Anus horribilis ? Et avec un seul n, s’il vous plaît ! Pas tant que cela, au fond, si l’on considère tout ce qu’il nous incombe aujourd’hui d’avaler, de digérer ! Des couleuvres par platées, bien sûr, et puis, au boulot comme au dodo, des vertes et des pas mûres ! A force, ça finit par peser sur l’estomac, par nouer les tripes et par développer des ulcères ou des boules, des très malignes, là où on ne les attendait pas ! Ca ne sent pas très bon non plus, pensez-vous ! Ca enfle, ça migre, ça vous colonise le côlon. Alors arrive un jour où, qu’on le veuille ou non, faut que ça sorte… Les autres, presque tous les autres, ils devraient donc se méfier, prendre garde à plus le faire ch…, ce brave Duncan, littéralement s’entend, sous peine de voir Milo s’extraire de sa niche naturelle, puis de finir en chair à pâté(e).
Vous l’aurez compris : ainsi son hôte souffrant a-t-il baptisé, pour une obscure raison qui lui appartient tout autant, le monstre tapi au fond de ses viscères ("J’ai un alien dans le cul !", finira-t-il par avouer à son épouse, enfin enceinte elle aussi). Car il ne s’agit pas là d’un vulgaire polype rectal engendré par une mauvaise gestion du stress (et qu’une épique coloscopie ne suffira pas à localiser, ni à décrocher), mais plutôt d’une bestiole vorace de très intime compagnie dont il lui importera de contrôler, sans trop de cris, les entrées et les sorties, de canaliser aussi les vengeurs appétits. Imaginez, sous sa grasse enveloppe caoutchouteuse percée de grands yeux noirs attendrissants, le croisement d’un "critter" aux dents acérées avec un E.T. venu d’en bas et pourtant soucieux, comme son innocent modèle, de "revenir maison" (rires assurés), ses forfaits une fois accomplis. La police, qui n’irait pas le chercher jusque-là et encore moins l’en déloger, les mettront dès lors sur le compte d’un non moins improbable raton laveur enragé, pour la plus grande satisfaction du spectateur compatissant.
Impossible en effet de ne pas s’attacher au gentil personnage brimé de Duncan qui l’abrite, le chasse, puis le choie tel un chat, et semble, quant à lui, tout droit issu, par sa bonté, sa gaucherie et le généreux idéalisme de son discours final, d’une fable de Frank Capra.
Si la concrète et nauséabonde projection de son subconscient refoulé n’a certes rien d’un Harvey, il y a, sans conteste, du James Stewart dans l’allure lisse et la sensible interprétation du fort sympathique Ken Marino, comédien et scénariste de séries new-yorkais
récemment doté d’un club de strip-tease par Les Miller : Une Famille en herbe. Au cœur d’une coquette banlieue pavillonnaire américaine, il campe, en pleine crise des "subprimes", le trop honnête employé corvéable d’une petite agence d’investissements illicites, harcelé tout à la fois par un patron cauteleux, une épouse en mal d’enfants, une belle-mère inquiète aux émois de jeune fille et le très intrusif sexologue qu’elle mandate pour l’examiner. Or ce fils de divorcés, atteint du syndrome de l’abandon paternel, persiste à repousser la contraignante
perspective d’une progéniture, cause avérée de la plupart des ruptures. Sur le plan professionnel, Il doit cependant à sa bonne mine d’accepter une mutation temporaire aux ressources humaines : du bureau exigu nouvellement aménagé dans les toilettes de la boîte (un signe !) lui revient alors la tâche ingrate – quoique "humainement enrichissante", selon sa direction – d’aller informer ses collègues
en douceur, l’un après l’autre, de leur licenciement économique. Et, comme si la coupe n’était pas assez pleine (ou plutôt son abdomen), voilà que son nouvel adipeux collaborateur se dépêche d’effacer d’un clic, par inadvertance, l’épais dossier qui l’occupait depuis un an !
Une bévue qui lui vaudra de figurer, la nuit, en tête des victimes expiatoires du "Bad Milo" : déchiqueté il sera, avant leur patron véreux,
égorgé dans sa fuite, et le sexologue indiscret, émasculé en plein accès d’onanisme.
Convenons-en : la deuxième réalisation tardive de Jacob Vaughan (The Cassidy Kids, c’était en 2006 !) s’avère, de ce fait,
plus cathartique encore que scatologique. Stupéfiante de profondeur insoupçonnée et de mauvais goût obligé, cette apparente
pochade d’impeccable facture constitua même la très salutaire bouffée de gaz hilarant de la 6e édition du FEFFS
(le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg) et si son public de votants lui préféra, in fine, la plus convenable
(et politiquement correcte) animation brésilienne de Una Historia de Amor e Furia, nous ne pensons guère nous tromper en misant sur l’accession du perdant au rang de futur "film culte" (sans omettre la syllabe finale), dans le voisinage immédiat de La Petite Boutique des Horreurs (celle de Roger Corman), d’Elmer le remue-méninges ou des Gremlins, auxquels sa tonitruante musique de série B (signée Ted Masur) contribue d’ailleurs à nous ramener. Affranchi de toutes les convenances sous son vernis lustré de façade, Bad Milo ! ne répugne pas à déployer un comique de situation trivial et régressif à base de diarrhées, gargouillis et flatulences (les hurlements nocturnes de Duncan sur son trône condamnant sa femme aux boules Quies), mais accomplit le double prodige d’échapper à la vulgarité et à l’enlisement. Le rythme y est tenu, comme préservé par une sorte de grâce paradoxale et jubilatoire qui tient à la qualité de son interprétation (décalée juste ce qu’il faut), autant qu’à la causticité de son propos à entrées multiples, non dénué de "fondement".
Loin de se reposer sur les ravageuses escapades de sa part obscure (qu’il découvrira héréditaire) ou d’en cautionner les agissements, le protagoniste préfère d’ailleurs suivre une psychothérapie et partir à la recherche du père absent, un ermite égoïste qui mène une vie de sauvage planant dans les collines des environs. Il y est invité par le Docteur Highsmith (comme Patricia !), un hypnotiseur vaguement sorcier qu’habite l’ineffable acteur suédois Peter Stormare avec une extravagance peu coutumière. D’autres « guest stars » enrichissent au demeurant la nécessaire galerie de seconds rôles hauts en couleur, de l’imposant Patrick Warburton, boss aussi abject que facétieux, à Mary Kay Place, cougar liftée bécotant à table son jeune et fat "cochon" d’Inde. Savoureuses également, les diverses références dont Jacob Vaughan émaille le scénario (cosigné par Benjamin Hayes) : outre Steven Spielberg et Joe Dante, le Shining de Kubrick et In the Air de Jason Reitman se rappellent de la sorte à notre souvenir amusé. On oscille là entre Jekyll et Hyde, Woody et Allen, Stone et Cronenberg, le caca et Kafka. Or si l’Amérique qu’on y sonde apparaît bien barbouillée, l’indigestion ne gagne point son spectateur, plié en deux, voire estomaqué pour d’excellentes (et souvent cruelles) raisons. Gore et trash sans lourdeur ni gratuité, cette petite comédie fantastique restera dans les annales, forcément.