Critique(s)/Commentaire(s) de Elsa Nagel

Page 2 sur 2 (71 critiques au total)

  • DEMAIN (2015)
    Le projet de ce documentaire remonte à 2010. Déjà, Cyril Dion ne voulait pas être catastrophiste sur l’état de la planète mais proposer une vision d’avenir. Engagé dans la campagne présidentielle de 2012 aux côtés de Pierre Rabhi, dans le Mouvement Colibris, le projet s’est vu accompagné par la présence de Mélanie Laurent, alertée par une étude scientifique parue dans la revue Nature en 2012 : « Jusqu’à la découverte de cette étude, il ne s’agissait « que » de faire un film positif. Tout d’un coup, cela devenait nécessaire. » « Ce n’est pas un documentaire écolo, c’est un regard sur la société telle qu’elle pourrait être demain… » Et ce film donne furieusement confiance dans la possibilité d’échapper au fatalisme d’un monde subclaquant, au vu des initiatives qui s’offrent, déjà testées dans différents pays. Reste à s’en inspirer ! Demain montre que les problèmes ne peuvent être traités indépendamment : « L’agriculture occidentale par exemple est totalement dépendante du pétrole. Changer de modèle agricole, c’est aussi changer de modèle énergétique. Mais la transition énergétique coute cher, il faut donc l’aborder sous l’angle économique. Malheureusement l’économie est aujourd’hui créatrice d’inégalités et largement responsable de la planète, il est nécessaire de la réguler démocratiquement. Mais pour qu’une démocratie fonctionne, elle doit s’appuyer sur des citoyens éclairés que l’on a éduqués à être libres et responsables. » Lumineux et clairs propos de Cyril Dion qui résument absolument l’effet boule de neige des mesures qui peuvent être prises pour relever le défi d’un nouveau modèle de société ! Son documentaire est lui aussi très pédagogique et jamais ennuyeux. A travers le monde, à la rencontre de ces hommes et ces femmes engagés dans des actions originales, le film a la vertu d’être enthousiaste et contagieux car il donne des solutions et elles sont facilement applicables comme les jardins partagés urbains ou bien les monnaies locales dont Strasbourg bénéficie d’ores et déjà avec les « Stücks ». Elle n’est pas en reste non plus en ce qui concerne les efforts faits en faveur des déplacements à vélo. Mais Copenhague est championne. C’est plus d’un tiers des développements quotidiens qui s’y font à vélo, évitant aujourd’hui 90 000 tonnes de CO2 par an. A ceux qui diraient que l’écologie coûte cher, le PDG de Pocheco, dans le Nord-Pas-de-Calais, s’insurge. Depuis 20 ans, il applique des principes « écolonomiques » à son activité fondée sur les trois piliers du développement durable : préservation de l’environnement, respect des salariés et du dialogue social, gains de productivité. Il est devenu maître dans l’art de dépenser en étant plus vert ; un patron qui donne envie d’aller travailler ! Car le changement doit agir en profondeur. Emmanuel Druon montre qu’une direction écologique et sociale et la participation de tous donnent du sens au travail de chacun et permettent une constante amélioration des relations humaines, donc de l’efficacité. Demain prouve que l’écologie n’est pas facteur de décroissance. En repensant la société et notre système économique autrement, ce sont des emplois nouveaux qui seront créés. Nous sommes loin d’une vison bobo branchée ou de la perspective d’une société anti progressiste. Demain s’achève sur le chapitre « éducation ». Les pays scandinaves sont des modèles et donnent confiance dans la meilleure des sociétés possibles à venir. Petit enfant deviendra grand ! (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • VIVRE ME TUE (2003)
    Le projet de monter ce film date d’avant Nationale 7, premier long métrage nombreuse fois primé de ce réalisateur aguerri à la maîtrise du scénario par une expérience prolifique d’auteur pour la télévision. Avec sa structure tirée au cordeau, Vivre me tue captive et émeut, servi par trois comédiens que Sinapi juge être les meilleurs acteurs français du moment : Sami Bouajila, Jalil Lespert et Sylvie Testud. Jean-Pierre Sinapi a découvert le roman éponyme dont il s’inspira pour son film, par hasard en librairie. Il était signé par Paul Smaïl. Il racontait son histoire et celle de son frère aux prénoms bien français, habitant Barbès, mais dont les physiques trahissaient leur origine maghrébine. Ce roman a donné envie à Sinapi de le porter à l’écran, d’autant plus que ses parents italiens étaient venus s’installer en France après la guerre. Ce roman, riche d’émotions dues à cette sincérité d’un auteur qui parle de lui, cachait pourtant une supercherie. Lorsque Sinapi a voulu rencontrer l’écrivain Paul Smaïl, il a appris que ce jeune homme existait certainement, mais que l’auteur de ce roman n’était autre que Jacques-Alain Léger. Ce dernier n’a pas participé à l’écriture du scénario et Jean-Pierre Sinapi a eu le bonheur de se voir entièrement libre d’adapter le livre. Il a étoffé par exemple judicieusement le personnage de Myriam, joué par Sylvie Testud. Ce personnage clef permet une référence à l’amour courtois et de rappeler qu’il a trouvé sa place en occident grâce à l’influence des poètes arabes de la regrettée Andalousie, du temps de la circulation florissante des cultures. Mais si Paul, armé d’un DEA sur Moby Dick, trouve en Myriam une amie de cœur et d’esprit, il se refuse pourtant le bonheur d’une relation amoureuse pleinement vécue. Car Vivre le tue... Le malaise d’être né à Barbès et de n’avoir jamais mis les pieds au Maroc, d’être français alors qu’à chaque entretien où il se présente pour un emploi à hauteur de ses études, on lui tend le miroir de “l’arabe” est une situation insupportable. Il fait comme si tout allait bien pourtant, avec son sourire, en disant qu’il s’appelle Smaïl avec l’accent anglais. Et derrière le masque de la gaieté, il est touché au plus profond par un autre drame ; le drame d’avoir un jeune frère dépressif chronique, incapable de faire des études et dont la seule passion est le body-building. Sa passion le conduira à se mettre en danger à coups d’anabolisants et autres potions magiques redoutables et mortelles. Si Sinapi a finalement réalisé Vivre me tue après Nationale 7 c’est parce qu’il ne trouvait pas son culturiste. Sami Bouajila était d’emblée préposé au rôle de Paul Smaïl et c’est enfin la rencontre avec Jalil Lespert qui a été décisive. Il fallait que Jalil s’entraîne près d’un an pour devenir la masse de muscles qu’il fait saillir dans Vivre me tue. Pour se préparer à ce rôle, il a refusé toutes les propositions qui s’offraient. C’est dire comme il croyait dans le projet de Sinapi. Il a eu raison. Vivre me tue est un grand film, intelligent, sensible, drôle parfois, et qui parle, au-delà des problèmes de l’intégration, de la question de l’identité et de la réalisation de soi. Le choix final de Paul Smaïl, inattendu, est un formidable plaidoyer pour la liberté de dire non au système. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • BIENVENUE AU GITE (2003)
    Il avait réalisé en 2001 Filles perdues, cheveux gras, une comédie qui avait surpris par son mélange des genres et par sa fantaisie. Déjà, Marina Foïs, découverte avec les Robins des bois, proposait son jeu particulier. Elle s’est imposée comme une comédienne avec laquelle le cinéma français doit désormais compter. Avec Bienvenue au gîte, elle et Claude Duty se sont de nouveau accordés. Elle a comme partenaire Philippe Harel qui a laissé un temps le tournage de Tristan pour faire l’acteur. Une réussite de drôlerie. Ce film a été présenté en avant première, dans le cadre de Ciné Cool, rendez-vous annuel des cinéphiles ravis de se refaire une santé, dans l’obscurité des salles après la canicule. Cet été pourtant, pas de quoi faire trop grise mine entre l’honorable Coût de la vie, les déjantés Pirates des Caraïbes et des rétrospectives respectables... Bienvenue au gîte inaugure sur un ton plein d’humour cette nouvelle saison cinématographique. Sur le thème des citadins agités qui opèrent un retour aux sources à la campagne, le film de Claude Duty s’inscrit dans une tendance (on pense au bien moins réussi Une hirondelle a fait le printemps). Derrière cette envie de renouer avec les joies simples de la nature, un malaise. Caroline et Bertrand sentent bien que leur couple a besoin d’autres horizons pour s’épanouir. Ils quittent Paris et débarquent en Provence où ils ont racheté le gîte de leur copine Sophie, une baba cool qui a su marquer là ses goûts ethniques et kitchs. Or, Sophie est partie sur un coup de tête amoureux et les voilà dans ce gîte qui est un bonheur