Critique(s)/Commentaire(s) de JIPI

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  • THE WALL (1982)
    Cigarette presque consumée, bains de sang, émeutes urbaines, soldats pulvérisés, classes dévastées, débauches sexuelles, tranchées mortuaires, régime totalitaire, acharnement thérapeutique. Alan Parker met en images le contenu interne d’un esprit en miettes, brisé, sombre, ultra pessimiste, cloîtré dans l’enfermement. Pink, personnage emblématique d’une génération d’après-guerre privée de lumière, brisée par l’absence du père mort au combat, emmagasine des images cauchemardesques de souffrances non vécues, des folies et des angoisses héritées d’un géniteur absent, incubées pendant trente ans, se révélant dans des hurlements de décibels musicaux libérateurs, réclamant entre deux crises de démences, une chaleur maternelle et un retour à la position du foetus.Les conditionnements programmés, géométrie unique d’un mur aux multiples briques identiques, se matérialisent dans la paranoïa d’une rock star dissimulée, rivée uniquement au monde extérieur par l’entremise d’une petite lucarne constamment zappée. Les rares éveils sont destructeurs, un mur se révolte contre un autre mur, toutes les dépendances matérielles se détruisent afin de redécouvrir une certaine conscience de soi dans le vide de l’espace."The Wall", pratiquement sans dialogues, est un film qui s’écoute, se lit, s’ingurgite de force comme une potion infecte. Le contenu est insoutenable, traumatisant, auto suicidaire. L’empreinte de la finitude dans un rouge vif porte des visages hideux, déformés, isolés, absorbés par la profondeur d'un refus d'exister en collectivité.Un quai de gare sans père engendre un traumatisme d’enfance, déroute le parcours d’un esprit vers l’exigence d’une notoriété insatisfaite, ne conduisant que vers l’aliénation."Je n’ai nulle part ou aller" est sans contexte le message de cette œuvre noire interminable, un puits profond d’immondices sans garde-fou.
  • LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE (1972)
    Voici le menu. Bourgeois trafiquant, dégustateur sélectif de Dry Martini, consommateur de relations sexuelles sous abri, évêque pique-assiette à vocation jardinière, lieutenant de cavalerie en manque de confidences. Dîners maniérés constamment interrompus par des manœuvres militaires, des veillées mortuaires ou des malfaiteurs déterminés. Les trois composants de nos sociétés bien pensantes sont sévèrement ballottés entre rêves et réalités. Les pistes réelles et cauchemardesques s’entrecroisent dans des temps virtuels appartenant aux revenants ensanglantés, livides et muets.Dans les salons, la fumette du gradé se juxtapose avec le whisky de l’homme d’église. Des tables se retrouvent soudainement sur des salles de théâtres, le bourgeois contraint de réciter devant un public impatient sa propre panoplie existentielle.Luis Bunuel n’émeut pas outre mesure en filmant les délires verbaux de ces nantis calfeutrés dans des salons capitonnés, mêlant fantasmes nuiteux et dîners perturbés.Il est conseillé de remonter en amont de la carrière de ce cinéaste surréaliste pour en humer un parfum plus fort.
  • LA BONNE ANNÉE (1973)
    Le dernier plan révèle toute la symbolique de ce Lelouch attachant. Simon souhaite une bonne année à Françoise qu’il retrouve après six ans d’absence sous une inscription révélatrice, Paris 1973. Tout a changé, on peut ceinturer la capitale par la route, Roissy nous souhaite le bonjour. La femme offre un autre visage celui du choix de mettre dans son lit un amant de passage, tout en reformatant dans un noir et blanc final un comportement adapté à une fausse PénélopeLes valeurs se transforment en donnant congés aux émouvantes retrouvailles d’un homme et une femme sur un quai de gare. Seul l’amitié garde ses couleurs d’origines dans un contexte de braquage amusant, sans haine, dans des divergences n’empêchant pas de s’accepter tel que l’on est, au risque de se fragiliser dans l’action par ses différences.Claude Lelouch filme une œuvre prémonitoire, un passage de témoin entre deux époques, l’une termine une collectivité de mœurs scrupuleuse absente de libertés individuelles nommé famille, l’autre entame une indépendance assumée dans des pas précipités vidant en hâte des cendriers pleins.La femme maître de son destin évolue dans un contexte d’existence choisie en resservant comme plat du jour le cas échéant un conformisme calculé, pendant que l’homme reste sur les acquis de principes jugés vieillots par ces temps nouveaux.L’accordéon instrument convivial lutte désespérément contre une nouvelle philosophie synonyme de parcours uniquement que pour soi.Ces perceptions nouvelles, réduisant au pilon d’anciennes règles de comportement, annoncent l’éclatement familial et le premier choc pétrolier. Le regard final abattu de Simon en dit long sur ce qui nous attend.On s’éloigne de plus en plus du code d’accès aux coffres, "La mer est calme et tout va bien". L'année 1973 est un changement de cap important, un chacun pour soi venu au monde dans une dépendance de l'or noir de plus en plus importante.
  • LE DOULOS (1962)
    Le ticket numéro treize positionné sur le coin d’un chapeau donne quelques intuitions sur le final dramatique d’un protecteur dans l’ombre. A travers "Le Doulos" c’est la cartographie du "Samouraï" qui monte en puissance. Tout un univers lumineux mais souterrain de boites de nuits, de jeux, d’orchestre de jazz, d’interrogatoires de police, de paroles brèves suivis de corrections subites et musclées infligées à la blonde perverse s’égrènent pendant que les honnêtes gens sont dans les bras de Morphée.Les zones d’ombres entretenues font du Doulos un personnage mystérieux, ami et médiateur de deux extrémités passant leurs temps à s’entretuer. L’œuvre est bien souvent misogyne, peu d’égards envers la femme livrant une adresse sous les coups ou offrant quelques billets presque arrachés par celui qui ordonne sans s’émouvoir.Le dévoilement d’une véritable identité suite à des explications finales, auréolées par la révélation de la droiture d’un individu, débarrasse un esprit tortueux de son ambiguïté, celle-ci offrant un mini sourire radieux à une perplexité rassurée.Nantie de quelques faiblesses de traitements, l'oeuvre est confuse sans être heureusement décevante. Toutes ces pistes embrouillées ne facilitent pas toujours la rigueur d’un suivi."Le Doulos" ressemble à une salle d’attente proche d’un embarquement pour un "Deuxième souffle" plus prometteur. Dans cette optique, l’attente est plutôt agréable, la réalisation soignée encourage la clémence envers quelques imperfections. Le meilleur est à venir et comme ce meilleur passe par certains doutes antérieurs, le tout fait l’affaire.
  • VINCENT, FRANÇOIS, PAUL ET LES AUTRES (1974)
    La fête habitacle thématique de celui ou celle que l'on ne désire pas connaitre en profondeur ? Le logiciel de la cinquantaine déploie allégrement ses angoisses sur cette bande de copains sur le fil du rasoir de certaines amertumes toujours prêtes à se manifester à tout moment.Prospérité et déconfiture se divertissent des humains, l’un va bien, l’autre pas.Le temps a passé, certains couples à bout de souffle périclitent, d’autres se renforcent, l’argent manque, le monde se transforme.Certaines femmes lassées s’en vont accusant leurs maris protégés de n’être uniquement opérationnel que dans le calcul, la gaudriole, le jeu improvisé ou la farce de collégien.Ça vole bas, mais le courant passe, c’est l’essentiel dans un climat ou l’on ne perçoit l'existence de son camarade que dans la fête.La vie doit néanmoins continuer dans ses assurances et ses fractures, ses remises en questions et ses optimismes véridiques ou mensongers afin de conserver son aura sur les autres.La solitude extrêmement redoutée draine sur un terrain sentimental de plus en plus clairsemé toutes les combinatoires pour l’éviter.Soudain tout devient flou et l’on s’effondre."Tu n’as plus vingt ans, nous n’avons plus vingt ans".Reproches et encouragements sont répandus dans des endroits enfumés croulant sous la bière permettant à une âme en peine de souffler quelques instants en confiant ses désarrois à une faune plus polie qu’intéressée.On se livre pour rien, mais ça soulage.Chacun se révèle à l’autre dans une pantomime théâtrale reposant sur le verbe haut et le geste maladroit.Tout le monde fait semblant de faire semblant.Une sorte d’hypocrisie et de détachement envers son semblable dont on détecte l'unique valeur que dans la découpe d’un gigot Dominical qu’il ne supporte plus d'effectuer.Un nombre important d’heures passées à ripailler ou à se taquiner sans savoir vraiment qui l’on est.La conclusion reste encourageante le groupe reste soudé mais sans espoir de changer de dimension.
  • LE PROCÈS (1962)
    Le zéro et l’infini. Le microcosme le zéro, le je, délaissé au profit du macrocosme le nous dans une société communautaire où l’individu est considéré comme quantité infinitésimale par rapport à la collectivité, quantité infinie.Le macrocosme, l'infini, le nous délaissé au profit du microcosme le je dans une société égocentrique ou l'individu se réalise par lui-même en se servant du contexte opportuniste de son époque.Le pouvoir du zéro (l’individu) ou de la masse (l’infini) dans une même image garnie d’éternelles alternances temporelles.Tous ensemble chacun pour soi.K est laminé puis éliminé par un ou plusieurs pouvoirs anonymes s'acharnant sur un esprit sans défense endurant son Golgotha dans un contexte hallucinatoire constitué de dominances et de soumissions.Harcelé par des interrogatoires soudains et éprouvants ne faisant qu'entretenir les impacts d'un complexe de culpabilité formaté sur un cobaye ciblé au hasard.Il faut atteindre péniblement des tribunes surélevées afin de plaider sa cause devant des accusateurs procéduriers canalisant leur paranoïa en s'acharnant à l'aide d'un faux procès, sur un tiers essuyant en vain les plâtres d'un système susceptible de toucher n’importe lequel de ses tortionnaires.L'empire du paradoxe ou un parti totalitaire vaporise une ressource tout en étant sous la menace de ses propres arguments pouvant à n'importe quel moment se retourner contre lui.Encaisser de soudains revirements incohérents.Étendre ou comprimer ses espoirs et ses doutes dans une structure miniaturisée ou pyramidale.Survivre à la claustrophobie scruté par des regards d'adolescents indifférents et moqueurs.S’enfuir terrorisé dans des passages hachurés de lumières.Un processus expérimental d'extermination dans un acharnement administratif programmé, volontairement incohérent, humiliant continuellement un visage de plus en plus décomposé.
  • LA VOIE LACTÉE (1968)
    La voie Lactée est avant tout un cours de théologie de haut niveau sur l’absence la plus importante de tous les temps. Au cours d’un pèlerinage, les doctrines de Dieu sont expliquées, commentées, contestées, imposées à travers des temps porteurs d’analyses, dans des parcelles de vérités menant certains protagonistes enflammés jusqu’au duel. Sur le chemin de Compostelle, l’aumône est bizarrement offerte au nanti possédant quelques pièces. La fonction de l’hostie succède aux messages cryptés. Certains propos imposent un fantôme crée par l’homme afin de le dresser à vie contre ses congénères, dans des luttes entretenant une sauvagerie."Le christ est né de sa mère sans rompre sa virginité".Il y a de quoi deviser éternellement sur de telles affirmations. Sur le pré, le champ de bataille, la taverne, le procès. L’immaculée conception est expliquée derrière une porte close représentant le dernier rempart d’une réticent.Les envolées théologiennes pondérées ou musclées se succèdent, alimentées par le cafetier, le gendarme, l’homme d’église, le paysan, et le mendiant. Chacun essaie de comprendre le message des écritures dans une diction différente, mais concise, commune, gommant par sa rhétorique toutes les différences. La compréhension d’un tel concept à l’avantage de réunir tout le monde.L’esprit se triture par la foi. L’acceptation ou la contestation envers des textes sont les seuls ingrédients entretenant la continuité ou le refus d’une croyance. La nature ayant horreur du vide, ses hôtes alimentent un sujet extensible par des exposés contradictoires perpétuels sans arbitre."La voie lactée" est une sorte d’Agora, une tribune à l’air libre où au fil de rencontres plus ou moins métaphysiques, deux mendiants en route vers Compostelle, emmagasinent des informations sur un silence céleste interminable. Chacun d’eux en fonction des exemples se débat entre affirmations, différences et athéismes.Le regard et l’écoute s’adaptent à un cas par cas représentant toujours une évolution. La base de données du créateur s’alimente par l’accumulation des expériences d’esprits sur le terrain. L’affirmation et la contestation se livrent un combat sans fin à l’intérieur de procédures divines ambiguës.Finalement c’est l’homme qui parle le mieux de Dieu.
