
A considérer sa science du cadre (au service d’un noir et blanc envoûtant et désolé), l’éclectisme très « tarantinesque » de ses choix musicaux (préalables aux images) et l’offensive vigueur de ses saillies verbales, nul doute n’est plus permis : cette diablesse-là saura se montrer artiste jusqu’au bout des griffes. Un peu trop, peut-être… Avec A Girl Walks Home Alone At Night (titre combien prometteur), elle prend la pause et son temps pour nous conter, en langue perse, sa spleenétique histoire de justicière dans la ville californienne de Taft, sinistre autant que sinistrée et rebaptisée, non sans raison, Bad City. L’or sous les derricks grippés s’y avère aussi noir que ses âmes en rade, à l’instar du tchador de l’alter ego vampirique d’Ana Lily Amirpour (l’insondable actrice Sheila Vand, qu’elle double en skateboard, de dos), entrouvert sur une marinière volée à la Jean Seberg d’A bout de souffle – « la seule chose à sauver dans le cinéma de Godard », selon l’insolente émule de David Lynch.
Plus modestement, sa rivale américaine de Honeymoon ne prétendait pas snober, par son petit cauchemar nuptial en forêt, les codes (trop ?) attendus du genre, entre fantastique insidieux et science-fiction. Réduit à deux jeunes couples dévastés (par l’emprise d’une puissance extra-terrestre sur leur élément féminin respectif), le casting à moitié britannique du film demeure son atout majeur sous la sensible direction de Leigh Janiak. Aux côtés de Rose Leslie (Ygritte dans Game of Thrones), on y retrouve, de l’euphorie à l’inquiétude, l’attachant Harry Treadaway du Hideaways d’Agnès Merlet, Méliès d’Argent en 2012.
Ce passeport européen pour le Festival de Sitges fut cette année de plein droit octroyé à Manuel Martin Cuenca, natif d’Almeria. Point de féroce équarrissage dans ses tendres et suggestives Amours cannibales qui nous transportent à pas de loup chez un tailleur solitaire de Grenade, fervent catholique, loin des sauvages contrées amazoniennes ou texanes de Ruggero Deodato et Tobe Hooper. Ce dernier sut pourtant goûter à sa juste valeur le mets raffiné – et de ce fait différemment dérangeant – qui lui fut ici servi avec une rare élégance par le chef opérateur Pau Esteve Birba (lauréat d’un Goya), présent dans la salle, et l’acteur Antonio de la Torre (cher à Pedro Almodovar), prodigieux d’intensité.
Moins accompli, quoique indéniablement poignant et spectaculaire, nous apparut le White God hongrois de Kornel Mundruczo. Son fragile Octopus d’Or, trophée de verre soufflé à Biot, vint s’ajouter au Grand Prix cannois d’Un Certain Regard, récompensant une fable de la difficile « réconciliation » finale entre les humains et leurs prétendus « meilleurs amis » les chiens. Tels les faux morts-vivants à Strasbourg, on y voit 280 bâtards (dressés six mois durant) s’échapper glorieux de leur fourrière pour terroriser les rues de Budapest, sur les traces de tous les maîtres indignes qui les ont abandonnés ou martyrisés, pervertis et instrumentalisés. Au-delà du clin d’œil manifeste au White Dog (1982) de Samuel Fuller, l’allégorie politique pèse parfois aussi lourd que, lors de certains moments intimes, l’inutile caméra à l’épaule, mais les séquences d’anthologie (parfois étrangement disneyennes) qui jalonnent la double quête de Hagen (brave berger « croisé » de sharpei et de labrador) et Lili (petite trompettiste fugueuse) sont assez belles pour emporter l’adhésion.
Tout premier récipiendaire du même trophée pour Vinyan en 2008, le fidèle Fabrice Du Welz dut quant à lui se contenter d’une adéquate Mention Spéciale pour le deuxième volet de sa trilogie ardennaise (après Calvaire, multi-primé à Gérardmer en 2005) interprétée par l’affolant Laurent Lucas : Alleluia, un thriller passionnel et volontiers grand-guignolesque qui constitue, en réalité, la quatrième version cinématographique de la fuite en avant fatale de Martha Beck et Raymond Fernandez, les tristement célèbres «Tueurs de la Lune de Miel » (« The Lonely Heart Killers » en Amérique), électrocutés à Sing Sing le 8 mars 1951.
En notre siècle de galopante horreur numérique, nous laisserons du moins à son réalisateur belge le mot de la fin. Interrogé sur son obstination à tourner en 16 mm, il eut cette réponse, simple et cinglante à la fois : « Parce que je suis cinéaste et que je fais des films ». A méditer.