Il est assez difficile d'aborder et d'expliquer un film comme "The Night of the Hunter". Sa conception et sa genèse elles-mêmes demeurent assez mystérieuses. Charles Laughton, un des plus grands comédiens britanniques de tous les temps, décide de passer derrière la caméra, en adaptant un roman obscur de Davis Grubb. Si l'on suit le système du classement, on serait embêté puisque l'oeuvre ne se laisse pas facilement entrer dans une catégorie précise. En effet, "The Night of the Hunter" est à la fois un thriller, un conte, une fable philosphique, une comédie, un film fantastique, un film d'horreur, un drame psychologique, une satire de la religion, un road-movie, un film d'aventures, un western. Bref, un film somme en un seul coup.Pourtant, Laughton donne une indication évidente dès le début de son film. Un ciel étoilé d'où émerge Rachel, la protectrice des enfants qui raconte aux enfants tout simplement une histoire. Et quand on sait que Rachel est interprétée par Lilan Gish, autrement dit une des meilleures et des premières grandes comédiennes du muet, ayant été l'actrice fétiche du père de la narration cinématographique (David Wark Griffith), on se dit que l'une des profondes thématiques de Laughton est de combiner toute une culture cinématographique.Donc, en premier lieu, The Night of the Hunter est une oeuvre incroyablement cinéphile, mais sans que les références se fassent lourdes ou forcément visibles. Pêle-mêle, on y sent l'influence de Griffith, de Murnau, de James Whale, de Jacques Tourneur, de Welles, de Ford, de Renoir, de Lang, de Gance, d'Eisenstein et plein d'autres. Laughton tente et arrive brillamment à digérer tous ses grands noms pour donner une oeuvre unique, dans tous les sens du terme.Visuellement, le film est d'une beauté époustouflante, avec une science de la photographie, du cadrage, du placement des décors. Scénaristiquement, le film arrive à aviver une narration harmonieuse, dont la succession émotionnelle est inventive et originale. On passe sans transition d'une séquence comique à une terrifiante, d'un mode léger à un mode terrifiant.C'est un film qui donne une part extraordinairement puissante à ses personnages principaux. Le tueur Harry Powell (un Mitchum génial de bout en bout) est une incarnation de tous les maux du monde. Il représente le fanatisme religieux (qui est notre mal le plus dangereux de notre actualité), la frustration sexuelle (son couteau est un phallus évident), l'absense paternel, l'arrivisme (il poursuit les enfants pour de l'argent), l'usurpation identitaire, le viol fantasmé, le monstre (regardez bien la séquence où il poursuit les enfants dans l'escalier du sous-sol, son allure évoque carrément Boris Karloff dans Frankenstein), l'ombre des ténèbres (beaucoup de plans en contre-jour et des ombres menaçantes), l'incommunicabilité, la manipulation des foules, une société malade.Pour contrecarrer cette inéluctable personnification du mal, Laughton choisit Lilian Gish (extraordinaire), pleine de bonté et d'amour, d'une sévérité toujours bien placée. C'est l'ange tombé du ciel, celle qui a le meilleur rôle puisque c'est elle qui raconte des histoires.Il vaut voir avec quelle intelligence cinématographique Laughton réussit à mettre en scène la dualité entre le Bien et le Mal. Ce sont deux forces qui se comprennent et qui se répondent, qui peuvent être même en osmose comme en témoigne ce magnifique plan où Rachel chante en avant-plan la complainte religieuse qu'entonne Harry Powell, en arrière-plan, "Lean on Jesus".Et entre ces deux personnages totalement symboliques se trouvent John et Pearl, deux enfants innocents dont Powell a rencontré le père (joué par Rupert Graves alias Phelps dans Mission : Impossible), ce même père qui a fournit accidentellement l'adresse du magot. Powell qui a réussi à embobiner la mère pour lui réserver un sort terrible (la séquence du cadavre de la mère sous l'eau a imprégné tous les cinéphiles).Ces orphelins de la route vont traverser des épreuves dont l'influence majeure sera tout de même le conte littéraire. John et Pearl sont deux petits Poucets que l'ogre veut "manger", et ils traversent les rivières (séquence d'anthologie) avec tout un bestiaire dont chaque animal a une signification culturelle.Bref, "The Night of the Hunter" est une oeuvre trop riche et inépuisable. Mon modeste avis ne donne pas justice à ce monument du cinéma, qui restera le seul et unique film de Laughton (aidé par Terry Sanders et Robert Mitchum à la rélisation), mais c'est définitivement une oeuvre à voir ou à revoir indéfiniment.