pour les scouts et les randonneurs qui se couchent avec les poules mais se lèvent aussi avec elles. Sophie leur a caché que dans le même village, ils ont un gîte concurrent où tout est luxe calme et volupté, version gay. Claude Duty s’attache à suivre ses personnages dans des scènes très réussies comme celle du rafting avec un Philippe Harel à contre emploi. Marina Foïs, elle, refait la déco du gîte et se donne pour objectif de réhabiliter le village en remettant au goût du jour une vieille fête à l’ambiance moyenâgeuse. Le naturel de la jeune cadre dynamique parisienne va reprendre le dessus, au grand dam des villageois qui ne comprennent pas son souci de perfection despotique. Bertrand non plus ne la comprend pas, lui qui se prend d’une véritable passion pour les oliviers et qui ne se verrait plus quitter cette Provence où il se sent enfin en harmonie. C’est en cela que Bienvenue au gîte n’est pas qu’une comédie. Le couple ne va pas mieux parce qu’il est allé vivre ailleurs et qu’il a tourné la page. En revanche, il a trouvé la meilleure manière de fonctionner. La fin du film est édifiante. Bienvenue au gîte est un film sympathique et servi par des acteurs au mieux de leur forme. On saluera ainsi la présence de Bulle Ogier en maire éthérée, Julie Depardieu au jeu toujours décalé et désopilant et Annie Gregorio, à toute épreuve, avec un sens talentueux du comique. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • DEPUIS QU'OTAR EST PARTI (2003)
    Venue du documentaire, Julie Bertuccelli signe là son premier long métrage. Loin d’être une novice, elle a été l’assistante à la réalisation de Kieslowski, Tavernier et Otar Iosseliani auquel le titre de son film fait un clin d’œil. C’est avec lui qu’elle a découvert la Géorgie, un pays si attachant qu’elle a décidé d’y camper ses personnages aux prises avec une drôle d’histoire. On l’a découverte dans "Voyages" d’Emmanuel Finkiel. Petite mamie voûtée sous le poids de ses 90 ans, Esther Gorintin a commencé sa carrière de comédienne en 1999 et depuis, elle ne cesse de tourner. Dans ce film de Julie Bertuccelli, dans le rôle d’Eka, elle crève l’écran. A ses côtés on reconnaîtra la petite gamine de Bouge pas, meurs et ressuscite qui a bien grandi et la belle présence de Nino Khomassouridze, une actrice géorgienne. Ces trois femmes représentent trois générations. Leurs ambitions et leurs désirs sont emblématiques de l’évolution que la Géorgie a connue et connaît. Dans la maison d’Eka, il y a une bibliothèque pleine de livres en français et c’est naturellement en France qu’Otar est parti faire fortune. Il écrit à sa mère et lui téléphone régulièrement jusqu’au drame : Otar meurt sur un chantier. La fille et la petite fille d’Eka sont incapables de lui avouer que son fils adoré est mort. Elles entretiennent le mensonge. Et puis Eka décide d’aller voir son fils à Paris, emmenant avec elle Marina et Ada. Partie d’une histoire vraie, Julie Bertuccelli a tissé avec talent la fiction et une réflexion sur ce pays qui a la particularité d’entretenir des relations affectives et culturelles avec la France : “J’ai aimé la Géorgie sans me dire que j’allais y tourner un film mais quand m’est venue cette idée d’histoire, il était évident pour moi que ça devait se passer là-bas. D’abord parce que la dramaturgie allait me permettre de parler de manière plus intense de ce pays passionnant. Et puis j’avais envie de parler de la France mais pas de faire un film sur la France vue de l’intérieur. Je voulais traiter de l’imaginaire étranger, jouer du décalage, tourner une fiction loin de chez moi mais parler de moi avec cette distance, la distance d’un regard autre.”. Julie Bertuccelli traite son sujet avec beaucoup de sensibilité, et c’est de tout un pan de l’histoire de la Russie qu’elle parle à travers ses trois comédiennes. Dans cette famille, les hommes sont absents. Le père d’Ada est mort en Afghanistan et le nouvel amant de Marina, sa mère, ne semble pas être autorisé à s’installer dans cet univers féminin. Marina, dans la fleur de l’âge, a un diplôme d’ingénieur mais elle est réduite à revendre de la brocante. Grâce à sa connaissance du français, Ada peut travailler ponctuellement comme interprète, mais elle est très mal payée. La réalité économique du pays est décrite par touches et une séquence dans un hôpital est éclairante de l’état de déréliction dans laquelle se trouve la Géorgie. A travers le mensonge, la fiction s’épanouit, émouvante et tendre. Elle aboutit à une fin toute à fait surprenante, à hauteur du suspens ménagé. Il n’est pas étonnant que ce scénario ait été primé. Quant au film, il a obtenu le prix de la critique à Cannes. Gageons que le succès de ce film dépasse le cadre des festivals. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • LA DERNIÈRE LETTRE (2002)
    Connu et reconnu pour ses films documentaires, Frederick Wiseman signe sa première oeuvre de fiction. Il a d’abord porté La Dernière Lettre au théâtre, à Boston, puis à Paris, à la Comédie Française, avant de l’adapter pour le cinéma. Sur une scène nue, entourée par des ombres, une comédienne dit un texte à portée universelle et qui trouve malheureusement des échos encore aujourd’hui... un film âpre et d’une émotion exceptionnelle. La question de l’évocation de l’horreur des camps a toujours posé problème. Comment traiter le génocide par le biais de la fiction ? On sait la polémique que La liste de Schindler a provoquée, ainsi que La vie est belle de Benigni. Témoigner, faire oeuvre de mémoire, sans que jamais on puisse se dire que tout ça n’est que du cinéma a été l’obsession de Lanzman et lorsque Alain Resnais fait un détour par le documentaire, en signant le poignant Nuit et Brouillard, il explore la mémoire à travers le seul espace d’Auschwitz désert où il filme, sur les murs, des traces tangibles, insoutenables, de la présence de ces millions de juifs qui ont été tués. Wiseman a réussi un tour de force : allier le principe qui régit son travail de documentariste avec une scénographie et une comédienne. Il filme une femme qui raconte ce qu’elle vit, comme il le fait depuis des années dans ses documentaires qui sont autant de témoignages sociologiques. Anna Semionovna, une femme russe, juive, médecin, s’adresse à son fils, avant de mourir. Elle est enfermée dans le ghetto de la ville de Berditchev, en Ukraine. Le 15 septembre 1941, 12 000 juifs y seront exterminés par les nazis. Anna est incarnée par Catherine Samie, doyen et sociétaire de la Comédie Française et dont l’intelligence et la sensibilité de l’interprétation sont au-delà de toute critique. Elle s’impose comme une nécessité, comme s’il fallait qu’elle existât aujourd’hui sur les écrans pour dire la souffrance d’une femme au quotidien, pendant la guerre. Car, ce qui a intéressé Frederick Wiseman, dans ce chapitre du livre de Vassili Grossman, Vie et Destin, c’est qu’il parle d’un génocide et, par extension, des génocides qui sont commis un peu partout dans le monde. Comme il l’a déclaré : “Quand j’étais jeune et naïf, pendant la Deuxième Guerre Mondiale, je croyais que la barbarie dont j’entendais parler dans les journaux, à la radio et aux actualités était réservée aux allemands et aux japonais mais que cela ne faisait pas partie de la vie. En grandissant, je réalisai que les assassinats à répétition sont tout simplement un des aspects de notre quotidien. Quelques exemples récents : la Bosnie, le Kosovo, la Chine, l’Algérie, le Rwanda, la Tchétchénie, le Congo, le Timor...” Le pouvoir émotionnel de La Dernière Lettre tient à son évocation des détails de tous les jours, tellement humains. Sur le visage de Catherine Samie coulent des larmes et toute sa vie se donne à lire sur sa peau parcheminée. Ses mains tavelées, se serrent sur des pommes de terre et des haricots invisibles. Sa voix rauque et grave exprime toutes les nuances de qui vit une tragédie et qui court inéluctablement vers sa fin, et le rire du désespoir s’étrangle dans sa gorge. Autour d’elle, des fantômes traversent la scène, apparaissent, disparaissent, se dédoublent, se multiplient. Jamais on n’aurait pu imaginer ce film en couleur. Le noir et blanc cher à Wiseman trouve toute sa raison d’être dans ce jeu subtil des ombres et de la lumière qui évoquent ces êtres disparus. L’ombre de Catherine Samie qui s’étire derrière elle prend tous les aspects, de celle du vieillard à celle de l’enfant qui donne la main à sa mère, du groupe de villageois dont elle parle, à l’homme désespérément seul. Avec La Dernière Lettre, Wiseman a signé un grand film, difficile, mais nécessaire. Son projet est de porter ce texte sur la scène américaine, avec une comédienne américaine. Son rêve serait que ce texte soit dit sur une scène de théâtre, à Moscou. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • LOIN (2000)