  • JEUX DANGEREUX (1942)
    Adolf Hitler dans les rues de Varsovie au mois d’Août 1939, on croit rêver alors que la guerre n’est pas encore déclarée. "Jeux dangereux" tourné en 1942 valorise l’effort de guerre des métiers du spectacle. Ernst Lubitsch s’y colle sur le fil du rasoir entre drame et comédie. La récupération parodique d’une situation locale désespérée responsabilise la résistance plus ou moins théâtrale d’un peuple conquis dont la moindre habitation est au ras des pâquerettes."Jeux Dangereux" n’est pas un film de propagande ou d’investissement forcé envers une participation plus ou moins exigée en fonction d’un rapport avec un contexte historique guerrier catastrophique, mais une œuvre de solidarité entre sourires et larmes offrant la possibilité à des techniciens de l’image de s’exprimer par une ironie évitant une sinistre neutralité.Malgré quelques escapades comiques, l’œuvre reste grave en montrant la lutte parfois euphorique et farfelue d’un peuple brisé désirant retrouver sa liberté. Quelques frivolités ne s’exécutant envers l’occupant que pour le bien d’une nation.Ernst Lubitsch a le mérite d’offrir à des contemporains tendus la possibilité de dérider par certains détachements comiques des visages extrêmement préoccupés par les évènements.Charlie Chaplin préférant en rire avait choisi la même piste avec "Le dictateur" permettant à un peuple reclus de muscler sa force envers une domination par le courage et la dérision.Le pouvoir des images ayant pignon sur rues, il est possible de manipuler l’histoire, d’en changer le cours, de ridiculiser des pouvoirs destructeurs et de faire triompher la justice dans une pseudo bonne humeur entretenant les principes d’un réalisateur aux messages festifs mais toujours responsabilisés.
  • LEON MORIN PRÊTRE (1961)
    Une athée orgueilleuse, adorant le commandement offert à une jeune femelle au visage rayonnant de lumière noire, vient titiller sur ses terres un jeune prêtre pseudo anti-conformiste, mais aux argumentations vieillottes à l’aide d’une phrase assassine venue d’Orient. De longues conversations théologiques, faisant suite à une absolution guidant des premiers pas vers la foi, s’établissent entre un rhétoricien incorruptible et une jeune veuve soumise aux attirances féminines sur toile de fond de ville alpestre occupée où seul l’enfance et l’uniforme parviennent encore à se blottir l’un contre l’autre en s’inondant de sentiments purs.Des Juifs se baptisent afin d’échapper à la déportation, des chaussures peintes en noires respectent le souvenir d’un disparu, pendant que dans une chambre close des propos et des livres s’échangent en se commentant."Dieu est incommunicable. C’est atroce" s’écrie un esprit sur le point de déposer les armes et de se convertir.Cette soumission ressemble à une conquête de la chair en ces temps sans hommes, ceci est incompatible avec un missionné programmé pour sauver des âmes et qui malgré l’apport intime de quelques confidences, qu’il faut savoir interpréter, reste profondément attaché à son sacerdoce. La pensée virtuelle d'un unique baiser libère momentanément des tortures de la chair une jeune femme rongée par l'impossibilité de conclure sa passion en temps réel."Léon Morin prêtre" est une œuvre défaitiste, auto flagellatoire. Une femelle vaporisée par des perceptions amoureuses interdites, détruit une pensée primordiale, athéise en adoptant une conversion tactique lui permettant d’espérer vainement l’amour impossible d’un ecclésiastique uniquement proche de ses semblables que par la formation.La fin est datée, morose, décevante dans son processus que les intellects de l’époque soumis aux bonnes consciences n’ont pas la force de modifier. Chacun, tout en contestant les rigueurs moralistes de son temps, en subit les méfaits plus ou moins volontairement.Par manque de déterminisme, des potentiels de destins en communs sont brisés, laissant encore plus désemparée une entité prisonnière de ses sens, à contre courant. L'amour sous toutes ses formes subit de plein fouet un réalisme cinglant.
  • FRANCES (1982)
    "Il faut interpréter les choses que les autres ne voient pas dans la réalité, c'est le seul moyen de leur donner la vie"Dans un monde où beaucoup crèvent de faim, il est honnête de se servir de ses ressources afin de s'en sortir. Frances, jeune provocatrice de seize ans, niant l'existence de Dieu, s'en va délibérément à contre courant vers une lumière consumante. Les procédures d'un métier sans cœur vont broyer peu à peu cette ressource, luttant dans un premier temps toutes griffes dehors contre un système de rouleau compresseur, n'ayant que peu d'égards envers les rêves de jeunes adolescentes.Les années folles le sont aussi dans des esprits sclérosés par la domination policière, hospitalière et cinématographique. L'acharnement d'un tel triple pouvoir passe par des portes défoncées, ne respectant pas une intimité, l'appropriation d'un cerveau par la médecine et des journées harassantes de tournages offertes à des œuvres dérisoires, malmenant une comédienne destinée potentiellement à la rigueur d'un théâtre russe plus porteur.Le seul soutien dans ces désillusions en boucle est le narrateur de ce naufrage toujours présent quand il faut.Les gens du spectacle ne seront pas dépaysés en visionnant ce parcours menant de la gloire à la folie, en passant par la dépression, pour s'achever par l'internement. Chacun d'eux doit bien posséder une anecdote sur la mort d'un cygne sacrifié, puis oublié instantanément par des consommateurs d'images.Ne serait-ce pas actuellement notre environnement télévisuel quotidien ?On ne compte plus les starlettes mortes au champ d'honneurs, ratatinées par un encadrement déplorable ou par une perception trop personnelle et ambitieuse d'un milieu où la longévité n'est qu'un mirage.Après la vision de telles images, il est plus que souhaitable d'acquérir son équilibre à l'aide d'un autre métier.
  • LA LIGNE DE DÉMARCATION (1966)
    Il est nécessaire de subir des évènements tragiques afin d'embellir le mot "survie" de tous ses apparats bons ou mauvais. Un contexte d'occupation va s'en charger. Braves, désabusés, opportunistes, dénonciateurs et lâches se déchaînent sous la baguette d'un teuton en uniforme ou en gabardine noire.Le nazi s'étonne que l'Anglaise ne soit pas dans un camp, le cafetier socialiste fait l'éloge funèbre d'un aristocrate qu'il méprise.Un long plan séquence, montrant l'arrestation d'une famille juive, accuse les divisions d'un village alimentant une inertie au service de l'occupant. La nuit permet à des citoyens devenus fauves d'appliquer la sentence suprême en n'offrant que leurs uniques arguments.Chaque composant de cette parcelle rurale semble plus en phase avec les comportements de son métier plutôt que par des réactions humaines. Le docteur réagit en docteur, protège le parachuté plus par déontologie que par humanité.Le curé confesse le soldat allemand, le coiffeur coupe les cheveux du dénonciateur, l'officier occupé en impose par le grade à des subalternes occupant. Ce n'est qu'une mascarade entre protagonistes activés en fonction du pouvoir de leurs uniformes et de leurs définitions, paravents récupérateurs de leurs abus.La panoplie militaire allemande lutte contre la panoplie de survie du citoyen qu'il soit cafetier, gendarme, coiffeur, curé, aristocrate ou passeur. L'homme ne débat avec l'homme que par la différence d'une enseigne vestimentaire."La Ligne de Démarcation", dernier noir et blanc de Claude Chabrol, mêle des villageois plus coriaces par le verbe incompris que par l'action, à une distribution au look Saint-Germain des prés. Il faut imposer le chignon à Jean Seberg pour l'évacuer de "A bout de souffle".On peut regretter le choix de l'apport en avant d'une bourgeoisie plus raffinée et déterminée, au détriment de villageois en retrait aux mœurs moqueuses, lâches, brutales, mesquines et divisées. La fracture, au même titre que cette ligne de démarcation, est perceptible en interne entre deux mondes.Offrir une mort de prestige au médecin et une mort pitoyable au passeur à l'intellect plus sommaire n'est-ce pas classifier ce qui ne peut l'être en de tels moments douloureux. Heureusement il y a le coup de gueule final du regretté Noël Roquevert.
  • VOYAGE AU BOUT DE L'ENFER (1978)
    Deux longs plans séquences un de joie, l’autre de malheur, nommés mariage et roulette russe, dont la passerelle menant de l’un à l’autre, est un air de piano concluant les derniers débordements régionaux de cinq sidérurgistes immatures buveurs et batailleurs. Personne n’est parfait dans cette bourgade bâtie autour d’une architecture métallique d’intestin grêle fumant. Que ce soit dans ce stress évacué le soir à la bière en jouant au billard, de ces coups d’un père ivre mort s’abattant sur une fille qu’il ne reconnaît plus de cette chaleureuse soirée de mariage ou tout dégénère subitement. Ces hommes, aux potentiels toujours excessifs ne sont bien souvent que des parcelles confuses déstructurées par un outil de travail aliénant dont il faut évacuer chaque jour l’oppression par certaines extravagances. Sur ces terres ou jamais rien ne change. On ne fait que se chamailler tout en ajustant le chevreuil. Ailleurs la barre est bien plus haute, on reste toujours au contact d’une arme mais cette fois-ci braquée contre soi. Loin de ses bases, confronté à une violence insoutenable l’homme se découvre une nouvelle envergure, il se transcende, soutient pistolet collé contre la tempe son compagnon d’infortune au bord de la syncope en lui inculquant la force d’espérer. Ces hommes, déconnectés le temps d’une guerre de la bourrade, de la chasse et de la canette, subissent de plein fouet l’emprise d’un feu bien plus nourri que celui absorbé chaque jour sur leur lieux de travail. Une délocalisation écœurante n’offrant que rats, gifles, tripots et eaux jusqu’au cou, formatant une nouvelle vision des choses. La valeur d’une existence dans un contexte où elle ne vaut plus rien.
  • TRISTANA (1970)
    "Je suis ton père et ton mari, tantôt l'un tantôt l'autre". Cette phrase révolutionnaire se distille derrière des volets clos. A l'air libre, Tolède est empoussiéré par des mœurs rigides évacuées par le délire d'une phraséologie audacieuse mais non opérationnelle en temps réel. Dans un café, un parfum d'audace individuel libertin déconseille le mariage, prône la passion dépareillée en l'imposant à une pupille devenant presque par force la maîtresse d'un tuteur machiste.Ce nouveau statut active un processus de domination pervers accompagné de l'entame d'un enlaidissement. La fraîcheur se fane en s'habillant de mutilation envers elle-même et d'abandon envers un tyran aux colères froides ayant terrassé le parcours d'une grâce juvénile.Un vieux beau, entretenu par ses propres théories de conservations passionnelles, s'accapare la désinvolture de jeunes années dans une Espagne de début de vingtième siècle moisie par des mœurs privant chaque individu d'une existence extérieure de pulsions révélatrices d'un autre soi-même.Le notable, officiellement puritain, officieusement débauché, toise un jeune rival par l'invitation au duel, celui-ci répond par le poing. L'approche ancestrale de la gestion d'un conflit est confrontée à un besoin de liberté existentielle s'exprimant par une main serrée tentant dans un geste désespéré d'éradiquer des siècles de dépendances morales.Les jouissances personnelles s'attisent dans les ruelles en groupe par la condamnation à l'unisson de chaque écart amoureux. Le site est diabolisé tout en étant noyé sous les statues de la vierge.Luis Bunuel offre un "Tristana" long, triste, ennuyeux truffés de visages rigides, éteints en chignons bannis de sourires exprimant une maigreur ibérique, cérébrale, truffée de commandements négatifs.Environné de couleurs noires, le site croule sous les icônes rongé par les rigueurs de l'éthique. Tolède s'adonne secrètement aux passions de l'interdit dans un double visage représenté par la double personnalité du despote domestique, de la bigote hystérique et du voyeur refoulé.
  • BUFFET FROID (1979)
    "Buffet froid" est tranchant, surréaliste, fantasmagorique, cynique, une parodie significative de l’échec d’un constat relationnel de fin de siècle entre des êtres dans l’impossibilité de communiquer autrement que par un absurde digne d’Albert Camus. Le gigantisme d’un sous-sol artificiel sert de villégiature à des propos incohérents. Une lumière unique renvoie vers l’extérieur la froideur interne d’une tour pratiquement inoccupée. L’assassin, chômeur sans repères, terrorisé par la brièveté d’une existence imposant le port du manteau à temps complet, déambule dans un univers automatisé, sans âme en argumentant ses pas d’une aliénation invisible."On est en visite, on fait un peu de tourisme et on se barre".Ce contexte souterrain hallucinatoire, conséquence d’un artificiel frigorifié, n’offre qu’une paranoïa tenace, une perte de soi dans un univers gigantesque impalpable, déserté par l’esprit sain, que ce soit sur les quais, dans les tours ou dans les rames.L’homme se sent seul, tributaire de ce qui se rencontre et qui ne fait que refléter sa propre image, une personnalité presque détruite par un modernisme cloîtrant les êtres dans des caissons hermétiques en sous-sols ou en étages.Les propos sont déstructurés, révélateurs de consciences détraquées. Les mécanismes de répressions ne fonctionnent plus, flic, voyou et assassin sont sur une même longueur d’onde, une trinité déontologique abattue par une dose trop massive de modernisme.Les oiseaux ne chantent plus, la verdure et la rivière privées de repos éternel accueillent les dérives citoyennes. Un composant ne ressemble à l’autre, uniquement que par le port du couteau ou du révolver utilisés dans des crises de démences ou par un tueur n’ayant plus conscience de ses actes.Une société, parasité par un gigantisme écrasant, résiste à l'engloutissement final par un humour noir millésimé.
