La Grande Lessive (! ) a confirmé ce que je pensais: la télévision a une mémoire sélective en ce qui concerne le choix de ses films montrés, et créé ses propres "classiques" de manière parfois arbitraire. Souvent (re)diffusé, ce film avec Bourvil a pris un tel coup de vieux, qu’il ne justifie plus ses fréquentes programmations, au contraire par exemple, d’"Un drôle de paroissien et de "La Grande Frousse", les deux premiers films tournés de concert par Bourvil et Jean-Pierre Mocky, qui davantage rangés encore, ont sans doute eu le tort d’avoir été tourné en noir et blanc. Ce qui ne plaît guère au public du prime-time... Mais "La Grande Lessive", qui aurait dû s’appeler "Le tube" aux dires de Mocky, n’est pas complètement inintéressant. Surtout parce qu’il photographie une époque où la télé commençait à conditionner le quotidien des Français, et à bousculer leurs habitudes. Hélas dans la forme, ce neuvième film de Mocky déçoit, victime de son aventure bien trop ambitieuse. Si on comprend qu’en 1968, l’ORTF, la télé d’alors, profitait d’un élan de curiosité général pour abrutir les foules, au point que certains en soient devenus esclaves; si on mesure combien la petite lucarne a interpellé les intellectuels français comme elle le refera en 2001 avec l’apparition du ”Loft Story”, on constate vite que l’entreprise (c'est-à-dire, projeter un élixir miracle censé saboter toutes les antennes de télé parisiennes) est mission impossible. Ensuite? La critique sociétale devient vite une comédie décousue et franchouillarde, où chacun y va de son petit numéro et où le mot fin se fait vite attendre. Bourvil barbu semble être quelqu’un d’autre en professeur de lettres, Francis Blanche n’est que très moyennement drôle en médecin malheureux, et Jean Poiret impose tout juste de sa présence en patron télévisé. On trouve finalement le moyen de rire grâce aux policiers que Mocky aime toujours ridiculiser, à travers Marcel Pérès et Jean-Claude Rémoleux (surtout). On soulignera au passage l’excellente bande originale – comme souvent – de ce surdoué qu’était François de Roubaix, trop tôt disparu.Avant d’entamer cette curiosité donc, il s’agit de se bien se remettre dans le contexte de l’époque, où on considérait qu’avoir une télévision en couleur était un privilège et où une deuxième chaîne venait de naître. Les trois millions de spectateurs ne se sont déplacés en salle par hasard, mais pour comprendre le phénomène télévisuel dont ils étaient alors devenus des esclaves conscients. Rien de bien grave face à la bouffonnerie informatico-électronique actuelle, mais ce film, symboliquement tourné en Mai 68, est lui aussi un témoin de la révolution culturelle. L’honneur est donc plus que sauf.