    "Loin" a été tourné à Tanger avec une caméra vidéo. Cela donne une légèreté et un dynamisme qui s’accordent avec ce que Téchiné voulait être un film d’aventures. Il révèle des jeunes inconnus qui parlent aussi bien le français que l’arabe. Loin confirme le goût du romanesque de André Téchiné et étonne par sa liberté narrative. Après son très décevant "Alice et Martin", Téchiné nous revient avec un film qui vaut le détour. On est loin du Sud-Ouest cher à l’auteur. Le film se passe d’abord dans le port d’Algésiras puis à Tanger. Les fidèles de Téchiné retrouveront Gaël Morel et Stéphane Rideau. Les deux hommes, devenus adultes depuis Les roseaux sauvages, se retrouvent et la réalité et la fiction se mêlent pour le plaisir du spectateur. Gaël Morel est un jeune réalisateur venu enquêter sur les immigrés clandestins tandis que Stéphane Rideau joue le rôle de Serge, un chauffeur routier. Les deux copains se retrouvent par hasard à Tanger mais tout les sépare. Reste que Tanger est une petite ville et que tout le monde finit par se connaître. Les deux mondes fréquentés par les deux hommes se croisent. L’une des figures centrales est un vieil américain (Jack Taylor), un avatar du célèbre écrivain Paul Bowles. Autour de lui gravitent des jeunes marocains qui trouvent leur intérêt à fréquenter le vieil homosexuel. Serge revient souvent à Tanger où il retrouve sa maîtresse Sarah (Lubna Azabal) et son ami Saïd (Mohamed Hamaïdi) dont le rêve est de quitter le Maroc pour découvrir le monde, si proche et si loin, que l‘on voit de l‘autre côté du détroit de Gibraltar. L’étape, pour Serge, va durer trois jours. Lui qui pensait n’avoir plus rien à perdre, a succombé à la tentation de planquer du shit dans son camion. Mais rien ne se passe comme prévu. André Téchiné a eu le talent d’éviter de faire un film “exotique” ou de proposer un film-rêverie autour de la ville de Tanger. Les paysages sont utilisés à des fins de dramaturgie avec des abords de ville où traînent les gosses des rues livrés à eux-mêmes. Les terrains vagues sont rocailleux, poussiéreux. Des éoliennes géantes, soudain sur la route, confèrent une dimension magique au voyage de Serge. Même l’océan, dont le bleu attire sur les prospectus touristiques, n’a pas sa place ici. Curieusement, il s’étale, noir d’encre, face à Sarah et à François qui, dans la nuit, évoquent leur ami commun ; moment de sérénité comme Téchiné aime en proposer à la fin de ses films quand, au bord de l’eau, toutes les tensions se dénouent. Ici, l’océan remplace la Garonne. Tanger est un personnage à part entière du film. Tanger, ville-labyrinthe. Tanger d’où l’on peut voir l’Espagne par temps clair. Tanger, ville mythique où se croisèrent des figures célèbres comme les Stones, Burroughs et Genet. Tanger où juifs, chrétiens et musulmans vécurent en harmonie avant que les juifs partirent nombreux. Loin évoque cette réalité tangéroise à travers le beau personnage de Sarah dont la famille a adopté Saïd. A Tanger vit un monde cosmopolite ; ville au confluent des mers, pointe de l’Afrique et antichambre de l’Europe. Il y a les occidentaux qui rêvent leur vie et les africains qui rêvent de partir et qui attendent la barque où le camion qui leur fera passer le détroit. Tanger est la ville de tous les trafics. Loin en donne une approche quasi documentaire concernant le monde des chauffeurs routiers. André Téchiné a signé un film qui donne une vision très juste de Tanger et du Maroc d’aujourd’hui. Outre des personnages comme Saïd, personnage emblématique des préoccupations de nombreux marocains et dont on appréciera le caractère secret, Téchiné fait de très jolis portraits de femmes. Ce sont les femmes qui font progresser le Maroc. Contrairement aux hommes, elles ne veulent pas partir. L’une d’elle, Nezha, est ophtalmo et fait tardivement un enfant toute seule. Sarah, l’amoureuse de Serge, tient une pension. Farida, jeune célibataire, dirige de main de maître l’entreprise d’import-export du port. Elles font preuve d’un courage et d’une sagesse que les hommes n’ont pas. Téchiné construit autour d’elles des séquences d’un grand charme, à la fois fluides et libres. Soulignons enfin la présence inattendue de Yasmina Reza, éthérée, fragile, gracile, étonnante. Loin se présente comme une parenthèse. André Téchiné va tourner son prochain film avec Catherine Deneuve et Daniel Auteuil. Gageons que fort de son expérience marocaine il continuera à regarder le monde autrement. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • MARTHA ... MARTHA (2001)
    Sandrine Veysset a beaucoup de talent et l’intuition d’un casting toujours parfait. Valérie Donzelli dont c’est le premier rôle au cinéma, et Yann Goven découvert dans le film d’Orso Miret, De l’histoire ancienne, campent un couple étonnant aux prises avec les démons du passé, la folie et la désespérance. Un film très noir, bouleversant. Dans "Y’aura t’il de la neige à Noël ?", le premier film de Sandrine Veysset, le personnage de la mère était tout amour pour ses enfants et le père était méchant et tyrannique. Dans Victor... pendant qu’il est trop tard, Victor était adopté par une femme en manque d’enfant et il n’y avait pas de père. Dans Martha... la mère aime sa fille mais elle échoue à jouer son rôle de mère. C’est le père qui s’occupe de la petite Lise. Comment Martha pourrait-elle être une mère attentive quand elle-même a souffert d’une enfance perturbée marquée par un lourd secret ? Sandrine Veysset n’explique rien ; elle suggère au travers de petits détails aidant le spectateur attentif à comprendre ce personnage féminin écorché qui n’a pas sa place dans le monde et auquel sa propre mère nie le droit à l’existence en refusant de la nommer. Martha... Martha ou le droit de vivre... en composant avec le sentiment de l’échec et celui de la culpabilité. Elle n’a jamais vraiment grandi Martha. Jouant au Monopoly avec sa fille de sept ans, elle se prend encore plus au jeu qu’elle, et dans une séquence impressionnante par sa tension, elle finit par manger avec les doigts, s’en mettant partout, bavant, opérant une véritable régression. De fait, Martha est à la fois la petite fille que représente sa propre fille, et sa mère, à laquelle elle finirait par ressembler et qui a perdu la mémoire. Il n’est pas innocent que ce film de Sandrine Veysset soit placé sous le signe de l’eau ; l’eau qui lave, l’eau où l’on se noie, l’eau qui est source de vie. Avec Martha se pose la question du sentiment maternel qui ne va pas de soi et en cela ce film est audacieux. A la fois touchante et détestable, Martha est un personnage border line. Sandrine Veysset filme avec intelligence cette histoire de personnage en équilibre à la frontière fragile entre normalité et folie dans laquelle il est si facile de basculer. Le tour de force était de ne pas tomber dans la sensiblerie, ni l’excès. L’interprétation des trois comédiens jouant la mère, le père et l’enfant est irréprochable, tout comme la réalisation. Sandrine Veysset est aussi peintre. Elle aime jouer avec la matière, elle aime le côté bricolage que le cinéma permet. Lise, la petite fille, fait un cauchemar et rarement rêve d’enfant n’a été si bien exprimé à l’écran. De même, à la fin, diaphane dans une longue robe blanche, Martha semble perdre en existence pour en gagner à l’écran. Le grain de l’image devient comme palpable et vibre des jeux entre l’ombre et la lumière. Précisément, les derniers plans s’inscrivent dans le registre du fantastique poétique. On pense à La dame du lac, on pense à ces histoires de fantômes qui errent éternellement en quête de paix et qui apparaissent parfois aux vivants. L’émotion qui se dégage de la fin tient au fait qu’elle est ouverte et offerte au spectateur qui l’interprètera selon sa propre sensibilité. Martha... Martha est un film délibérément sombre qui peut déranger ; c’est ce qui fait sa force. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • SON FRÈRE (2003)
    Deux frères se rapprochent à l’issue de l’épreuve de la maladie. Thomas est atteint d’une maladie du sang. Toute hémorragie pourrait lui être fatale. Bruno Todeschini, impressionnant, joue ici son plus beau rôle face à un Eric Caravaca, magistral lui aussi, tout en émotion retenue. Ce nouveau film de Patrice Chéreau est éprouvant. Récompensé à Berlin d’un ours d’argent, ce réalisateur signe là son film le plus épuré et le plus audacieux.