  • LES HONNEURS DE LA GUERRE (1960)
    "Les généraux meurent centenaires et moi je n'ai que vingt trois ans" L'Allemand, au bord de la désertion, est amaigri, avachi, malade, abandonné, hirsute, privé de chefs, usé par le conflit, traqué par le franc tireur. La soupe de plus en plus liquide se consomme collectivement dans un même grade à l'aide des réconforts d'un souvenir. L'occupé joue au billard, ripaille sur des tables bien garnies, flirte au bord de l'eau, offre la ritournelle au dessert. Ses journées semblent récupérées par l'insouciance et la distance envers un conflit dans lequel on s'investit mollement et surtout tardivement.Ces partisans aux physionomies ventripotentes casquées, munis de fusils, planquées dans les arbres, scrutant à distance respectable un danger potentiel, activent des actions d'opérettes protectrices argumentées par des récits souvenirs d'investissements non vérifiables.La sanction est dure, cinglante, scandée dans sa propre langue par une détermination combative plus musclée."Des gueules comme ça c'est le procès du suffrage universel".Interdit de petit écran, censuré pendant deux ans par le pouvoir gaulliste, "Les honneurs de la guerre" montre un occupant honorable, se retirant presque comme un prince d'un territoire qu'il ne contrôle plus, unis dans la défaite, tapant dans ses mains à l'écoute d'un air folklorique représentatif d'un pays trop longtemps déserté, il acquiert un esprit solidaire sous marinier en surface dans un climat de guerre et de paix en suspend.Le résistant hôte des lieux en permanence est en revanche plus opérationnel dans la partie de campagne que dans l'action militaire loin des sacrifices nécessaires exigés en ces temps d'investissements indispensables.La terrine et la gaudriole l'emportent sur le courage. La peur de mourir pour la cause se distille dans le tourbillon du banquet.La grande interrogation de ce film courageux est à l'image de cette phrase au combien porteuse de faits historiques contestés sauvés par l'embellie."Quand la réalité est au dessous de la légende, on publie la légende".Le résistant dans sa globalité mythe ou réalité ? L'homme reste homme avant tout.
  • AGUIRRE LA COLERE DE DIEU (1972)
    Quelle folie d’entreprendre la conquête d’un tel territoire où les visages deviennent livides à mesure que l’espoir de réussite se raréfie au fil de ces terres et de ces eaux traversées dans de frêles embarcations où les chevaux se cabrent de peurs. Les flèches d’un ennemi invisible, propriétaire de ces forêts impénétrables, déciment un à un ce groupe mené par Aguirre (Klaus Kinski) irrécupérable illuminé, avide de pouvoir, perdu dans un contexte inconnu à des milles de sa terre d’Espagne.La nature est imprévisible, ses silences soudains sont effrayants, des airs de flûtes sont exécutés spontanément afin de restituer une indispensable atmosphère sonore dominatrice.Le regard d’Aguirre est écrasé par ces arbres immenses qu’il contemple au milieu de ces eaux incertaines où les hommes gesticulent d’impuissance.Cette avancée dans la pénombre d’une impossible découverte est sanctionnée par l’indien. Détruisant le mirage d’un Eldorado plus cérébral que réel, il décime par instinct de survie ce groupe avec lequel il ne désire même pas communiquer.Aveuglé par la démesure, Aguirre n’a pas le réflexe de faire machine arrière, se sachant perdu, il se laisse dévorer par cette nature qu’il ne peut soumettre."Aguirre la colère de Dieu" est un film sur la démesure non calculée d’un groupe d’hommes se croyant invulnérable par la détermination et la possession du canon qui n’effraie nullement ces indiens qui n’ont aucune perception de la cuirasse et de l’arquebuse.La foi d’évangéliser ces terres barbares est un prétexte pour ces hommes ivres de conquêtes, ils brûlent tout sur leurs passages en se ruant comme des porcs sur de la nourriture mal cuite.Les résolutions les plus remarquables afin de sortir de cet enfer sont féminines avec la décision de l’une d’entre elles d’être maître de son destin, en affrontant seule cette forêt dont elle ne reviendra pas.Le contexte final de cette tragique équipée inutile placera Aguirre en survivant éphémère, devant une bande primates se devant de respecter ses besoins vitaux en calmant sa faim.C’est peut-être l’image de cette nature, une procédure interne luttant contre l’évangélisation. L’éternel combat darwinien.
  • LA VALISE (1973)
    "La valise", sortie en pleine guerre du Kippour, délivre un message humain symbolisant la liberté de disposer enfin de soi-même en qualité d’individu libre et sensitif, gommant l’architecture d’apparatchiks épuisés par les missions intensives. L’Egyptien, le Juif, le Français, en plein conflit, épurent leurs contraintes nationalistes en se retrouvant sur la plus belle des longueurs d’ondes, celle de l’amour. Ils aiment une seule et même personne indispensable à la survie de leur nouvelle communauté mise en lumière par les sens.La stabilité de ce nouveau groupe est sauvegardée par une lucidité féminine entretenant la continuité d’une équipe privant ses nouveaux composants d’une décision finale. Il n’y a pas d’heureux élu, au fil des rencontres les prétendants augmentent. C’est une notion d'aspirants en expansion, toujours engrangé par un investissement corporel féminin d'extrême nécessité.Par l’intermédiaire de compétitions amoureuses, de nouveaux amis rivalisent d’ingéniosité pour s’accaparer le cœur de la belle. Ce processus curieusement draine de la solidarité, consolide une équipe formée par la conscience de soi, loin de manipulateurs planqués.Le cœur crée de l’aventure, de l’incertitude dans un climat compliqué où une trinité arabe, juive et franchouillarde se toise dans un premier temps, en n’utilisant qu'un règlement intolérant, uniquement basé sur l’approche individuelle patriotique.La seule voie commune à tous est l’amour, celui qui ronge tout en réunissant. Les sensations sont communes, les actions le caractérisant parfois extrémistes, c’est ce qu’il faut pour enfin vivre et surtout ressentir une note à l'unisson."La valise" est loin d'être une comédie insignifiante, elle masque dans ses soutes une philosophie voyageant incognito.Si Dante Alighieri avait la possibilité de visionner ces simples images, il serait satisfait de contempler les compétences d’Eros livrant à des terriens divisés par leurs endoctrinements, un territoire offrant les mêmes émois.
  • LAWRENCE D'ARABIE (1962)
    S'il fallait concentrer dans un microcosme un des messages principaux de cette œuvre gigantesque, le sauvetage de Gassim adopterait un rang élevé. Un choc frontal s'opère entre une continuité discursive éternelle basée sur des écrits que l'on apprend, que l'on applique et que l'on offre à la génération montante qui elle en fera autant au sujet de sa descendance, sans en changer la moindre lettre et une prise de conscience de sa possibilité d'agir et de penser dans une liberté choisie, consciente d'elle-même éloignée d'une tutelle ancestrale.Gassim égaré dans le désert doit mourir, c'est écrit. Lawrence rétorque dans un premier temps que rien n'est écrit, pour ensuite spécifier que tout est écrit "Là dedans", c'est-à-dire dans un esprit indépendant, dans l'analyse et l'entreprise. Une approche universelle donnant naissance à l'individualité d'un raisonnement démarqué de la caste qui par sa conclusion sauvera une vie.Lawrence livre sur un plateau Hegel et Kant à une rose des sables, ne s'exprimant que par une loi unique depuis des millénaires. Un sacrifice au service d'un texte divin d'adoration, de résignation et d'abandon de soi est contourné pour permettre à un esprit d'en sauver un autre, par une procédure individuelle.Le prince Faycal à cheval, sabre au clair, ne peut rien faire contre la mécanisation terrestre et céleste, c'est un premier pas vers le siècle des lumières où il faut peu à peu s'adapter aux transformations technologiques et intellectuelles d'un autre continent.Sherif Ali Ibn El Kharish le comprend bien, il s'incline devant l'initiative d'une entreprise personnelle couronnée de succès, menée par un esprit indépendant. Cette attitude faisant suite à une condamnation de départ musclée contenant l'intégralité de la pensée de ses ancêtres, laisse présager l'entame potentielle d'une autre manière d'appréhender le monde.
  • LE BOUCHER (1969)
    Un générique caverneux précède un repas de mariage où le boucher local excelle dans l'art de la découpe d'un rosbif de premier choix. L'homme est complexe, évoluant entre rejet du père et traumatisme de guerre, il cherche la paix de son âme dans ces quelques moments passés avec Mademoiselle Hélène, institutrice tolérante et passive devant l'originalité d'un gigot offert à la manière d'un bouquet de fleurs. "Est-ce que vous aimez la viande ?" cette question surprenante insérée soudainement dans un conversationnel sans aucun rapport avec le sujet en cours, démontre la dépendance de Popaul pour une thématique de boucherie, toujours en embuscade dans le quotidien. Cette dérive n'hésitant pas à extérioriser ses visions morbides en pleine boutique devant la clientèle.Il n'y a qu'un seul traumatisme, le sang dans tous ces états, celui d'Indochine et d'Algérie rapatrié dans le métier, entretenu par le crime. Un sang humain et animal d'une odeur identique. Le contact d'une institutrice, cicatrisant à grand peine un chagrin d'amour, apaise momentanément un cauchemar répétitif. Popaul s'offre quelques instants de futur constructif en élaborant l'ébauche d'une conquête possible.La porte des sentiments n'est pas fermée pour cet homme positionné dans une zone de non retour, la contemplation d'actes moraux génère l'exécution de comportements naturels généreux.Claude Chabrol embellit un parcours cinématographique plus ou moins symétrique au fil des opus d'un contexte campagnard existentiel, isolé des lumières de la ville. Le tracteur passe, l'horloge de l'église sonne, les ruraux font leurs courses, une fusion réconfortante s'effectue entre des comédiens ressourcés et des villageois enchantés de l'aubaine de montrer qu'ils existent, en sachant jouer la comédie tout en conservant leurs identités de base.L'œuvre mérite également une attention par l'éclosion d'une sensibilité offerte spontanément au pire des criminels. Le cœur parle et exécute sans contraintes le vœu d'un mourant.
  • CADET ROUSSELLE (1954)
    Derrière cette petite merveille, se cache deux hommes de bien, André Hunnebelle le réalisateur et Jean Halain, scénariste et dialoguiste, nés tout deux coiffés par la paternité d'un cinéma de mouvement et de remarquables bons mots saupoudrant l’itinéraire joyeux, détaché de Cadet et de Jérôme s’adaptant à l’air du temps par la gaudriole, le baluchon au grand air, la pulvérisation des auberges et le don de triple vue dans un état second. L’entretien de l’esprit chevaleresque, accompagné d’une débrouillardise embusquée, réglemente l’accès à des routes incertaines, truffées d’un relationnel fécond entre illuminés tout uniformes et redingotes confondus."Quel est le nom de cette Bataille ? On vous le dira quand on l’aura gagnée"."Le peuple rêve d’avoir un chef pour avoir le plaisir de le renverser"."Depuis quand tire-t-on sur les états majors ?"."La guerre est une chose trop importante pour être confiée à des civils"."Voici une époque où la loi ne protège même plus celui qui l’a faite".Toutes ces petites perles verbales assurent la liberté d’expressions d’agréables lunaires déconnectés d’une époque où tout est au mieux dans le pire des mondes. La noirceur révolutionnaire est gommée par de joyeux godelureaux de tout bord ferraillant sans haine péjorative dans les caves ou la taverne pour leurs honneurs ou l’affront fait à la belle.Ce joli monde repeint par le burlesque une époque sanguinaire, on assomme plus que l’on tue. Ce joyeux parcours s’accompagne d’une ironie bienfaisante, de jeunes amoureux ne tiennent pas leurs promesses, les vestes se retournent allègrement, le général s’attribue une stratégie guerrière effectuée par le civil transcendé.Qu’importent ces dysfonctionnements l’aventure est dans le pré, la roulotte, le champ de bataille ou la geôle où l’on rebondit toujours. La bohémienne remplace la promise, le cœur est intemporel, il s’offre toujours à l’état neuf au hasard des rencontres.Cadet est impulsif, sanguin, formaté pour le récit évolutif, il adapte son jarret au périmètre d’une action pleine de panache, de rebondissements et surtout de liberté.Une indépendance pleine de vie, mêlée d’imprévue rend supportable une époque où les têtes ne tiennent plus sur les corps. Les évènements vus sous cet angle valent presque la peine d'être vécus.
