Au terme de la vision de ce film oublié par le commun des mortels, j’ai été littéralement déboussolé. Figurez-vous donc, retrouver Bourvil en inspecteur dans un film fantastique qui préfigure "Le Pacte de Loups", cela a de quoi désarçonner n’importe quel cinéphage du coin! Un petit rappel s’impose: quelques mois avant "Le Corniaud", Bourvil accepte de tourner une nouvelle fois avec Jean-Pierre Mocky, suite à l’énorme succès d’"Un drôle de paroissien". Avec, encore à ses côtés, un casting quatre étoiles pour l’époque: Jean-Louis Barrault, héros des "Enfants du Paradis", Francis Blanche qui sortait des "Tontons Flingueurs", Jean Poiret, Raymond Rouleau (un brillant acteur belge hélas lui aussi oublié), Jacques Dufilho et une poignée de seconds couteaux bien connus de l’époque (Marcel Pérès, Dominique Zardi, Michel Dupleix...) Le pari est risqué, car il s’agit d’une adaptation très libre du roman d’un écrivain réputé raffiné, le Belge Jean Ray ("Malpertuis"). Mais surtout, que le genre fantastique français a toujours eu beaucoup de peine à trouver un public. Filmée dans un décor médiéval particulièrement envoûtant, cette comédie policière (car au final, c’est de cela qu’il s’agit) évoque la vie d’un village et d’une poignée d’aristocrates qui, apeurés par la présence d’une bête - on s’inspire ici de celle du Gevaudan -voient d’un drôle d’oeil l’arrivée d’un détective privé. Le noir et blanc aident des décors inquiétants, l’ambiance glauque est assurée même si rapidement, la farce prend le dessus pour donner une mixture inhabituelle, saupoudrée par des dialogues efficaces du dramaturge Raymond Queneau. Un ensemble étonnant dont on a, concédons-le, un peu de mal à y pénétrer d’emblée. A l’instar de "Snobs" deux ans plus tôt, le film fut malmené par la critique et rapidement ôté de l’affiche (à peine trois semaines), avant de finalement émerger plusieurs années plus tard (des intellectuels, puis Lino Ventura et Yves Montand, l’ont tous soutenu) pour en faire un objet culte. Preuve en fut, sa présence parmi les 100 meilleurs films ...du monde, selon un sondage américain. A mes yeux, le plus marginal des six premiers Mocky reste le plus original, et détient - jusque là – le plus beau thème musical (de Gérard Calvi, le père de l’animateur Yves), cadrant pleinement avec l’esprit du film. Dans lequel je rends ici hommage à Véronique Nordey (ah, quelle douce voix! ) qui, suite à son divorce avec le réalisateur, quitta tout autant son univers cinéphilique pour enseigner. Dommage!