    Dans le roman éponyme de Philippe Besson (éd. Julliard), l’émotion tient beaucoup au point de vue subjectif : on croit qu’il s’agit de l’histoire personnelle de l’auteur. Cette question du point de vue s’est-elle posée lors de l’écriture du scénario ?
    Je savais que c’était le problème principal à résoudre. C’est cela certainement qui m’a attiré dans le roman. Les deux frères... Comment ils se retrouvent... Comment ils se sont éloignés. Ce n’est pas dans le roman d’ailleurs, je crois. Dans le roman, ils ne s’étaient pas éloignés. C’est moi qui ai rajouté cet élément-là. Quand on fait un film, on fait la critique du roman. Il y a une chose que j’ai éliminée tout de suite, c’est l’histoire de la danoise avec qui il avait un enfant et il y a deux choses que j’ai changées parce que je n’y croyais pas. D’abord cet amour total entre les deux frères qui était déjà une fusion... Alors que je pense qu’il fallait qu’ils la trouvent... C’est esquissé dans le roman mais c’est plus fort dans le film. Ensuite le fait que ce soit le plus âgé qui meurre et non pas le plus jeune. Je trouvais cela excessivement romantique que ce soit le plus jeune. En plus, je suis parti de moi. Le roman est à la première personne et le premier scénario que j’ai écrit était aussi à la première personne : du point de vue du frère cadet. Donc je l’ai écrit du point de vue du frère cadet. Je ne sais pas écrire en frère aîné puisque je suis un frère cadet. Ce “je” du roman me convenait.
    Ce film parle viscéralement au spectateur en tant qu’être de chair et de sang. C’est la grande différence avec le roman. Les descriptions cliniques s’inscrivent dans l’imagination du lecteur qui en fait ce qu’il veut, alors qu’à l’écran, elles sont montrées de façon presque documentaire. On peut avoir une réaction épidermique de rejet.
    Ce n’est pas documentaire mais je ne pouvais pas faire autrement que de ne pas tricher avec la réalité. La réalité de l’hôpital s’impose d’une façon telle, les enjeux de l’hôpital - qui est un endroit où l’on soigne et un endroit où on ramène à la vie - sont des enjeux tels que je n’avais pas envie de faire de la littérature dessus. La vérité des gestes et la vérité des lieux s’imposait. Ce n’est pas documentaire mais je ne pouvais pas aller au-delà d’une certaine barrière de fiction, au-delà d‘un certain niveau de fiction. Quant à la réaction des spectateurs, je pense que c’est bien : chacun réagit très fort en voyant ce film. Je pense que c’est bien comme cela.
    Vous aimez être au plus près des corps et des visages...
    Les visages sont des choses extraordinaires à filmer. Je ne me lasserai jamais de filmer un visage et des regards. Ce sont des paysages incroyables. J’ai plus de mal avec les paysages. J’ai fait une tentative dans ce film tout de même, en Bretagne, pour la scène de l’hémorragie dans les marais salants avec la petite fille. Brusquement, j’ai eu envie de faire un plan archi large. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai eu envie. J’ai pris le risque, j’ai eu l’impression vraiment de prendre un risque. Je me suis dit que si je voulais prendre cette scène de près comme d’habitude, je n’aurais pas de matériel.
    Il y a la scène magistrale du rasage du corps de Bruno Todeschini avant l’intervention chirurgicale. Cela m’a fait penser à Renée Falconetti dans la Jeanne d’Arc de Dreyer qui se fait couper les cheveux en direct. Là, c’est pareil. Pour le coup, le cinéma ne peut pas tricher. Il ne peut pas y avoir de répétitions...
    Il y a eu des répétitions. On a répété beaucoup la veille.
    Oui, mais à un moment donné on rase vraiment !
    Oui ! Et une seule fois !
    Et une seule fois ! C’est peut-être pour cela que le spectateur ressent tellement d’émotion face à cette scène...
    Cette scène m’a appris quelque chose de tout à fait étonnant sur le cinéma. C’est un corps qui se fait raser... L’effet émotionnel est sans commune mesure avec les moyens mis en œuvre. Il y a deux infirmières, une tondeuse, de la mousse à raser et un rasoir jetable. C’est archi simple. En théorie, on ne fait que raser quelques poils (beaucoup en l’occurrence), mais, surtout, il y a une transformation du matériel qui est une scène triviale - d’une certaine façon incroyable - dans une scène d’émotion ou une métaphore de la souffrance de cet homme. C’est très surprenant. J’ai moi-même été surpris du résultat. La scène va bien au-delà de ce que l’on voit. Et finalement, c’est cela le cinéma. C’est d’arriver à aller au-delà de ce que l’on voit. C’est à la fois réel et en même temps, il y a un truc magique.
    La façon dont vous filmez Todeschini fait qu’il évoque la figure du Christ. Est-ce que c’était voulu ou bien cela s’est-il imposé ?
    L’iconographie du Christ raconte, que l’on soit croyant ou pas (je ne suis pas croyant) la souffrance de l’homme. C’est une souffrance qui a été donnée en exemple. Quand on la montre en peinture - je pense à un tableau de Holbein qui est à Bâle, ce Christ mort qui paraît-il a été peint d’après un noyé dans le Rhin - Cela fait référence absolument à la souffrance universelle de l’homme et la solitude de l’homme dans sa souffrance. Je vois bien que dans cette scène y ressemble. Je n’ai pas souhaité faire à tout prix un Christ mais je ne pouvais pas m’y opposer.
    Quel est le rapport entre la maladie de Jean-Hugues Anglade dans la Reine Margot et celle de Thomas dans Son frère ?
    Aucun, il s’agit de poison dans La Reine Margot.
    Mais il y a cette même idée du sang qui jaillit.
    Oui ! Oui ! C’est un film avec une hémorragie qui arrive à un moment donné. Disons que c’est fait par le même metteur en scène qui est fasciné par les hémorragies, par les corps qui saignent... Je ne sais pas... J’ai renoncé à aller fouiller dans mon inconscient.
    Propos recueillis par Elsa Nagel
    Son site : Ecrivain de votre vie
  • UN HOMME, UN VRAI (2003)
    Comment parler de l’amour entre un homme et une femme d’aujourd’hui ? Les frères Larrieu, auxquels on souhaite un avenir aussi riche que celui d’autres frangins célèbres, passés derrière la caméra, se sont attaqués, pour leur premier long métrage, à cette histoire éternelle, pleine de rebondissements, avec un ton original et plein d’humour. Ces deux réalisateurs autodidactes, pyrénéens, ont été sensibilisés très tôt au cinéma, grâce à un oncle qui faisait des petits films amateurs, se plaisant à filmer les pique-niques familiaux aussi bien que les parades amoureuses des coqs de bruyère. Cette enthousiasme pour le cinéma sous toutes ses formes se ressent à la vision d’Un homme, un vrai qui s’ouvre sur un film d’entreprise, se poursuit à la manière de Jacques Demy (avec des chansons et la musique signées Philippe Katerine), lorgne du côté du Mépris de Godard et s’achève sur un document animalier. Un homme, un vrai réunit deux comédiens d’une belle énergie ; Mathieu Amalric et Hélène Fillières. Il s’appelle Boris, elle s’appelle Marylin. C’est un artiste qui écrit des scénarii et elle est une jeune cadre supérieure. Rien ne les prédisposerait à se rencontrer (et plus si affinité) si ce n’est un coup de foudre irrésistible qui va les unir. Un homme, un vrai est construit autour de trois parties distinctes, trois âges du couple considéré “cinq ans plus tard”. Aussi, après la rencontre placée sous le signe de l’amour éternel que chante Amalric à sa belle, nous les retrouvons avec deux enfants. Marylin est surbookée, sans cesse entre deux avions. Boris est un homme au foyer qui a laborieusement écrit un scénario en cinq ans. Il se voit obligé de se rendre à ses rendez-vous dans les boites de production, où il tente de placer son scénario, avec son plus petit dans les bras, lorsque celui-ci a de la fièvre et qu’à la crèche on n’en veut pas. Ainsi en va-t-il des beaux débuts amoureux qui virent au cauchemar lorsque Boris va, avec les enfants, accompagner Marilyn pour un week-end de travail à Ibiza. Le film atteint alors des sommets de drôlerie. Pourtant, le drame va surgir. Cinq ans plus tard, on mesure l’étendue de l’échec. Boris est devenu guide de montagne et il a emmené les enfants vivre avec lui. Depuis cinq ans, il n’a pas vu Marylin. Il organise des randonnées dans la montagne, dans le but d’observer la parade des coqs de bruyère ; spectacle suffisamment rare pour attirer des visiteurs américains parmi lesquels se trouvera Marilyn. Cette dernière partie est étonnante et doit beaucoup à l’interprétation inattendue d’Amalric en guide bourru, barbu mais tout à fait à l’aise dans un corps tout en muscles. Les frères Larrieu ont joué avec l’image de l’Amalric intello qui faisait partie de la bande à Desplechin. Ils l’avaient déjà fait tourner dans La brèche de Roland (en 1999) où son personnage était très maladroit. Or, il s’agissait d’une composition. “C’est en réalité un garçon physique et très adroit. On s’amusait à le définir ainsi : “un guide de haute montagne dans un garçon très féminin”, “un tigre dans un chat”, “un cosaque dans une chambre de bonne”, “un Casanova à l’allure d’étudiant attardé”... Bref, un garçon complet - il s’occupe aussi très bien des enfants - qu’on avait envie d’appeler “un homme, un vrai””. Hélène Fillières a très bien su, elle aussi, nourrir son personnage de femme qui se cherche en elle pour devenir une femme, une vraie, pour l’homme qu’elle aime. Un homme, un vrai parle du couple d’aujourd’hui avec une vision optimiste et positive, alliée à un vrai sens de la comédie et à une belle croyance dans le cinéma. Le spectateur ravi de ce film se demande longtemps : “Qui se fait son cinéma ?” (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • VENDREDI SOIR (2002)