  • PLAYTIME (1967)
    Hulot dans une course-poursuite sur sols marbrés, open spaces, ascenseurs bondés et baies vitrées ne valorise qu’un seul ordonnancement, la répétition de l’échec. Les personnages ne peuvent s’intercepter, la difficulté de conclure une transaction avec l’autre, qu’elle soit interne ou externe, est laborieuse.Des décisionnaires sont enclavés dans de sombres costumes gris, éparpillés dans d’immenses salles de réunions, que Hulot hors norme visite par erreur.A l’extérieur les rues sont pleines à craquer, un bétail touristique côtoient des autobus surchargés, les embouteillages sont monstrueux, chacun n’est prisonnier que d’une seule ligne de conduite :"L’indifférence de l’autre dans la communion du geste similaire".Une meute uniformisée se répand avec au loin de fantomatiques buildings, architectures figées semblables à un comportement répétitif en marche. Le béton devient pharaonique, il imprègne l’homme de sa froideur.Les salles de restaurants à l'image des rues sont pleines et n’obéissent qu’à une procédure de gestions des flux et reflux.Hulot essaie de survivre dans ce miroir gigantesque. Intercepté par un ancien camarade, il doit subir dans une pantomime sur écran large une éprouvante initiation au modernisme.Dans l’appartement d’à-coté les mêmes gestes se reproduisent. La masse est soumise à un même dénominateur commun. La télévision.Les individus ne sont plus qu’une famille dont l’essence se nomme canapé moelleux dans de grandes pièces écrasées de lumières artificielles. On mime les sports d’hiver, en costume cravate devant Hulot ne demandant qu’à fuir ce monde terrifiant.Le contraste avec la nuit est flagrant, celle-ci devient néantique sur fond de tours flamboyantes."Playtime" est le virage technologique d’une société sur fond de silence intellectuel, dans l’intérieur cossu, derrière la baie vitrée de l’appartement du rez de chaussée, il n’y a aucun livre.La caméra et la télévision ont chassés un instinct de lecture foudroyé par l'image.Le culte est devenu "pensée de groupe", image unique brute non filtrée conditionnant l’avancée cérébrale d’un troupeau prenant comme nom "logistiques adaptées aux environnements côtoyés"L'intérieur des buildings et des rues devient un ordonnancement d’écoulements de ressources métalliques et humaines. Une seule perception interne et externe.
  • QUATRE GARÇONS DANS LE VENT (1964)
    Quel groupe de rock n’a pas rêvé en ces années 60 de ressembler à ces quatre icônes aux systèmes pileux identiques. L’époque est joyeuse et désinvolte, les trente glorieuses ont encore le vent en poupe, les Beatles et leurs agréables mélopées de début de carrière en sont la preuve, on se sent bien dans ce temps de plein emploi où la musique est gentillette.Les coiffures ne sont plus "bananées" mais tombent légèrement devant les oreilles, pas de quoi en faire un drame et pourtant les bons pensants trépignent devant cette légère dérive capillaire.Ce film concept est l’apologie du mouvement novateur, qu’il soit physique ou moral, le groupe par moment semble faire son jogging dans ces courses poursuites plus ou moins réglementés par un scénario volontairement inconsistant, les propos ne sont plus structurés, chacun délire dans des questions réponses qui n’ont qu’un seul but, désappointer par le rire.Le Monty Python est embusqué derrière ces répliques plus ou moins acerbes, le verbe se déconnecte de toutes procédures contraignantes, c’est la liberté du ton à deux doigts de l’ironie et de l’irrespect dans cette époque, où marcher dans des règles de comportements poussiéreuses, est une obligation.Les titres s’enchaînent, les notes de "A hard day's night" virevolte joyeusement, Ringo batteur à tempo unique semble mal à l’aise sur sa chaise. En observant bien le visage de John Lennon, on s’aperçoit que la dépression est aux portes. Tout en jouant la démesure par la liberté de s’ébrouer et de s’exprimer dans une nature élargie, le groupe semble à la torture, la pression est trop forte par moments on pense à "Vie Privée" de Louis Malle, par contre ici le sourire reste de mise jusqu’au bout. Interdiction de s’effondrer.Les prémisses sont annonciatrices d’une conclusion néfaste liée au groupe et au système de dépendance qui en dépend. La manipulation de cette véritable bombe que représente ce succès devient soudain ingérable pour ces quatre garçons visiblement dépassé, devenant uniquement des machines à jouer.Le groupe est manipulé par un Richard Lester se lâchant par des mouvements de caméra en hauteur où l’espace offert au mouvement est un vrai bonheur, dans une Angleterre rigide, c’est une seconde naissance.Tout ceci ressemble à une pantomime libératrice tentant de s'extraire d'un réalisme anglo-saxon aussi raide que durable.
  • HORIZONS PERDUS (1937)
    L’utopie, pénalisée par une impossible naissance, devient la ressource principale de l’ironie, voire d’une moquerie désabusée. Cela pourrait être l’unique perception de ce film, un peu naïf, projetant suite à un départ précipité, quatre Américains dans une configuration fantastique. Au-delà du froid et de la glace, sur des hauteurs pratiquement infranchissables, se trouve une vallée verdoyante, Shangri-La. Découverte dans la douleur, le site offre des vents calmés, une température clémente et des rires spontanés, l’accueil est chaleureux, la faune idyllique.A l’inverse d’Aguirre, Robert Conway n’envahit pas ces territoires inconnus, il y est convié par une douceur désarmante. La vallée s’auto-alimente en gestes simples, ici rien ne change, la base est immuable. Les tempéraments des nouveaux arrivants se transforment, au début réticents, ils s’adaptent et songent à ne plus repartir.Film culte, chef-d’œuvre de la quête récompensée, "Horizons Perdus" est un apaisement bienheureux. Au-delà de cette frontière, que Sondra empêchant Robert Conway de partir, ne peut franchir, les vents sont déchaînés, le froid est un poignard, dans ce contexte l’homme redevient immédiatement mauvais. Le long calvaire du retour vers la civilisation à travers ces montagnes, où la mort peut surgir à chaque instant, précipite de manière désordonné un homme complètement desséché vers ses semblables. La route est faite à l’envers. Robert Conway le comprendra et agira en conséquence.Frank Capra, dans ses films, offre bien souvent une seconde perception à l’homme projeté, dans un premier temps, dans des comportements universels. Georges Bailey rêve de conquêtes, il y renoncera en sauvegardant un bien précieux, la présence constante de sa famille et de ses amis. Tout est au kilomètre carré et pour toute une vie.A Shangri-la, dans un premier temps, on pleure un monde perdu, puis on s’adapte en visitant les lieux, les idées fusent, tout est à entretenir ou à améliorer, le basculement s’opère naturellement, le nid est fait, on ne regarde plus derrière soi.
  • MON ONCLE (1958)
    Hulot tente en vain d’allumer sa pipe avec une allumette. Ce sont les derniers spasmes d’un lunaire, essayant désespérément de résister à l’attrait du briquet. Vestimentairement déphasé, il montre sa différence par le port d’une gabardine et d’un parapluie par temps clair. Son immeuble est l’image architecturale d’un esprit parvenant au but par l’incohérence d’un parcours toujours incertain. On grimpe quelques marches, pour aussitôt redescendre de quelques mètres, un léger parcours plat précède une dernière remontée, l’homme est enfin chez lui, après de nombreuses remises en questions.A l’extérieur, les terrasses de cafés sont animées, les scènes de marchés sont pittoresques, c’est un véritable catalogue de transactions entre vendeurs et clients, l’approche est simple, chacun respecte sa procédure de contact en relation, avec le règlement relationnel qu’impose les besoins de chaque participant, c'est le royaume de la cause et de l'effet.Non loin de là, c’est un autre monde, le modernisme a envahi les lieux de cette maison complètement fermée sur elle-même. On déclenche le jet d’eau extérieur en fonction de la position sociale du visiteur, les pièces sont d’un blanc peu engageant, les gestes des occupants maniérés, l’électro-ménager est imprévisible.L’imposante voiture sortant du garage est un signe des temps, la naissance d’un nouveau personnage en costume cravate imbu de sa personne, fier de la conception de son logis, recevant ses clients dans des bureaux gris et froids où les dossiers à traiter sont pratiquement inexistants sur les tables de travail.C’est la parade de l’inutile que Hulot essaie de contrer par un vieux vélomoteur imposé dans un espace vert où chaque pas est réglementé.Gérardn l’enfant de la maison, s’ennuie et se ressource par des blagues ancestrales dans des terrains vagues, seuls endroits naturels encore préservés.Hulot montre ses limites d’intégration par ses difficultés à gérer des tuyaux, prenant subitement l’image de saucisses. Par un geste naturel un chien referme la porte électrique du garage sur la maîtresse de maison et son mari, le symbole est fort, un modernisme anarchique tétanise des disciples décontenancés, qui ne savent plus comment s’en sortir.Les grosses voitures américaines prennent possession des routes, c’est la monstrueuse parade de l’arrivisme par l’adoration de la tôle. "Playtime" s’élabore lentement dans ce premier jet prophétique.Les seuls éléments non touchés sont les enfants et les chiens, qui par leurs ébats respectifs naturels, servent de prologue et de conclusion en freinant au maximum ce basculement inévitable de nos sociétés vers le presse-bouton.
  • LE LOCATAIRE (1975)
    "Le Locataire" est un voyage hallucinant menant de l'oppression à la folie. L'hostilité ambiante dans cet immeuble est sinistre, permanente, une étreinte douloureuse subit continuellement par ce nouveau locataire au nom imprononçable. Trelkovski ne semble pas concerné par toutes ces accusations répétitives, ces comportements incohérents, ces visages livides aux mots froids et procéduriers, ces coups au plafond répétés inlassablement, ce cafetier absent, imposant sa loi au sujet des consommations de boissons et de cigarettes, ces visites soudaines d'inconnus, se terminant par des pleurs, ces fausses pétitions introduisant dans l'appartement un regard soupçonneux.La privation des libertés semble dans un premier temps l'identité de ce complot raciste où toute une machinerie humaine de causes à effets s'acharne sur cet homme fragile. Cependant tout est trop outrancier, improbable dans une logique relationnelle où chacun connaît les limites à ne pas dépasser.La déstabilisation constante endurée est-elle vraiment réelle ou bien représente-t-elle une lente descente aux enfers d'un esprit malade, incapable de s'exprimer, encerclé peu à peu par sa propre paranoïa, gestionnaire d'évènements douteux incompatibles avec la réalité?Au fil de cette dérive obsessionnelle, les visages se transforment deviennent plus déterminés, le plan de destruction final s'accentue jusqu'à l'inexorable conclusion voulue par un Trelkovski déconnecté de la réalité."Le locataire" est la suite logique d'un concept élaboré dans "Le bébé de Rosemary", la dégénérescence obsessionnelle où déjà une entité fragilisée psychologiquement devait subir l'attaque de front d'un groupe dangereux embusqué derrière un relationnel courtois récupérateur.Ici tout est inversé, les voisins sont soupçonneux, médisants, le chien de la concierge est hargneux. Situé dans un quartier sinistre de la capitale, l'immeuble est presque insalubre sans commodités intérieures, des figures de cire vous fixent à volonté, presque à la limite de l'outrage, tout cela ne peut être vrai.Trelkovski évolue sur un territoire kafkaïen où sans le savoir ses cauchemars répondent à une demande secrète, l'apocalypse d'un visuel inadapté pour un homme qui ne communique avec ses semblables que par l'élaboration d'une folie interne.
