Voici encore un Scorsese étrangement estimé dans sa filmographie...Adapté d'un roman de Joe Connelly par un des plus brillants collaborateurs du cinéaste, Paul Schrader himself, on se dit que la mise en chantier de "Bringing out the Dead" se veut un retour en source new-yorkais depuis "The Age of Innocence", cinq plus tôt, (et depuis 1988 avec Schrader) ...Oeuvre nocturne, avec un personnage déphasé qui cherche la rédemption... Un programme qui semble être étudié pour un cinéaste qui a déjà exercé (brillamment) dans cette voie. Sauf que le présent film est curieusement "discret" lorsqu'on évoque son cinéma. Ce qui fait la beauté du film, en ce qui me concerne, c'est la force incroyable de la mise en scène. Scorsese, en suivant le parcours d'un ambulancier insomniaque "christique", met en place, à l'instar de "Taxi Driver", une vision géographique et sociologique subjective à son protagoniste. "Bringing out the Dead" est une oeuvre singulièrement intense, ne confondant jamais vitesse et précipitation... Elle est un curieux mélange entre une nostalgie des années 70 dans le sujet et son traitement des années 90, dont l'aboutissement formel qu'était "Casino" en est un bon représentant...C'est un film qu'on peut avoir déjà vu mais qui marque l'évolution cinématographique du cinéaste... Le parcours christique de Frank Pierce (Nicolas Cage, dans un de ses plus beaux rôles), dont le métier est évidemment une voie de salut, est renforcé par la rencontre avec Mary (forcément), jouée par une tendre Patricia Arquette... La vision de la ville, métamorphosée par les yeux cernés de notre personnage principal, se transforme en paysage spectral, dont le fantôme d'une morte, avec laquelle il se sent responsable de son état, apparaît inlassablement, accentuant la fatigue morale, plus que physique de Frank.La ville de New York se définit plus comme le Barnum d'un "After Hours", dans lequel le héros tente de soigner les maux, c'est-à-dire d'accepter tous les péchés de ses habitants. L'oeuvre contient de plus des moments d'humour culottés (les personnages secondaires sont frappés du ciboulot), qui fait de ce film, par moments, une comédie noire et cynique survoltée, complètement folle.Puis "Bringing out the Dead", au départ oeuvre de commande, devient un film personnel. Parce que les obsessions du cinéaste sont présentes, mais aussi parce qu'il aborde un élément que le cinéaste a bien connu et qu'il a réussi (semble-t-il) à combattre : la dépression. Le regard que pose Scorsese sur son personnage est compatissant, ne faisant jamais de ce dernier un guignol ridicule ou un loser pathétique. Il lui imprègne une grâce, un charisme qui lui donne une aura de martyr compréhensible et éthique, dont l'incommensurable fatigue transmet une certaine admiration...Ce film magnifique est donc porté par une énergie irrésistible, sans oublier des pauses contemplatives saisissantes. C'est un film porté par un rythme qui semble se modeler sur les appareils médicaux qui boostent la partie cardiaque d'un patient mal en point, on réfléchit puis on nous envoie une dose d'adrénaline réveillant notre attention pour qu'on ne lâche pas cette histoire électrique et belle qui demeure, malgré les éléments habituels des oeuvres de Scorsese, une oeuvre singulière, qui ne ressemble à aucune autre et qui plus est parfaitement interprétée...