    Réalisatrice audacieuse, Claire Denis affirme un cinéma toujours plus radical. En 1999, avec Beau travail, son exploration du thème du désir passait par l’érotisme dans le corps de la légion, et l’amour vampirique cannibale était au cœur du très envoûtant "Trouble every day". Avec Vendredi soir, d’après le roman d’Emmanuèle Bernheim, Claire Denis nous surprend encore en traitant la rencontre d’un homme et d’une femme, au plus près des corps. Ces corps dont Claire Denis rend palpable le grain de la peau, en les filmant au plus près jusqu’à tendre à l’abstraction, ce sont ceux de Jean (Vincent Lindon) et de Laure (Valérie Lemercier). Très gros plans des yeux de Laure au dessin d’ailes d’oiseau, bouche étonnée ; un casting inspiré pour des personnages qui parlent très peu. Lorsqu’ils parlent, leur parole a si peu d’intérêt qu’elle est à peine audible ou bien couverte par la musique. L’important est ailleurs. Vendredi soir est un film sur le désir qui emporte comme un grand courant, un désir qui fait littéralement chavirer. Le début du film campe Paris en un univers nocturne urbain complètement irréel comme s’il s’agissait du décor d’un conte. Il pleut sur la ville et la tour Eiffel domine ce monde aquatique. Telle un phare, elle envoie ses faisceaux de lumière. Les transports en commun font grève en cette année 1995 et les Parisiens sont dans leur voiture comme dans des sous-marins. Chacun est dans sa bulle. Dans l’une de ces voitures se trouve Laure. Elle a fini de faire ses cartons pour déménager et aller vivre avec l’homme qu‘elle aime. Pour l’heure, elle se rend à une soirée chez des amis. A la radio, des bulletins d’info répètent que Paris est paralysé. Il faut rester patient et ne pas hésiter à prendre à son bord l’un de ces piétons qui fait du stop. C’est ainsi que Laure accueille Jean. Le fantasme de la rencontre d’une femme et d’un homme que le désir va précipiter dans les bras l’un de l’autre est en marche et le cinéma de Claire Denis va exalter leurs émois avec toute la maîtrise de son art. Jean est un “vrai” homme, avec sa barbe d’une journée, et l’odeur de son eau de toilette qui fait palpiter le nez de Laure, mêlée à celle de la cigarette. Laure respire avec un plaisir évident la fumée qui envahit sa voiture, elle qui a arrêté de fumer. Elle observe à la dérobée son compagnon. Et nous épousons les mouvements de la pensée de la jeune femme qui se prend à imaginer emmener cet homme à cette soirée où elle est invitée. Ce serait une mauvaise idée. Elle passe un coup de fil à ses amis : elle ne viendra pas ce soir. A partir de là tout devient possible. Un baiser échangé qui dure, le premier baiser, si timide et déjà plein de fougue, des mains qui s’effleurent sans se toucher, un gant tombé sur la chaussée humide et l’enseigne d’un hôtel qui brille dans la nuit, lieu attirant de la transgression, comme dans l’imagerie d’Epinal des fantasmes sexuels. C’est tout le charme de ce film qui joue sur le double registre du réel et du rêve. Un soin tout particulier est apporté aux atmosphères que créent le chromatisme, le grain de la photo et l’utilisation du ralenti qui suspend le temps, comme autant d’effets de la mémoire à l’œuvre qui veut capturer à jamais cette rencontre particulière. Mémoire éveillée du spectateur familier du cinéma de Claire Denis, lorsque Grégoire Colin marche dans la rue et qu’un légionnaire est assis dans un bar. Ces citations nous rappellent que nous sommes au cinéma et que tout y est possible. Cette liberté souffle sur le film. Elle est enivrante. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • LE CAS PINOCHET (2001)
    Avec ce film, Grand prix au Festival international du documentaire à Marseille, Patricio Guzman continue d’explorer la mémoire du Chili. Il relate la manière dont Pinochet a été arrêté à Madrid, jusqu’à son assignation à résidence, conjuguant le point de vue de l’Histoire avec les récits des victimes de la torture. Le débat qui suivit la projection du film, projeté en avant-première au cinéma Star, a été d’une rare émotion. Une femme reconnut sa belle-mère, dans l’une des victimes du régime de Pinochet, et apprit, ce soir-là, ce qu’elle avait subi. Car, à l’instar de ceux qui revinrent des camps nazis, nombreux sont ceux et celles qui n’ont jamais parlé de ce qu’ils ont vécu - pas même à leurs proches, surtout pas à eux. Ce silence est symptomatique. Entre ceux qui ont peur, et les révisionnistes qui considèrent Pinochet comme un “sauveur de la Patrie“, la société chilienne a fait comme si de rien n’était, assurant à son dictateur la paix d’une retraite paisible. Celui qui s’était cru intouchable a malgré tout rencontré la justice en la personne de Carlos Castresana, un jeune procureur de Madrid qui découvrit un article légal permettant à la justice espagnole d’intervenir dans n’importe quel pays où l’on pratique génocide, torture ou terrorisme. A Londres, où il était arrivé le 22 septembre 1998 pour se faire opérer du dos, Pinochet est arrêté par Scotland Yard. Plus tard, la chambre des Lords supprime son immunité parlementaire. Il est assigné à résidence, dans la banlieue de Londres, pendant plus d’un an. Plan mémorable du documentaire montrant l’accolade et le baiser affectueux que Margaret Thatcher donne au dictateur pour l‘assurer de son soutien ! Pinochet est renvoyé ensuite au Chili, pour des raisons de santé, par le gouvernement de Tony Blair. Au Chili, 200 plaintes ont été déposées contre lui, des charniers ont été découverts dans les jardins des maisons où se pratiquaient les tortures. La Cour Suprême, à son tour, lui retire son immunité parlementaire et Pinochet est assigné à résidence depuis le 29 janvier 2001, sur ordre du juge Juan Guzman. Pinochet vit chez lui, bien au chaud, la conscience tranquille sans doute, puisqu’il serait atteint de démence sénile. Le documentaire de Patricio Guzman met à vif la mémoire du Chili et de ses victimes pour faire front à l’amnésie et pour raconter les péripéties peu banales qui ont conduit à ce que la justice puisse se faire. Ainsi, s’exprimant sur son film, il a déclaré : “C’est aussi un film sur “l’incrédulité”, sur un événement qui semblait “irréel”, sur un “accident” qui a permis à la justice de lever l’impunité d’un tyran connu du monde entier. Le film raconte comment “l’impossible” est devenu possible. Et surtout comment une action judiciaire d’une telle ampleur a pu être mise en place alors que personne, absolument personne n’aurait pu, jusque là, imaginer qu’elle puisse aboutir.” Désormais, la statue d’Allende trône à Santiago. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • L'ENFANT QUI VOULAIT ETRE UN OURS (2002)