  • L'OPINION PUBLIQUE (1923)
    Charlie Chaplin met les choses au point dès le départ par un petit message d'information, il n'apparaît pas dans "L'opinion publique". Dès la première image, on perçoit de suite l'atmosphère pesante d'un logis de province triste, noir et embrumé. Marie Saint Clair est séquestrée par un visage paternel de cire.Jean Millet son amant ne peut imposer une union à un père obtus. La grisonnante chevelure d'un géniteur dépassé est synonyme de conflits de générations et d'hostilité envers un couple désargenté, mais désirant se stabiliser par le mariage.Devant de telles pressions paternelles, la fuite est inévitable, mais Marie par un concours de circonstances défavorables l'exécute seule. Dans la capitale, la beauté aidant l'ascension devient rapide, Marie côtoie les fumets, les liqueurs et les champagnes, Jean est archivé, Pierre Revel son nouvel amant riche, brille de mille feux.L'ambiance est balzacienne, "Grandeurs et misères des courtisanes" avec entre ces deux extrémités, une réflexion de la belle sur l'intérêt de l'existence, la caresse de son collier par Pierre, lui donne une vision du milieu.Les débauches parisiennes sont récurrentes, les dîners deviennent ennuyeux et Pierre ne reste jamais.L'impact de la gaudriole semble un moment indélébile, les paillettes sont grisantes, les amies enjouées. Jean devenu artiste peintre refait surface, l'environnement protecteur est reconsidéré par une sensibilité, la morale reprend le dessus, Marie élabore un avenir avec son premier amour même dans le dénuement.Il faut attendre la conclusion, pour savourer la douceur d'un retour aux sources, impératif pour un équilibre. L'intérêt pour des enfants socialement perturbés par la misèreMarie, empêchée par le destin de conclure selon une lucidité retrouvée, rebondit en fuyant la sécheresse d'un contexte artificiel, uniquement basé sur le paraître, en protégeant par l'investissement de belles têtes blondes orphelines, elle retrouve un naturel enfoui.Pierre un instant nostalgique sur une route de campagne dans sa luxueuse automobile se demande ce que Marie a bien pu devenir. Une charrette croisée sans un regard contient la réponse.Charlot, prince incontesté du mélo, tapisse cette oeuvre de référence de tous les ingrédients nécessaires à un parcours artificiel, s'achevant sur une prise de conscience et un recadrage sur les vraies valeurs de la vie.Marie quitte la misère en qualité de victime pour la retrouver et la combattre dans une maturité conquise dans la superficialité des salons.Un chef-d'oeuvre.
  • MACBETH (1972)
    De retour de guerre, Macbeth est dynamisé par la prophétie de trois sorcières le prédisant Roi d’Ecosse, mais pour cela il ne suffit pas d’attendre patiemment la mise en marche du destin, il faut s’investir physiquement dans le projet, les vies sont courtes, les conflits incessants, agir à la seconde, saisir l’opportunité, l’époque ne prédispose pas à une passation de pouvoir temporelle décidée par la nature. Les derniers scrupules s’anéantissent au contact d’une Lady Macbeth (Francesca Annis) vénale, sulfureuse et impatiente, un coach dans l’ombre, un potentiel sans pitié, programmée dans le mouvement d’autrui.Sans cesse harcelé par cette féminité négative motrice Macbeth réplique "J’ai tout ce qui sied à un homme pas davantage", cette phrase ambiguë d’un futur roi déclenche le plan, une violence terrible par l’accaparement d’une terreur interne et externe, n’arrivant pas à freiner la détermination d’un homme prêt à tout pour être souverain.Une hallucination, interprétée comme directrice, conduit Duncan Roi d’Ecosse et hôte de Macbeth, à être saigné pendant un demi-sommeil. C’est la pire des trahisons. Macbeth est roi par le crime d’un protecteur sacrifié sur l’autel de l’ambition et devient maudit, dévoré par le spectre de sa victime.Macbeth est une œuvre extravagante à la limite du grand guignol. Nous sommes en 1971, deux ans après la terrible disparition de Sharon Tate, on ne peut l’ignorer, à la vision de toute cette hémoglobine outrancière.Roman montre la détresse de ce qu’il vient de vivre, tout en respectant la nouvelle loi du marché cinématographique, de ces débuts d’années 70. Sam Peckinpah est passé par là, en imposant un cinéma rouge vif, Roman Polanski suit le sillon en intégrant son vécu.L’auteur livre en parallèle sa psychologie par la constitution d’un puzzle à l’image d’une seule pièce. En regardant "Macbeth", on y trouve "Le locataire" embusqué dans les méandres diabolisées d’une perte de raison mutuelle, entre un criminel arriviste et une persécution créée de toutes pièces.Un centre de gravité propulsé dans une filmographie constamment dérangeante. La démesure au service de l’alimentaire dans une époque où le L.S.D est le compagnon de base d’une génération en manque de repères.La drogue n’est pas présente dans "Macbeth" ni dans "Le locataire", les deux personnages semblent pourtant en manque, ce qui déclenche certainement leurs excès.
  • LES AVENTURES DE RABBI JACOB (1973)
    Victor Pivert, chef d'entreprise raciste, fliqué par une mégère hystérique, donne sa fille Antoinette en mariage au fils d'un militaire de carrière. Apprenant que son chauffeur est juif, il le garde à son service pour plus tard le licencier en lui offrant des Sabbats en soldes. Le fond d'un effarement est touché, quand il se retrouve projeté sur la route d'un mariage mixte en adoptant instantanément, suite à une réflexion de trop, la couleur de la mariée.Non loin de là, des Arabes se contorsionnent dans des conflits internes, c'est beaucoup pour une journée surtout dans une logique "Vieille France" ou la couleur blanche se doit d'être protégée de toutes ces soudaines nouveautés.Un Arabe, subjugué par les rousses, bénit un jeune Juif, voyant à travers un habit mal porté une chaleur humaine. Un faux rabbin donne des bénédictions papales, rue des Rosiers, un ministre essaie de refourguer du matériel militaire à un nouveau président, Germaine Pivert fait du mélo à Orly sous les regards d'un Farès médusé et sans parades, devant de tels débordements féminins, c'est un message : attention la femme a du potentiel en réserve et le montre bruyamment.Une danse improvisée rapproche Juifs et Chrétiens, dans de mêmes pas exécutés instantanément, c'est la communion solennelle spontanée de tous les composants de la terre embrigadés dans une aventure où chacun est l'autre en restant soi-même. Un récit unitaire se construit par les différences, chacun apporte par sa compréhension, l'immense espoir d'une implication commune de plus en plus importante, rythmée par le mouvement.Slimane s'émerveille devant la belle chevelure d'Antoinette, Victor Pivert défend sa tribu les Smolls, Rabbi Jacob rêve de revoir sa Normandie, des policiers confondent port du chapeau obligatoire et fausses coutumes de saluts. Chacun inconsciemment communique avec son opposé par le paradoxe et l'acquis d'une éducation distribuée par des pairs dont les approches sont révolues.Les mentalités s'offrent, s'entrecroisent, dans un récit volontairement ouvert à toutes les configurations. C'est la nouvelle terre où les mains de cousins éloignés se serrent en amorçant un existentiel peut-être un jour commun.Le cinéma de Gérard Oury nous manque beaucoup, il offre bien souvent la saveur finale d'un bouillon d'idées de tous bords, construit et structuré par la comédie.Personne n'est à bannir, tout le monde est à discipliner dans un monde responsable. Le créateur ne porte qu'un seul nom : Amour et cet état se doit d'être universel.
  • ALEXANDRE LE BIENHEUREUX (1967)
    Alexandre n’en peut plus, les tâches quotidiennes à la ferme sont harassantes, il n’en fait jamais assez, le planning élaboré par sa femme "La grande" est hors norme. Heureusement la providence veille. Tout plaquer n’est ce pas le rêve de chacun ? Ne plus exécuter aucun geste productif, sauf déboucher dans son lit une bonne bouteille.Ce nouvel environnement, où l’horizon ne dépasse pas sa fenêtre, commence à faire des émules dans cette campagne où tout le monde travaille dur. La paresse est à la base un tabou monumental pour ces paysans costauds, au service de la terre.Ce nouvel état bienfaiteur, conquis à long terme, active la détermination de la collectivité déstabilisée dans son rituel quotidien, avec les travaux de la ferme à remettre Alexandre sur le marché de la sueur, celui-ci tient bon, endoctrine ses camarades.Cette fable utopique, bienfaitrice, détruit le temps, qui sans cesse oblige à refaire les mêmes gestes. Les animaux sont libérés. La maison est grande ouverte.Par ces images, c’est l’esprit d’Alexandre qui s’ouvre à la liberté par le boycott de l’horloge. Le chien fait les courses, conteste les prix. La municipalité s’affole devant cette force de la nature qui met ses biceps au repos prolongé.Yves Robert saupoudre bien souvent ses œuvres de bandes d’enfants curieux, virevoltant dans les campagnes là où l’air est pur, le contexte de cette France rurale est attendrissant, les profils burinés sont aux service de cette terre qui usent les corps, depuis des millénaires.Alexandre, nouveau concept contemplatif, devient une icône. Les esprits cogitent, se remettent en question, ce purgatoire terrestre est contesté.La terre n’est plus travaillée et elle est admirée. C’est la quête de l’essentiel, le temps au ralenti, socialement ce n’est pas la dégringolade qui nous fait si peur, si l’on arrête toutes productions, Alexandre n’est pas en ville, au contraire, il s’épanouit là où l’espace l’entoure de ses bras.La terre, reconnaissante de ne plus être retournée, semble le remercier en lui offrant la lumière de ses champs.Alexandre est un fantasme, un eldorado d’images improbables, inconstructibles, dans nos sociétés sectaires.Déjà à sa sortie en 1967 (en plein mouvement hippie et un an avant Mai 68) le message était fort, sur l'endoctrinement des masses par des taches répétitives au service d'un capital avare en redistribution.Ce pamphlet annonce l'exigence d'un peuple, au droit de souveraineté cérébrale.
  • LA NUIT AMÉRICAINE (1973)
    "La nuit américaine" est certainement le premier "making off " cinématographique de longue durée de tous les temps. Toute la machinerie nécessaire au fonctionnement d’un film est présente, sur cet immense plateau où l’on côtoie une véritable pyramide hiérarchique, partant d’un essaim de petits boulots (accessoiristes et assistants) qui très jeunes pour la plupart, font leurs premiers pas dans les métiers du cinéma.Cette spirale nous transporte vers le caïd du plateau, le réalisateur Ferrand, essayant en maîtrisant son stress de faire avancer le tournage de son film "Je vous présente Pamela", compromis quotidiennement par les humeurs des comédiens qui ne sont que des humains fragiles, devant contenir les trépidations capricieuses d’une vie quotidienne agitée par une concentration à toute épreuve que nécessite l’interprétation de personnages rigoureux.Ferrand se débat entre journées épiques et nuits cauchemardesques. Le tout sur pression quasi permanente de son producteur.Des interactions interviennent entre comédiens et personnages, qui ne se contrôlant plus, vivent les mêmes passions que leurs rôles. Le virtuel devient réalité.Séverine, actrice grignotée par l’alcool, s'avère incapable de réciter un texte à la perfection, toute l’équipe n’étant pas dupe de ses maladresses, l’encourage malgré tout à persévérer, qu’importe les aléas, l’entreprise doit réussir, même s'il faut employer la flatterie hypocrite qui bypasse le constat d’une actrice déclinante.Alphonse, comédien jeune et fougueux, à l’image de Julien Sorel, ne sait pas gérer ses soudaines passions éphémères, qu’il ressent pour Pamela (Jacqueline Bisset) qui en véritable mère, plutôt que femme, accepte de noyer dans l’étreinte ses démesures.Alexandre, par un événement tragique, apporte ce que chaque metteur en scène redoute le plus pendant le tournage d’un film.Toute la ruche des assistants, avec les jeunes comédiens débutants, que sont à l’époque : Nathalie Baye, Dani, Bernard Menez et Jean François Stévenin sont par leurs fraîcheurs, les emblèmes de ces métiers du cinéma stressants et conviviaux. La scène du chaton refusant d’exécuter ce qu’on lui demande est symbolique d’une équipe soudée persévérante.A fur et à mesure que le temps passe, l’inquiétude se lit sur leurs visages : Que feront-ils après ? Le dernier jour de tournage avec le traditionnel pot de départ, malgré son coté festif, désintègre toute une chaîne d’esprits."La nuit américaine" est une œuvre culte qui porte le nom le plus fabuleux "Vie". Cette fonction fabrique, de bas en haut, un groupe où chacun, motivé par son travail, active une énergie où tout n’est qu’un.Vive le cinéma.
  • MEDEE (1969)
    Ce qui est envoûtant, est intemporel, Médée représente une parfaite illustration d'une progression lente, ennuyeuse presque, fixe si l'on ne désigne pas ses longueurs interminables comme de l'art. Médée à trahie les siens pour l'amour de Jason, ce n'est pas évident d'en faire une certitude, tant les images sont peu mouvantes, à peine convaincantes, posées sur de longs regards fixes et silencieux.Maria Callas offre un profil généreux, scruté par la caméra de longues secondes. Le cadrage pasolinien est volontairement déroutant et imparfait, ne montrant parfois que trois quart de ciel, admiré par un visage sans corps.Certains comportements sont anachroniques avec ces clins d'oeils et ses sourires modernes, abusivement trop chargés pour l'époque.Pasolini dénude les chairs masculines, elles semblent trôner et avouer l'homosexualité meurtrière du cinéaste, par leurs influences outrancières sur le film, le maître impose ses gitons dans une nature infinie d'un blanc teintée de rouge, les rituels sanglants sont acceptés par des sourires inconscients, les visages sont voilés et s'embusquent dans des tenues d'un autre temps.L'esthétisme l'emporte sur l'histoire, si l'on veut approfondir le texte d'Euripide, inutile de s'aventurer dans ces deux heures pénibles récupérées et imposées par un cérébral atypique, se servant d'un classique pour s'ébattre.Certes le manque de dynamisme est largement comblé par des décors et des costumes magnifiques, l'emportant sur un conversationnel réduit au maximum. Certaines scènes décisives, d'une violente insoutenable, sont atténuées par une approche lointaine.Pasolini donne la priorité à l'espace en le nommant macrocosme, celui-ci avale l'homme, minuscule fourmi se débattant dans des cérémonies barbares ignorées par une architecture elle même tourmentée par ses formes.La lumière est vaste sans limites, sa force minimise de petits corps rongés par la puissance inassouvie, cette toison d'or est convoitée, volée, par une femme détruite, suite à un amour violent, sous la coupe d'une chaleur torride.Une extraordinaire passion est annihilée, le calme flamboyant des étendues est oppressant, un lyrisme absent prend forme par de longs silences. La nature absorbe les vitalités de ses composants. Médée est dévorée de l'intérieur, la clarté de ces vastes distances reste imperturbable devant une nature humaine managée uniquement par ses passions et ses violences, le tout sur une terre désolée.
  • BUNNY LAKE A DISPARU (1965)
    Une balançoire en mouvement dans un jardin représente le seul impact d'une présence. Bunny Lake, quatre ans, disparaît lors de son premier jour de maternelle, le personnel n'ayant aucune physionomie d'ensemble, ne garde aucun souvenir de cette petite fille. Ann Lake surprend par un comportement distant devant un tel drame, ses quelques larmes tardives renforcent un doute logistique, gravitant autour d'une enfant introuvable. Pas de photos, aucune déclaration administrative, l'étau policier se resserre sur la psychologie de la mère.Newhouse, inspecteur pas très motivé par cette enquête, se soulage en ingurgitant des desserts d'enfants, Stephen Lake allié "inconditionnel" se débat afin de maintenir les sens de sa sœur hors de la folie.La progression s'aimante doucement vers l'impensable. La vérité se dévoile soudainement dans une poupée en flammes.Dernière œuvre marquante d'Otto Preminger, "Bunny Lake a disparu" est une excellente montée chromatique vers une conclusion fantomatique démente, un final de quinze minutes à couper le souffle où Ann "Mère courage" démontre un sang froid hors du commun afin d'empêcher la pire des choses.Otto Preminger dans une fin de carrière au top, offre un film captivant par une noirceur pas forcément nouvelle, mais réactualisée. Une scène symbolique démontre une certaine passation de pouvoir assimilée par un cinéaste, entamant dans la sérénité sa dernière décennie sur la terre.Newhouse (que l'on peut comparer dans ce passage à Otto Preminger) regarde dans un pub un programme télévisé et semble amusé devant les gesticulations d'un groupe pop des années 60 "les Zombies".Des cheveux grisonnants côtoient une nouvelle énergie à la chevelure abondante. Tout cela semble démontrer l'éclosion d'une nervosité cinématographique auquel Otto Preminger participe, en offrant en bout de course, ce film neuf, premier d'une longue série où il ne sera que spectateur, mais initiateur du concept.Ce vieux renard des pellicules se fait plaisir en marchant aux cotés de ce qui va lui survivre, un cinéma noir et réaliste qu'il connaît bien, l'atmosphère est angoissante, brumeuse les rebondissements bien souvent offerts par des femmes à plusieurs facettes.Ann fait penser, dans un premier temps, à Jean Simmons, belle brune déséquilibrée, dans "Un si doux visage", c'est dangereux dans un contexte de disparition d'enfant.La trajectoire négative de départ est majestueusement corrigée pour laisser place à une volonté de récupération.Un cinéaste adorateur de gestes et d'attitudes, évoluant au cours d'un récit, tire sa révérence dans la plus belle des sorties.
  • JEREMIAH JOHNSON (1972)
    "Ce que tu as appris en bas, ne te servira à rien par ici". Les premiers pas de pèlerin en pleine nature, malgré un choix délibéré, sont laborieux, l'accueil est glacial, les premières pêches médiocres, le mépris du regard indien devant tant de maladresses, est une condition impérative à s'améliorer, afin d'être accepté. Une offrande congelée, tombée du ciel, assure gibier et pitance, un grizzly est livré à domicile, des Indiens font le signe de croix et parlent la langue de Molière devant un crucifix anachronique.Un assistanat improvisée projette ce nouveau venu dans une vigueur protectrice, la veuve et l'orphelin est un concept universel, pour en assurer la survie, il faut être conditionné physiquement, avoir la parole brève tout en veillant sur son cuir chevelu susceptible d'être scalpé à chaque instant.Les rencontres fonctionnent par cycles. "Toujours en vie ?" sont les premiers mots des retrouvailles. Les propos délivrés à cheval, face à l'horizon, sont somptueusement improvisés par la transcendance.C'est presque un miracle de survivre, dans une telle fragilité extrême d'acquis menacés, les profanations de cimetières de corbeaux se paient cher et en temps réel, les loups affamés surgissent de nulle part et entaillent les chairs, pour s'en sortir, il faut renvoyer la force à la force par un cri à l'image d'un fauve aux dents acérés."Jeremiah Johnson" est l'initiation d'un parcours de comportements dictés par des lois naturelles, il faut chasser, pactiser avec un maître expérimenté des lieux, assurer sa pitance, se chauffer et surtout ne pas mourir.La violence urbaine est échangée contre une violence naturelle instinctive, régit par la faim, pèlerin envahi par la majesté des Montagnes Rocheuses, ne peut hélas, se contenter de cette seule image, il faut gérer la soudaineté des évènements, en s'adaptant à une nature imprévisible.En ces débuts d'années soixante-dix, le courant écolo donne un second souffle au mouvement hippy, communier avec la nature, en acceptant sa puissance et sa dépendance, est un courant attirant bypassant une vie terne, programmée en usine ou en Z.U.P. Les extases et les devoirs font leurs bagages en s'exécutant sous les boisages et sur les cours d'eaux.Rien n'est offert, tout se gagne, on obtient ce que l'on convoite par l'expérience acquise en solitaire et en mouvement constant, il est impossible de se poser sur une faune rythmée par une réaction intuitive liée aux saisons.Pèlerin, tout en restant homme devient un jaguar migrant à l'œil perçant.
  • LE FEU FOLLET (1963)
    Le "feu follet" est un constat sur le refus de s’assumer dans un monde responsable. Un regard vide, indifférent, offert par un détaché en cure de désintoxication, cible ceux que l’on entend plus, que l’on ne voit, plus malgré quelques bons conseils rationnels sur les devoirs de l’existence.Certains vous tendent la perche, mais celle-ci est méprisée par un homme décidé à s’éjecter d’un contexte refusé en quarante huit heures d’errances parisiennes, s’achevant sur un nombre fatidique, choisi où tout s’éteint.Des mains rivées à un corps sans énergie exécutent des mouvements, déplacent des objets sans pour cela respecter la lucidité d’une logique.Alain Leroy délimite le pouvoir d’une décision en caressant les contours métalliques d’une délivrance. Le monde n’est plus perçu, les séquelles de l’alcool, ajoutées à une paresse existentielle, ont crées des sillons irréversibles.Dans un contexte de départ thématique un homme sans but, s’asperge jusqu'à plus soif d’un vice préalablement endormi, la dernière perception d’une fête incessante réveillant pour quelques moments les sens d’un indifférent.Ce film pour public très averti, tissé dans un leitmotiv musical satien, déprimant à souhait, est désorientant, décalé, au delà de tout normalisme nécessaire, entretenant par un équilibre salutaire trente glorieuses, toiles de fonds accompagnatrices d'un personnage refusant de s'intégrer à la prospérité d'une époque.Alain Leroy frappé d’une mélancolie tenace ne voit que ce qu’il ne désire, que voir condamnant ainsi toute thérapie victorieuse.Diminué par son propre mal, déconnecté des responsabilités par un coté jouissif inassouvi, sa descente aux enfers s’effectue dans un état second fait de rencontres éphémères dans un parisianisme sans âme.Un inéluctable processus transactionnel sans intérêt tire vers le bas un être vaniteux, ventilant de son esprit des choses simples, synonymes malgré leurs absences de lumières d’une continuité.
  • FENETRE SUR COUR (1954)
    "Fenêtre sur cour" ressemble à une pièce de théâtre intra muros, offerte à un immobilisé temporaire. Voir sans être vu entame un passe-temps égreneur d’heures longues, ennuyeuses, entretenant une véritable passion admirative et sans bornes envers les prestations offertes par les locataires de ses grandes baies ouvertes. Jeff Jeffries momentanément inactif se pâme de bonheur devant les perceptions liées aux âges de cette faune scénarisée, offerte au regard d’un embusqué, par la dominance d’une météo accablante, imposant les grâces d’un courant d’air permanent.Un simple mateur devient un voyeur professionnel, reléguant au second plan une apparition sublime émergeant d’un demi-sommeil, un nouveau pensif accablé de chaleur.Elaboré dans son intégralité en studio, ce huit clos majestueux fascine par ses incohérences. Un hélicoptère surgit de nulle part frôle le toit d’un immeuble, ne s’ajustant pas à la logique de ce lieu reclus, d’une urbanisation sans âme.Curieusement le contenu est truffé d’extravagances bienfaitrices nécessaires à la bonne conduite de ce récit prisonnier de quelques centaines de mètres carrés.La vie se trouve en arrière-cour et non au bout de ce passage où l’on distingue à peine une foule mécanisée. Dans ces appartements tout bouge magistralement, trop intensément, de manière surdosée, théâtrale, outrancière.Un spectacle ininterrompu, activé en fonction des besoins ventilés par ses va-et-vient perpétuel d’une pièce à l’autre. Rien que pour cette énergie existentielle, offrant le mouvement à un site calfeutré, ce film est un chef- d’œuvre.Toutes les directives de la vie s’expriment en secret à deux pas d’une grande artère anonyme. La caméra comprime en une seule valeur les pointes d’une danseuse aux pleurs, d’une femme esseulée.D’une fenêtre à l’autre, les frivolités cachées d’une jeunesse cèdent la place à un dîner en solitaire mimant un convive invisible.Une vie devant soi en overdose, masquant ce qu’il y a de plus beau, l’élégance platinée d’une femme aimante, attendant patiemment que la crise de voyeurisme d’un être aimé s’estompe dans un repos réparateur.
  • SOLEIL VERT (1973)
    Les technologies modernes cinématographiques sont impitoyables envers ce film culte rétrogradé au rang de lenteur d’exécution dont nous ne sommes plus habitués. Pourtant quel engouement au moment de sa sortie envers un état des lieux sordide où toute la nutrition est en pilule. Une déchéance humaine et sociale, pas si lointaine à l’époque, si proche maintenant, surtout avec ces problèmes de promiscuité semblant nous avoir rattrapé.La procédure d’un monde à deux vitesses, où les riches sont confortablement installés et protégés tandis qu’un immense bétail croupi dans les rues, n’annonce-t-elle pas le terminus de nos possibilités futures ?Tous ces corps avachis envahissant ces escaliers sordides, ayant encore la force de respecter quelques privilégiés possédant quatre murs, sont presque absurdes dans un contexte aussi brutal où tout le monde, en respectant la logique de ces temps, devrait s’entretuer."Soylent Green" se sert hélas un peu trop d’une toile de fond futuriste pour ne montrer qu’une banale enquête policière, enrichie de quelques scènes chocs démontrant que le récit reste sur les rails d’une anticipation.L’ensemble est sauvé par une scène remarquable, sensible au dernier degré. Une dernière vision symphonique d’un monde détruit, contemplé sur écran géant, offert à des pupilles dilatées devant ce qui n’est plus."Comment aurais-je pu imaginer cela" s’exclame un homme broyé par son temps, devant de l’eau, de la verdure, des animaux et des fleurs, éléments naturels annihilés par la bêtise de cloîtrés insensibles à l’instinct, se suffisant à eux-mêmes.Ici on traverse une immensité de dortoirs où la seule énergie d’un mort- vivant est occasionnée par l’impact de balles perdues."Comment en sommes nous arrivés là ?".