    Face au nouveau Disney qui revient tous les Noëls, les autres films d’animation connaissent des sorties plus confidentielles. Pourtant, ce film de Hastrup mérite vraiment d’être vu. Il a été produit par Les Armateurs qui avait déjà soutenu en son temps Kirikou et la sorcière. Petits et grands seront sous le charme de cette fable au pays des Inuits. D’une beauté magique et poétique, L’enfant qui voulait être un ours raconte comment un bébé esquimau grandit avec une maman ours et un corbeau très drôle, gourmand et maladroit. Lorsque ses parents le retrouvent et le ramènent dans la civilisation, il n’a qu’un désir : devenir un ours. Le génie de la montagne pourra-t-il l’aider ? On est loin ici de toute mièvrerie. Certaines séquences sont même assez impressionnantes, traduisant la dureté de la vie dans le Grand Nord où l’ours, l’animal le plus dangereux de la banquise, est au cœur des peurs et nourrit les mythologies. Mais l’ours est aussi un animal menacé par l’homme. L’enfant qui voulait être un ours est à la fois un film d’une belle force romanesque et un film qui a l’intérêt d’un documentaire. C’est un film audacieux qui surprend. Le choix de vie de ce petit enfant élevé par un ours est contre nature. Pourtant, sentimentalement parlant, on le comprend. Quel est le spectateur qui n’a pas eu un pincement au cœur en voyant Mowgli quitter Bagheera et ce cher Baloo pour aller vivre parmi les hommes ? Ici, le film chante la liberté du cœur, et la magie propre au conte accomplit l’impossible. Le graphisme, les couleurs, le rythme du récit s’accordent avec cette histoire, formant un tout artistique harmonieux. L’enfant qui voulait être un ours est un film d’animation réalisé de manière traditionnelle au crayon et au pinceau. Il y a une pureté dans le trait au service de l’expression, l’immensité de l’espace est rendu par un travail sur la lumière et les ciels aquarellés de roses et de rouges flamboyants traduisent la magnificence des aurores boréales. A cela s’ajoutent la musique de Bruno Coulais et les créations sonores de Niels Arild. La musique, très inspirée, accompagne sans souligner. Elle est créatrice de l’atmosphère et elle émeut. Elle allie le chant d’un enfant aux chants étranges de Kaya Brüel et de Marie Boine, une grande chanteuse norvégienne. Les rythmiques ont été réalisées avec des matériaux naturels comme des pierres ou des branches d’arbres, des jouets, des trombones qui grondent, etc. L’enfant qui voulait être un ours est un plaisir pour l’imaginaire et un régal pour les sens. C’est un film qui se démarque avec bonheur des dessins animés survoltés, aux couleurs criardes et aux sons agressifs, qui sont malheureusement une tendance d’aujourd’hui. Ce film met dans un état d’apesanteur et dépayse. On ne saurait le recommander aux enfants de moins de cinq ans, à moins qu’ils ne soient déjà des blasés des émotions. De plus, beaucoup de subtilités du scénario leur échapperaient et ce serait dommage. Pour les autres, de 5 à 77 ans, ce film est un cadeau cinématographique de fin d’année, dont il ne faudrait pas se priver. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • J'IRAI AU PARADIS CAR L'ENFER EST ICI (1997)
    Ce film renoue avec le genre du film noir à la Melville et lorgne aussi bien du côté de films comme "Mean Streets" et "Les Affranchis" de Martin Scorsese que de Sonatine de Takeshi Kitano. Il emprunte son titre à une phrase cathare, ces chrétiens qui furent massacrés au 13° siècle par l’Eglise romaine et qui pensaient que l’enfer était ici parce que les épreuves étaient sur terre. Ce film est également une adaptation des débuts de la vie de Saint François d’Assise. Mais, comme le précise Xavier Durringer, il ne s’agit pas d’un film catho, « c’est un film qui parle de l’homme et qui pose la question suivante : un homme qui plonge dans l’obscurité, dans l’enfer, peut-il, s’il le veut, de l’intérieur, en voyant les hommes vivre autour de lui, changer sa vie et son destin ? » Cet homme, Durringer l’a rencontré en la personne de Jean Miez. De la petite délinquance aux larcins les plus graves, jusqu’au braquage d’un fourgon postal qui lui valut 18 ans de prison, il connut la rédemption. Il appartenait à ce monde des bandits qui obéissaient à un code de l’honneur et à des règles particulières et qui n’existe plus. Son regret est qu’aujourd’hui la drogue ait tout pourri. C’est avec Jean Miez que Durringer a écrit le scénario de son film. Il fut très présent sur le tournage et il incarne l’un des personnages. De fait, grâce à cette collaboration, le film est un document intéressant sur le milieu du grand banditisme et vaut pour sa dimension très réaliste. La violence est ainsi traitée, tangible, insupportable. Mais ce n’est pas un film sur la violence. Xavier Durringer filme l’ascension vers la grâce de son héros avec une sensibilité talentueuse. Il a signé un film très personnel qui vaut le détour pour la justesse des situations alliée à une maîtrise du montage, pour la caméra au service du rythme des acteurs, pour le dialogue intelligent et souvent drôle et pour un traitement de l’espace et de la lumière qui crée cette atmosphère si particulière au genre du film noir. J’irai au paradis car l’enfer est ici bénéficie d’un casting étonnant. Outre Arnaud Giovaninetti dans le rôle principal de François, et Gérald Laroche dans celui de Rufin, son ami et complice, on notera la présence de comédiens excellents qui ont tous une « gueule » comme on n’a plus l’habitude d’en voir au cinéma. La cinquantaine, le visage marqué, la gouaille et la voix cassé par les Gitanes sans filtre, ils viennent aussi bien du milieu du théâtre que de la prison. Certains ne sont pas des comédiens professionnels comme Jean-Pierre Léonardini, le chef de la Culture à L’Humanité qui fera penser à Seymour Cassel, l’acteur fétiche de John Cassavetes et qui a demandé à jouer dans ce film en disant qu’il n’était peut-être pas acteur mais que voyou, il pouvait le faire ! Le choix du titre comme celui de l’affiche n’est sans doute pas judicieux et peuvent rebuter de nombreux spectateurs. La bande annonce orientée autour de la violence ne traduit pas le climat de ce film qui mérite d’être vu, autant par les cinéphiles que par le grand public, surtout par ceux qui croient que seuls les Américains sont capables de réaliser de bons films de genre. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • ADIEU PLANCHER DES VACHES ! (1999)
    Chaque film de ce cinéaste géorgien installé en France depuis 1990, est une source de plaisir intense, que ce soit Il était une fois un merle chanteur (1970), réalisé en Union Soviétique, en passant par l’inénarrable Chasse aux papillons (1992). Original, sans cesse surprenant, et plein de charme, Adieu plancher des vaches ne déroge pas à la règle. Nicolas, 19 ans, vit avec sa famille dans un château. Le père (Iosseliani lui-même) passe son temps à boire en regardant tourner des trains électriques. Les enfants s’ennuient. La mère – peu tendre et épouse tyrannique – a des airs de Diva et chante lors de soirées mondaines qu’elle organise en femme d’affaires redoutable, désireuse d’entretenir les bonnes relations. Elle se déplace en hélicoptère et tout cela ne serait pas si original si elle n’avait pas pour animal de compagnie un marabout dont chaque apparition à l’écran est saugrenue à souhait. Iosseliani pratique avec un talent fou l’art de surprendre par une situation surréaliste, un détail insolite, et ouvre son film sur des moments de pure poésie. En ce sens, le prologue est admirable. La mise en images opère dans un espace clos qui n’est jamais montré dans son ensemble. La surprise naît du mouvement de la caméra et du montage : le spectateur est amené à s’étonner de plan en plan, incapable d’anticiper ce qu’il va voir. Iosseliani fait un cinéma osé et audacieux dans le contexte actuel du marché du cinéma. Son film est quasiment muet et travaille avec le hors-champ – notamment en jouant sur les sons. Il n’est pas surprenant d’apprendre que la rencontre de Jacques Tati a beaucoup marqué Otar Iosseliani, ainsi que celle de René Clair. Son film est habité par des personnages avec des trognes incroyables et ils sont souvent proches de figures burlesques. Avec sa manière de filmer le Paris des bistrots, des bords de Seine où l’on fait de la barque, c’est aussi à Renoir et à Jean Vigo que l’on pense. Il est étonnant ce monde que décrit Iosseliani, avec ce fils de châtelain qui se déguise en pauvre et fréquente des SDF et des clochards, et ce pauvre qui se déguise en dandy séducteur, tandis que la femme de leur cœur se méprend sur leur compte. Ce film est jubilatoire car chaque personnage joue à être un autre. Il s’opère des chassés-croisés, des rendez-vous manqués et quand ceux qui n’auraient jamais dû se rencontrer se rencontrent – scène pleine d’émotion que celle du châtelain qui tue le temps en buvant et d’un vieux clochard qui boit en goûtant le temps qui passe et qui chantent des chansons oubliées… « Adieu plancher des vaches » et on largue les amarres. La fin est très curieuse encore, pour notre grand plaisir, comme la défense et l’illustration que bien évidemment « in vino verita est ». (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • BRODEUSES (2004)