  • PLANÈTE INTERDITE (1955)
    "Forbidden Planet", adaptation de la dernière pièce de William Shakespeare, "La tempête" est une relique en puissance, sortant de nulle part. Sans références sur un tel sujet, du réalisateur aux comédiens tout le monde semble être nés coiffés, dans la réalisation de ce travail somptueux. Elaboré par un toucher neuf, presque hors du commun, cet opus se propage dans le cosmos de manière amusante en imposant les délices de la soucoupe, star de ces années cinquante. Intérieurement, on se croirait presque sur l’Enterprise par ces petits clins d’œils logistiques au capitaine Kirk.Le contenu, accompagné d’une partition instrumentale exclusivement électronique, bénéficie de décors extraits d’une littérature adolescente du Mercredi, tâtonnant à son niveau les prémisses d’une science perçue de manière primitive, presque poétique.Ce sont les premiers contacts modérés d’un esprit en pleine découverte avec l’anticipation, par l’intermédiaire d’une rassurante incrédulité naïve, premier pas d’une science livrée, scénarisée, de manière approchable dans une dominante futuriste.Le regard du profane en attendant un impact plus réaliste se laisse grisé par ces fausses montagnes, ces plaines interminables, couchées sous un soleil vert. Une vertigineuse descente dans des demeures abyssales, démesurées, démontrant la pointe d’une technologie un peu dépassée aujourd’hui, mais scintillante en son temps.Le personnage d’Anne Francis, complètement chamboulée par les sens, suite à l’apparition de jeunes mâles avides de possessions virginales, est charmant. Tout ce beau monde est précis dans le geste, respectueux dans un relationnel cinématographiquement correct, avec en particulier un cuistot s’adressant affectueusement à une machine considérée comme humaine.Délicieusement rétro, l’œuvre vaut de l’or pour son manque total d’adhésion à un processus plus rigoureux, que "2001 Odyssée de l’espace" se chargera d’instaurer.Sur Altair, c’est le règne du savant fou, de la petite jupette et du robot fabricant de whisky. Le tout mêlant l’univers à une aventure presque exotique parfaitement acceptable grâce à des trucages élaborés, éloignant cet agréable divertissement d’une série B."Forbidden Planet" est un premier contact décalé indispensable avec un autre monde avant de basculer dans le royaume réaliste des sophistes.
  • LA VENGEANCE AUX DEUX VISAGES (1961)
    Voici sans aucun doute le western le plus étrange de tous les temps. Mêlant actions et lenteurs le tout en bord de mer, "La vengeance aux deux visages" semble reproduire l’intérieur contrastée du maître lui-même qui s’essaie pour un unique fois à la réalisation.Le scénario est banal, deux braqueurs Rio et Dad, se donnent rendez-vous pour le partage d’un hold-up, Dad trahit et s’enfuit avec le magot, Rio est arrêté, il s’évade cinq ans plus tard, bien décidé à se venger.Pendant ce temps, Dad s’est offert une conduite, devenu shériff, il se marie et adopte la fille de sa femme.Est-ce une façade pour un homme qui dissimule au fond de lui un fond toujours aussi mauvais ? Et surtout faut-il néanmoins, en tenant compte de ce fait nouveau, appliquer la loi du talion, malgré l’image d’une ancienne trahison atténuée par le visage nouveau de son ancien complice réinséré et respecté ?.Cette œuvre fleuve (2h21mn) nécessite au préalable une préparation psychologique. Rien de commun avec le schéma traditionnel du genre.Le spectateur, si l’anachronisme avait un sens à l’époque, aurait pu se sentir projeté dans l’ambiance de "Paris Texas" de Wim Wenders. L’espace est roi. Le cheminement menant à l’affrontement final est une longue route semée de remise en questions.Les longs têtes à têtes, avec la très belle Pina Pellicer, belle-fille de Dad, séduite dans un premier temps par vengeance, casse un rythme laborieux difficilement acquis.La mer, omniprésente par ses remous berçant, est un contrepoids supplémentaire à une vivacité déjà compromise. En une phrase, il faut s’accrocher, haut les cœurs.Bref, ce film par toutes ses innovations, est un chef d’œuvre. Marlon Brando, tenant à signer son opus en y imprégnant sa personnalité, campe un héros à double facette, déterminé mais fragile, ne semblant pas de taille à résister à Dad, masochiste prononcé, s'acharnant à détruire une volonté de vengeance.Sa résolution à réapprendre à tirer au révolver, suite à la destruction partielle de sa main par son ancien complice, est plus un objectif cérébral qui ne garantit pas forcément la réussite finale de l'entreprise.Le cas de conscience est d’importance, Rio se positionne comme meurtrier potentiel du beau-père, aimé de la femme qu’il adore."La vengeance aux deux visages" au même titre que "La nuit du chasseur" furent deux révolutions dans le paysage cinématographiques de cette époque, ces deux piliers du septième art furent réalisés par deux comédiens dont ce ne fut que l’unique réalisation. Marlon Brando et Charles Laughton. Un fantastique coup de génie pour l’éternité.
  • CARTOUCHE (1961)
    Un léger clone de "Fanfan la Tulipe" et de "Cadet Rousselle" continue ses aventures en scope couleurs dans un contexte légèrement réactualisé. La trinité désinvolte de joyeux lurons sous les drapeaux active la tactique dite du lièvre devant un danger risquant de déstabiliser une bonne humeur de parcours. Ces trois là aiment la vie en lui inculquant une gestion particulière, adaptée à chaque rencontre.Cartouche, remarquable visionnaire, essaie de survivre en attendant le supplice de la roue, ultime rendez-vous lié à son rang. L'aristocrate et le gendarme sont bastonnés dans la joie et la bonne humeur. Tout est permis en attendant l'épreuve du gibet pour ces malandrins tentant de s'acclimater, le temps d'une courte existence, à une régence poudrée de mépris envers le va- nu-pieds.Ce pamphlet dénonciateur préfère amuser tout en gardant un message dramatique sous-jacent. Le détrousseur, sans illusions sur un avenir à long terme, se véhicule joyeusement sur le territoire de France, propulsé par la rapine, la raclée et le bon mot.On dévalise le carrosse presque avec respect, vaporise la comtesse de rhétorique amoureuse, éjecte en plein vol le maréchal de sa carriole, libère la gitane dans une taverne, se devant d'adopter suite à cet effet le statut de pulvérisée.L'aventure se vit de manière désordonnée, permettant récréations, beuveries et dérives, dans un monde où les responsabilités de maîtres efféminés sont uniquement positionnés sur les jolis minois.L'armée n'est pas en reste, plus le grade est élevé plus la réplique est somptueuse."J'ai perdu deux cent hommes aujourd'hui, j'espère faire mieux demain" s'exclame le colonel."Voici les trois héros de la journée, qu'on les mettent en première ligne demain", rétorque le Maréchal."Cartouche" active les derniers spasmes de bravoures d'un sacripant au grand coeur, se délectant de comportements paillards et chevaleresques sur un hexagone de misères.Amusons-nous en attendant la corde.
  • LES TEMPS MODERNES (1935)
    "La production démentielle ou l’enfer de la rue en alternance pour deux cobayes sans identité dans une époque du même nom dont on peut néanmoins atténuer les impacts grâce à un état second et une vivacité débordante. La pantomime et l'efficacité, l’automate et la fouine dans d’immenses salles de production froides et hiérarchisées ou sur les docks à l’affut d’une opportunité.Un même moule quotidien pour deux substances conservant miraculeusement absence et fraicheur dans une époque ôtée des trois quart de son humanité.Deux esprits sévèrement pénalisés par un environnement dégradé se réinventent en se servant d’un imaginatif leur ouvrant de nouvelles portes.Mimer un repas imaginaire devient le symbole d’un espoir celui de se reconstruire momentanément de manière virtuelle en attendant le retour de jours meilleurs.Le cœur y est et ça se voit dans ses œillades et mains tendues principaux remèdes affectifs de deux tourtereaux, parachutés dans une époque laborieuse dont il suffit de gommer les excès par un sourire et la volonté de se réaliser à l’aide de codes sentimentaux momentanément obsolètes.Deux roses sur un tas de fumier. Une complémentarité presque euphorique dans son décalage assure le maintien des sentiments dans un contexte ou la plupart des valeurs ont été mises à sac par la crise économique.Il ne suffit plus que de faire face main dans la main en se dirigeant plein d'espoir vers ce qui se cache derrière l'horizon.".
  • BELLE DE JOUR (1966)
    "Belle de jour", en respectant plus le fond que la forme, révèle les traumatismes d’un enfermement bourgeois ne drainant qu’absences et solitudes, constat ne faisant que naitre dans les rêves les plus fous le besoin d’être vivifiée par la salissure et la maltraitance. L’opus un peu trop sophistiqué est daté, mais dénonce correctement, sans excès, l’échec d’une assise bourgeoise confortable, ne créant que de l’ennui et du protocole.Ceci ayant pour conséquence d’alimenter un inconscient revanchard, ne rêvant que d’un autre monde fait d’expériences interdites dans les concepts les plus décalés."Belle de jour" sans grand éclat, suggère plus qu’il ne montre en appuyant bien sur l’antinomie et le phénomène excitant que représente Séverine, magnifique blonde, bourgeoise, désœuvrée, riche, distinguée, frêle et pale dont l’inconscient en révolte contre une sécurité devenue invivable, apprécie d’être rudoyé sans ménagement par le rustre ou l’obèse .Un contexte protecteur sans étincelles fabrique en parallèle la quête d’un statut, celui d’un être humain préférant l’approche perverse et virile que le modèle courtois.Un rendu vieillot un peu superficiel frôlant la caricature. A voir pour Catherine Deneuve frigide sublime ne quittant jamais cet état même après les effeuillages les plus fous.
  • LA DOUCEUR DE VIVRE (1959)
    Marcello Rubini à des années lumières d’un laborieux n'ayant que le terrain vague comme perspective d'avenir exhibe sa différence au petit matin dans une décapotable dernier modèle observant de loin la faible clarté de ces innombrables fenêtres dénudées incluses dans des tours immenses servant de toile de fond à un préservé de l'usine. Un Vitelloni new-look toujours festif recyclé dans un nouveau concept consistant à pister dans des lieux thématiques, la genèse d'un scandale carbonisant sans pitié de nombreux pétards mouillés n'atteignant les sommets que par leurs excentricités.Toutes ces femmes aussi belles les unes que les autres ne sont que des fantasmes, la nourriture répétitive d'un esprit ne faisant que dupliquer ses conquêtes plutôt que de les vivifier par un véritable ressenti.Il ne faut que séduire et dominer dans une sphère où tout s’évapore rapidement après usage pour mieux se reconstituer de manière identique.Dans des fêtes fumantes et alcoolisées où chacun se lâche dans sa superficialité en repoussant le plus loin possible l’apparition des premières fatigues.Un existentialisme nocturne puéril entretenant son retrait de la normalisation par un cynisme et un désespoir ne menant nulle part.
  • RAGING BULL (1980)
    Ascension et déclin, crise et repentir, paranoïa destructive, voici le bagage par intermittence de Jack la Motta déchaîné sur des rings surdimensionnés. Du rire aux larmes, ce personnage ambigu voyage dans des comportements dépendants. Certains proches maltraités deviennent, suite à des coups du sort, des épaules où l’on peut épancher des larmes d’enfant.Les coups pleuvent professionnellement et en privé. Les temps de dominances sont à l’homme, Vicky préfère dans un premier temps ne pas résister à ce brutal intuitif, dévoré par des scénarii d’infidélités internes, provoquant des rages folles.La beauté chorégraphique des combats habille d’esthétisme un tueur ganté qui sur le ring ne connaît plus personne. L’accolade et le baiser donnés à un Marcel Cerdan anéanti semble faire tache dans un concept de démolition permanente.Joey La Motta encaisse physiquement et moralement les dérives d’un frère maintenu difficilement sur le fil du rasoir, grâce aux règles de la boxe."Raging Bull" est une remarquable biographie. Un esprit martyr et bourreau se gère dans la douleur. Les excès bons où mauvais ne font qu’accélérer un processus de chute irrémédiable vers la difformité d’un corps meurtri par les coups et la bouffe non calibrée.Jack rongé par une hérédité de démolisseur alimente un milieu lui-même violent dans une suite de rituels sur le ring passant par des rictus faciaux et des calibrages de shorts, montrant à l’adversaire à terre une dominance toujours présente.Laminé en parallèle par l’auto-destruction, Jack malmène, entre chaque combat par une nourriture anarchique, un ventre devenu martyr.La triste récompense finale montre le manque de moyen dont dispose la boxe afin d’offrir à ses troupes de combats une reconversion digne de ce nom.