    Très joli premier film sur la création, Brodeuses a obtenu le Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes. Lola Naymark, déjà remarquée dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, prête sa chevelure rousse flamboyante à Claire son personnage de brodeuse et c’est à un feu d’artifice des sens que ce film nous convie. Elle roule sur sa mobylette à travers la campagne, le visage fermé et volontaire, pour se rendre sans joie au supermarché où elle travaille comme caissière. Son ventre s’arrondit et elle le camoufle sous les épaisseurs de ses pulls. Elle n’a que 17 ans et elle s’est aperçue trop tard de sa grossesse pour avorter. Heureusement, elle a une passion : la broderie. Mais pas la broderie de grand-mère faite de fleurettes sur napperon. Troc de choux contre peau de lapins... Elle se fournit en fourrures sur lesquelles elle coud des arabesques étonnantes de perles. Elle fera aussi une étole de soie brodée de rondelles de plomberie. Cette association de la matière brute avec le raffinement va séduire Madame Mélikian qui a embauché Claire lorsque la jeune fille a pris un congé maladie pour échapper aux regards. Cette dame est brodeuse professionnelle et travaille pour des grands couturiers parisiens. Le film prend son épaisseur avec le face à face de ces deux femmes. Ariane Ascaride a délaissé ses rôles de marseillaise bonne vivante pour jouer ici une mère orpheline depuis peu de son grand fils, mort dans un accident. Vêtue de noir, elle a tout d’une grande tragédienne, en douleur contenue. Aussi brune et ténébreuse que Claire irradie de lumière (on pensera à Vermeer et à sa demoiselle au turban bleu), c’est à la rencontre de la nuit et du jour que nous assistons, à celle de la lune et du soleil associés dans l’art de la broderie et déroulant devant nous un voile qui évoque la voie lactée. Puis elles brodent des roses rouges et des fleurs pour une robe de Christian Lacroix, et la création de la terre s’ébauche sous nos yeux. Ce film est un bonheur pour les sens, par son jeu des matières, des couleurs et de la lumière. Mais c’est aussi de l’éveil de Claire à la sensualité dont il est question, directement liée à l’acceptation de la maternité. Lorsqu’elle apprend sa grossesse, elle décide qu’elle accouchera sous X. Mais face à Mme Mélikian qui a perdu son fils, prête à mourir désormais, Claire grandit. Ce film allie de manière originale la sensualité à la grossesse. Tandis qu’elle s’épanouit dans sa passion de la broderie, Claire accepte sa maternité. Elle délaisse ses vêtements informes et se moule dans des robes au décolleté affriolant. Et parce que le désir sexuel est exacerbé, elle va, sans états d’âme, s’abandonner dans les bras d’un jeune homme dont elle est certes amoureuse mais qui s’apprête à partir pour quelques années. Ils s’embrassent dans un champ de blé baigné par le soleil... C’est l’appétit de vivre de Claire, neuf et absolu, en symbiose avec la Mère nature, qui est fêté. Dans Brodeuses, l’idée s’impose que, décidément, ce sont les femmes qui détiennent le secret de la Création. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • VODKA LEMON (2003)
    Hiner Saleem vit à Paris depuis dix ans, après avoir fui son pays pour échapper à l’oppression de Saddam Hussein : “Mes papiers disent que je suis né en 1964 au Kurdistan “irakien”. Car il y a un Kurdistan irakien, turc, iranien, même un Kurdistan syrien. Mais il n’y a pas de Kurdistan kurde”. Son rêve le plus cher serait que le Kurdistan, partagé en 1923 en quatre Etats, par le traité de Lausanne, soit enfin reconnu. L’émotion est au rendez-vous de Vodka Lemon, de même que la tendresse et l’humour. Dans un film précédent, "Vive la mariée... et la libération du Kurdistan" (1997), Hiner Saleem portait un regard décalé et souriant sur les Kurdes de Paris. Ici, il s’agit des Kurdes d’Arménie.
    Ce rapport distancé au monde est un gage de survie : “Selon un célèbre orientaliste du 17e siècle, “le peuple kurde est le plus triste et le plus joyeux des peuples”. Même dans les moments vraiment très difficiles, tragiques, il y a toujours un petit truc qui nous fait éclater de rire”. Car la misère est le lot de chacun des personnages de Vodka Lemon, mais le misérabilisme ne l’emporte jamais. La fin du film témoigne de la confiance du réalisateur dans la dignité intacte de ses frères kurdes.
    Le film procède par petites touches. La séquence inaugurale vaut le détour et donne le ton. Un vieillard, couché dans un lit est conduit à vive allure à travers les steppes enneigées pour se rendre à un enterrement où il jouera un air de flûte, non sans avoir auparavant retiré son dentier. Film tragi-comique et empli de nostalgie, Vodka Lemon donne une idée de l’état de déréliction dans laquelle se trouve les régions de l’ex Union soviétique où tout se revend sur les marchés. Hamo, un veuf d’une soixantaine d’années, se sépare de ses seuls biens, une armoire, une télévision et son uniforme militaire. Il a deux fils dont l’un est allé faire fortune à Paris. En fait de fortune, c’est le fils qui demandera à son père de lui envoyer de l’argent, alors que Hamo ne gagne que sept dollars par mois de retraite. Tous survivent comme ils le peuvent, sous des températures voisinant les -20°. Peu importe le climat ; un banquet de mariage se tient sous la neige, les gens fument et discutent sur des chaises à l’extérieur... Ces plans servent un effet visuel certain, mais ils témoignent aussi d’un marasme économique : “A l’époque soviétique, le gaz était gratuit. Les gens laissaient même les fenêtres ouvertes. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas se permettre d’allumer le gaz plus de dix minutes par jour. Ils ne chauffent qu’une seule pièce et se rassemblent tous dedans. Entre la chambre chauffée et les toilettes, il y a trente degrés de différence ! Du coup les gens s’assoient et restent beaucoup à l’extérieur”. La poésie est présente... un chauffeur de bus chante Tombe la neige d’Adamo et Hamo lance des regards amoureux à une jolie veuve. Mais une scène de violence, entre une jeune pianiste obligée de se prostituer, et son souteneur, ouvre le film sur la terrible réalité de ces hommes et de ses femmes, dans ce pays oublié du reste du monde. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • LES REVENANTS (2004)
    Robin Campillo signe un premier long métrage d’une belle maîtrise. Avec le choix d’une réalisation tirée au cordeau et un sujet difficile, Robin Campillo n’est pas complaisant avec le spectateur. Les revenants est un film qui ne peut laisser indifférent et qui fête l’émergence d’un nouvel auteur avec lequel le cinéma français devra heureusement compter.
    Avec cette manière dont Robin Campillo entre dans le vif du sujet en nous demandant d’admettre l’impensable, on pense à ces films américains des années 50 comme Le village des damnés. De la même façon, point de digressions, de fioritures et de fin qui se dilue dans des atermoiements... D’emblée, le film s’ouvre sur une foule qui marche. Il s’agit de morts qui sont sortis de leur tombe et qui défilent sous les yeux de leurs proches, dans les avenues de cette ville où ils ont vécu. Ces morts ne se différencient pas des vivants. Une cellule de crise se tient chez le maire. Il faut dresser un campement pour accueillir les revenants. Les familles peuvent venir les chercher. Ainsi, le maire voit-il revenir sa propre épouse et un jeune couple retrouve son petit garçon. Mais ces retrouvailles se font sans joie. Le film est admirable dans sa manière de parler du travail de deuil et de l’impossibilité évidente des vivants à accepter que leurs disparus “vivent” près d’eux . Même Rachel repousse le moment de se jeter dans les bras de Mathieu qu’elle a tant aimé et qui a disparu tragiquement trop tôt, après des non-dits regrettables. Géraldine Pailhas et Jonathan Zaccaï sont remarquables et nous offrent une scène finale pleine d’étrangeté et de poésie qui renoue avec le mythe d’Orphée et d’Eurydice, en accord avec ce film de genre tel que se présente Les revenants.