  • LE DIABLE PROBABLEMENT (1976)
    "Qui est-ce donc qui s'amuse à tourner l'humanité en dérision ? Oui, qui est-ce qui nous manoeuvre en douce ? Le diable probablement ! " Quelques esprits anarchistes visionnent en super 8 une entreprise journalière en démolition. Océans mazoutés, bébés phoques matraqués, champignons atomiques, usines polluantes. La liste est longue, notre terre agonise sous les yeux d'adolescents impuissants, réactivant les braises révolutionnaires d'une révolte par le slogan déterré et réactualisé. L'Agora stipule que ce sont les masses qui gouvernent et non la politique. Tout cela rappelle les propos d'un père des peuples aux slogans réenclenchés.Une jeunesse devenue anarchisante, suite au manque d'opportunité d'être exceptionnelle dans une époque exceptionnelle, se rue sur les ingrédients artificiels de son temps, reformate l'atmosphère glauque des "Possédés" de Dostoïevski, se drogue, paresse sous les ponts en alternant euphories et larmes, absences et lucidités, le tout ressemblant curieusement à un contexte Alzheimer en devenir. Fait des ronds dans l'eau en admirant les effets concentriques d'un dynamisme qu'elle a perdu. S'extasie devant la vivacité de survivre d'un poisson pris au piège."Il est vivant".Des êtres en conflit intérieurs ne sont plus capables d'activer une procédure s'inspirant de quelques repères encore existants, mais devenus invisibles. La vie est ses attraits sont toujours là, dans les rues, dans les autobus. Il suffit de s'extraire de ces propos auto-suicidaires d'anarchistes récitants où l'on aime son prochain en exigeant une soudaine solitude.Robert Bresson qualifie son œuvre de "vertige suicidaire collectif", un violent réquisitoire sur une époque industrielle éprouvante pour de nouveaux arrivants terrestres sans remèdes devant des fumées diaboliques crachées par des cheminées conditionnées, interfaces entre une terre exsanguë et un ciel silencieux."Ce qui m'a poussé à faire cette oeuvre, c'est le gâchis qu'on a fait de tout. C'est cette civilisation de masse où bientôt l'individu n'existera plus. Cette agitation folle. Cette immense entreprise de démolition où nous périrons par où nous avons cru vivre. C'est aussi la stupéfiante indifférence des gens sauf de certains jeunes plus lucides" Voila le remède, quelques lucidités à la barre afin de garder un cap d'espérance.
  • UNE FEMME EST UNE FEMME (1960)
    Bienvenue dans le nouveau monde cinématographique, celui qui filme les marchés et les visages des anonymes dans la rue, encourageant de larges mouvements sur un immense balcon d'une fenêtre à l'autre, déliant les langues dans des dialogues déstructurés, respectant l'oreille en lui offrant intégralement la douce musique d'un titre légendaire de Charles Aznavour, faisant de Jeanne Moreau l'apparition que d'un seul mot "Moderato". Cette véritable Porte Saint-Martin, filmée d'en haut, envoie à la benne Alexandre Trauner et son gigantisme architectural, reconstituée naguère en studio."Tu te laisses aller" cela pourrait servir de sous-titre à ce film aux concepts extrêmement neufs où Emile fait du vélo dans son appartement sous les toits.Ses apparitions épisodiques, dans ce petit nid sous les étoiles, assurent une refonte des sentiments qui deviennent libres, Angela et Emile s'aiment tout en valorisant un ailleurs, rythmant les pulsions de leurs existences.Nous sommes dans le royaume de l'oisiveté et de la patience, les scènes prennent le temps de se faire aimer en se dupliquant. Angela affublée d'une lampe de nuit se laisse véhiculer par le mouvement répétitif, dominante de ce courant nouvelle vague, envoyant au diable le comédien d'antan crispé dans ses marques.Le dialogue est volontairement incohérent, la musique forte et folle de Michel Legrand habille d'une seconde peau ce film où il est impératif d'avoir un regard neuf sur une conception que l'on peut comparer scientifiquement aux idées d'Einstein, par rapport à celle de Galilée, tout est nouveau, surprenant, irritant parfois.Une amicale pensée est distillée à François Truffaut par Marie Dubois, mimant adroitement "Tirez sur le pianiste". La caméra de Raoul Coutard, indispensable au nouveau règne du décor naturel, donne une confortable liberté aux comédiens.Jean-Luc Godard impose sa loi, son propre style, plusieurs films seront nécessaires afin de glaner un public devant ramer pour comprendre les méandres intellectuels du maître, sans claquer la porte. Tout ceci ressemble à un esthétisme cérébral révélateur, un concept visuel et verbal novateur exterminant le courant cinématographique d'antan.Jean Luc Godard se hisse sur les épaules de René Clair et soudain l'horizon parait plus éloigné."Angela tu es infâme, mais non, je ne suis pas infâme, je suis une femme".
  • LA ROSE ET LA FLÈCHE (1976)
    L’esprit est vif, mais le corps est fatigué par cette multitude d’investissements physiques accumulés sur tous les fronts. De retour au pays Robin quinquagénaire s’aperçoit que rien n’a changé. Marianne lassée de l’attendre a pris le voile. Le shérif de Nottingham est toujours aussi motivé à régler ses comptes à cet ennemi incontournable depuis plusieurs décennies. Tout recommence sans réellement s’être arrêté.La bravoure légendaire de Robin le prive d’un retrait contemplatif, il y a tant à faire, mais la machinerie malmenée peine à suivre. Les retrouvailles avec Marianne, d’une froideur calculée, ne sont qu’un prétexte d'attisement envers une boule de nerfs au repos prête à reprendre le combat, en respectant les procédures légendaires d’un héros toujours opérationnel, chaleureusement accueilli par ses anciens compagnons."La rose et la flèche" est une époque tendre, généreuse, par ses automatismes amoureux. L’investissement et le doux regard de Marianne redonnent de l’ardeur à Robin conçu pour le mouvement protecteur.La lutte pour la défense de l'opprimé redémarre au quart de tour en plein air avec armes et cuirasses.Ces personnages condamnés à une vie à l'image d'un météore sont néanmoins accompagnés d’un humour leur permettant de mieux supporter une époque tragique.Certains déboires dus à une logistique approximative (Le saut dans la charrette par exemple) sont hilarants.Ce nouveau style permet au spectateur d’alterner ses positions sur un sujet habilement maîtrisé par un cinéaste n’offrant à la réflexion aucun jugement définitif.
  • L'INCORRIGIBLE (1975)
    Hymne à la marginalité intensive, "L’incorrigible" frise parfois la démence par ses incohérences. Victor Vauthier, dans la peau d’un personnage fantasque, incontrôlable, dispatche ses conseils pour le franc symbolique tout en pilotant à vue entre la roulotte et le prince de Galles. Une quatrième dimension fantaisiste illumine le regard d’une jeune et belle assistante sociale, tentant dans un premier temps de gérer un courant d’air permanent avant de s’y intégrer.En interne d’extravagances presque métaphysiques, se cache un noyau sensible, le texte cristallin de Camille écorché vif, amant déçu, tragédien au delà du bonheur, heureux d’entretenir son malheur passé grâce à une prose adéquate.En rebondissant sans cesse, suite à des procédures instantanées, adaptées à une conjoncture créé de toutes pièces, un personnage déconnecté d’un branchement conditionnel classique s’entretient en cheminant sur des retombées de situations extravagantes porteuses de sensations hors normes.La faune "énarquée" semble aux bottes de cet exclu volontaire d’une société sans repères d’excès. Le bougre n’est pas méchant, il se distrait dans un monde manquant cruellement de débordements.Le contemporain manipulé, à la réplique calculée, reste docile, consentant, presque en admiration devant ces panoplies de faux marin pécheur, de moustaches décollées et de prostituée mal rasée.Bebel recyclé dans la comédie de boulevard, comblé par le déguisement incessant, souffle un peu en amorçant un virage plus sédentaire, un gite complaisant offert à un corps usé par les cascades. Une transition annonçant le potentiel d'un terrible boulet, "Joyeuses Pâques" se profile à l'horizon."L’incorrigible", distrayant par un coté irrationnel des choses, se consomme comme une sympathique utopie laissant à son protagoniste principal la liberté de se délecter de ses fantasmes.
  • LES CAVALIERS (1970)
    Tursen, enturbanné, blanchi, aux dents jaunis, lève les yeux au ciel et scrute quelques instants le passage d’un jet dans le ciel bleuté. Il dévoile soudainement par ce geste l’union anachronique d’un Afghanistan médiéval survolé par les dernières technologies.Au ras du sol rien n’a changé, les chameaux et les béliers s’affrontent en combat singulier jusqu'à la mort. L’esprit est aux jeux en plein air, les petits métiers pullulent, à Kaboul les orgueils s’affrontent à coup de bouzkachi dans des galops dignes de la course de chars de Ben-Hur.Cette contrée n’obéit qu’aux thés brûlants sur fond de paris agrémentés de billets poisseux.L’espace est dominé par le sport le plus glorieux : l’équitation, un moment perdue, puis reconquise haut la main par Uraz, diminué par une mauvaise chute, aggravée suite à une désolante perception d’une médecine non acceptée le menant à l’amputation.Pendant ce temps Tursen son père, trop sûr de lui, s’acharne dans l’escalade inutile de hauteurs trop élevées.Le ton est donné, ici il ne faut régresser physiquement pour rien au monde.La femme tout en crachant par terre, régule les assauts primaires masculins en s’effeuillant elle-même de ses vêtements, elle triomphe de sa dépendance en déclarant à Uraz qu’elle n’a rien sentie lors de leurs ébats."Les cavaliers" tourné sur site à l’époque bienheureuse où le roi d’Afghanistan se promenait librement dans les rues de Kaboul, est un hymne aux valeurs qu’il faut sans cesse entretenir par la forme physique.Les regards ne se pâment pas devant un intellect, mais devant un corps tournoyant sous un cheval au galop.C’est l’empire du mouvement humain, brutal et dominateur se moquant bien de ces traces laissées dans l’atmosphère, l’espace d’un moment, par un avion de ligne aussitôt oublié.
  • LA REINE CHRISTINE (1933)
    Une reine ne lisant que la nuit, s’habille au petit matin, en laissant apparaître une jambe prometteuse. De constitution robuste, son visage s’adapte facilement à la friction d’une neige omniprésente. La belle est solide, entreprenante, déterminée à modifier fermement l’attirance de son peuple pour des guerres interminables, en lui imposant la contrepartie des arts et des lettres. Une démarche alerte de long en large cède sa place à un profil droit somptueusement éclairé, lui-même rétrogradé par la prestance d’une jeune reine moqueuse juchée majestueusement sur la plus noble conquête de l’homme.De face, de profil, de haut en bas, immobile, en mouvement, en chapka, du faux jeune homme à la reine étincelante la Divine scintille de toutes parts. Pas de répit pour les sens devant une telle démarche volontaire, un rire rauque prenant, des yeux aussi beaux. Ce n’est pas la Reine Christine, c’est Greta illuminée par un réalisateur aux ordres d’un éclat éloigné, d’une vérité historique.Le mythe Garbo prend vie avec d’innombrables nuits sans sommeil, pour ceux pris au piège d’un tel minois. L’intrigue reste simple, cet amour impossible ne représente que peu d’intérêt, la compensation reste généreuse, le visage de la Divine largement montré, atténue de façon naturelle de loyales mais insuffisantes scènes de cours ne pouvant lutter à armes égales devant une telle merveille.Le fondu d’un visage plein écran affectivement touché, mais déterminé à survivre par l’intermédiaire d’un regard au delà de l’horizon, clôture cette œuvre cousue main, livrée aux tourments de folles espérances.
  • UN HOMME EST PASSE (1954)
    Un nid de vipères sévit là où il n’y presque rien. Quelques embusqués scénarisent méfiance et racisme en traquant le parachuté et le Japonais local. La noirceur du site est révélée par les investigations d’un reconnaissant surgi de nulle part, chapeau et costume sombre, débarqué d’un train, ne contemplant en temps ordinaires ces lieux désolés qu’à grande vitesse. "Bad day at Black Rock" décrit les désastres d’un isolement permettant à des reclus de se réaliser par la dominance et la soumission. Cette parcelle de sol martien à peine distinguée d’une lorgnette civilisée, indifférente, trop éloignée, entretient par la lâcheté et la peur quelques petites frappes bannies d’un conflit mondial.Black Rock au fond du trou a l’immense chance de pouvoir renaître en vingt quatre heures, grâce à une pierre angulaire de passage. Le challenge consiste à reconstruire les valeurs morales d’un site entre le passage de deux trains. Les remords de quelques pénitents remontent en surface, en retrouvant le marché d’un courage enseveli.Sous un cinémascope profond, luminosité d’un non évolutif de pierre John J. Macreedy, manchot équilibré, serein et intuitif, sert de parcours rédempteur à quelques entités redevenues lucides grâce à la prise de conscience d’un état délabré.John Sturges préfère valoriser par un paysage désolé, la perception pour un moraliste d’une autre planète, où rien de bon ne pousse. John J. Macreedy cosmonaute fragilisé sur un sol hostile, contemple le négatif d’une contrée presque à évangéliser, managée par des aliens locaux particulièrement dangereux.La victoire s’obtient grâce à une confrontation soutenue, appuyée d’un désir de retrouver une identité même au bout du monde.La scène de la pompe à essence où Robert Ryan, tout en restant obtus, livre quelques révélations sur un comportement raciste perçu en interne comme indispensable et salutaire, est exemplaire en monstruosité.