    En effet, avec son titre et son postulat de base, Les revenants s’inscrit dans la tradition du film fantastique. Pourtant, ce film raconte autre chose et c’est en ce sens qu’il est passionnant. On pensera à Ressources humaines et à L’emploi du temps, les films de Laurent Cantet dont Robin Campillo avait été le chef monteur et le scénariste. Ces film, comme Les revenants, parlent de notre société où la dimension économique prévaut. De façon troublante, la préoccupation fondamentale des notables de cette ville est celle de la rentabilité par le travail de cette nouvelle population. Mais elle se montre inefficace : “La question que se posent les personnages du film à propos des revenants est celle de leur intégration. Alors on peut penser aux réfugiés, mais aussi aux vieux, aux immigrés, à toutes ces petites différences qu’on fait en permanence, et qui ont toujours à voir avec un état de mort, une forme de non-inscription dans la vie”. Et, lorsque la nuit ces morts errent dans les rues cela déplaît aux autorités. Cela fait désordre dans cette ville où tout est contrôlé. Les militaires sont appelés à la rescousse. Le film ouvre alors sur d’autres interprétations, d’autres images que nul spectateur ne peut ignorer : “Et quand, à la fin du film, des troupes de soldats et des policiers se déploient dans la ville cela peut évoquer des scènes d’attentats. Un plan est d’ailleurs directement inspiré d’une image vue à la télévision, après la prise d’otages au théâtre Nord-Ost à Moscou : celle des cadavres assis dans un autobus. En le tournant, j’avais en tête ces vers terrifiants d’Aragon : C’étaient des temps déraisonnables / On avait mis les morts à table.”
    Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Cela fait froid dans le dos. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • LA PETITE CHARTREUSE (2004)
    Après Les blessures assassines qui traitaient de l’affaire des sœurs Papin, Jean-Pierre Denis revient avec un film bien différent, adapté du roman éponyme de Pierre Péju (Prix du livre Inter 2003). La noirceur du propos a été gommée au profit du conte ; un conte moderne tendre et cruel d’où l’on sort tout tourneboulé.
    Le cinéma fait ici l’éloge de la littérature à travers un personnage de libraire, Etienne Vollard, magnifiquement interprété par Olivier Gourmet. Il ne s’agit pas de la littérature de salon susurrée autour d’une tasse de thé mais de celle qui a prise avec la nature, la vie et la survie. Car il s’agit bien pour ce gros ours de libraire de survivre dans ce monde où il ne se sent pas admis car il a eu dans le passé un comportement répréhensible. Trop porté sur la bouteille ! C’est tout ce que l’on saura. Jean-Pierre Denis s’intéresse aux conséquences et à cet homme qui ne semble heureux que lorsqu’il fait des randonnées en solitaire dans les hautes montagnes enneigées. Etienne se raccroche aussi aux livres, comme à une bouée de sauvetage. Pour cet amoureux du froid, les livres de Jack London sont ceux qu’il préfère. Il n’oublie aucun livre. Il souffre d’hypermnésie. Une drôle de maladie dont il fera profiter une petite princesse endormie suite à un accident. Ce n’est pas un baiser qui va la réveiller mais les mots dits par ce prince charmant malheureux. Mais se réveiller ne veut pas dire que la vie a gagné sur la mort. Pour ce faire, l’ours devra porter sa petite poupée et la réchauffer de ses larmes qu’il n’avait jamais su verser. Ne déflorons pas la fin de cette merveilleuse histoire si merveilleusement racontée et jouée.
    La petite chartreuse est un miracle cinématographique qui parle à la part d’humanité cachée dans le cœur du spectateur. Il parle de rédemption mais sans pathos, sans sensiblerie. Qui sauve qui ? La petite chartreuse réunit des personnages qui souffrent tous de solitude et qui sont enfermés dans une sorte de silence, leur cri de détresse étranglé dans leur gorge, incapables de dire leur difficulté d’exister et de faire bonne figure dans cette société. Pascale, la maman célibataire de la petite fille, est incapable d’assumer son rôle de mère responsable. Elle-même est encore une enfant qui arrive une fois de plus en retard à l’école de sa fille et qui apprend qu’elle a été renversée par une camionnette. Au volant, il y avait Etienne qui n’a pu éviter la petite fille. Pascale va s’appuyer complètement sur cet homme et le destin de ces trois personnages va se tisser d’une façon très émouvante. Etienne va devenir une mère et un père de substitution pour la petite Eva... un clown aussi... La réussite de ce film tient aussi à ce casting qui réunit Olivier Gourmet avec son physique de bûcheron et une Marie-Josée Croze diaphane, avec une fragilité et un désarroi à fleur de peau, sans compter Bertille Noël Bruneau, sélectionnée parmi 250 fillettes et qui s’impose à l’image avec une détermination impressionnante au fond de ses grands yeux bleus. Et puis il y a le site grandiose de la Grande Chartreuse où Etienne va se ressourcer. L’eau vive, la pierre, la terre, la neige et ce vent qui emporte les parapentistes comme autant d’oiseaux multicolores sont des éléments récurrents dans ce film à la vie à la mort. Ils rappellent que l’homme appartient à cette mère Nature, à la fois dangereuse et protectrice, et son salut dépend de l’harmonie qu’il saura trouver avec elle. La petite chartreuse a le charme des contes qui parlent directement au cœur et qui vous trottent longtemps dans la tête. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • PRENDRE FEMME (2004)
    Dans Mon trésor de Keren Yedaya, Ronit Elkabetz incarnait une mère à la dérive, prise dans l’engrenage de la prostitution. Poignante ! Dans Prendre femme écrit avec son frère, elle joue Viviane, une femme prisonnière des traditions contre lesquelles elle se bat. La condition féminine en Israël traitée par des femmes est un sujet brûlant qui donne lieu à un cinéma fort et âpre, d’une grande intensité dramatique.
    Prendre femme se passe à Haïfa, en juin 1979, au lendemain de la venue du président Anouar El Sadate en Israël, à la Knesset. Que cette histoire de femme avide d’une nouvelle liberté trouve son ancrage à ce moment-là n’est pas innocent. “Cette période a été très particulière au Proche-Orient et notamment en Israël car elle laissait entrevoir, pour la première fois, une espérance de tous les possibles. Dehors c’est la paix, à l’intérieur de la maison chacun mène sa guerre”. Ronit et Shlomi Elkabetz parlent de leur mère d’origine marocaine, immigrée au début des années 60, comme de nombreux juifs d’Afrique du Nord qui avaient regagné la terre promise. Or, ils ont emporté avec eux leur lot de traditions qu’ils ont maintenues, tout en étant confrontés aux valeurs de la vie moderne en Israël. La première scène du film est emblématique de l’enfermement de la jeune femme aux prises avec une culture et une société traditionnelle patriarcale et machiste. La caméra, au plus près du visage de Viviane, tourne autour d’elle, la cerne, tandis que ses frères la jugent, tant en hébreu qu’en arabe. Viviane veut quitter son mari. Viviane est mariée depuis vingt ans à Eliahou. Ils ont trois enfants. Plus rien ne les lie que la haine de l’une et la résignation de l’autre. Viviane rêve d’un mari qui ait des ambitions et qui la surprenne. Eliahou ne comprend pas sa femme. Pourquoi ne se contente-t-elle pas de son gentil mari ? Il ne joue pas son maigre salaire et il ne la bat pas pourtant ! Elle devrait lui être reconnaissante de ce confort ouaté qu’il lui offre. Il est très religieux et chante même à la synagogue. Mais Viviane, elle, ne supporte plus que ses enfants soient privés de vacances à cause de Shabbat.
    Le film est porté par le talent de ses interprètes. Simon Abkarian (Eliahou) est tout en douleur contenue. Ronit Elkabetz a le magnétisme des grandes tragédiennes. Elle a quelque chose d’Anna Magnani et c’est à Gena Rowlands dans Une femme sous influence de Cassavetes que l’on pense, par son énergie au bord de la crise de nerf. Elle est à la fois femme forte et fragile, à fleur de peau. Elle explose avec une dureté sans concession face à son mari. Elle est désarmée et désarmante face à cet homme qui fut un temps son amant et qui lui propose une autre vie (excellent Gilbert Melki). Mais elle est si lucide toujours. Dans ses accès de colère et par ses exigences, Viviane revendique une vie qui ne se réduirait pas au seul confort familial et au dévouement à son époux. C’est en cela qu’elle choque ses proches et ses voisins. Au-delà du contexte, assurément, ce film parle avec talent et émotion des femmes opprimées en général : “Viviane n’est pas folle. Elle veut vivre, mais sa vie est ancrée dans une réalité âpre qui ne tolère ni questionnement, ni réflexion. Alors elle doit choisir entre couper tous les ponts ou continuer de porter son fardeau. Le cri de Viviane reflète celui des femmes de par le monde, qui aspirent à la liberté, à la réalisation de soi, à l’égalité et à l’amour”. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • LE CHIEN, LE GÉNÉRAL ET LES OISEAUX (2003)
    Pour que Moscou ne tombe pas entre les mains de Bonaparte, un général russe a mis le feu à la ville grâce à des oiseaux dont il avait enflammé les ailes. Des années plus tard, le général, devenu vieux, est hanté par des cauchemars. Les oiseaux lui en veulent. Il est veuf, il s’ennuie. Un chien se prend d’affection pour lui. Le général finit par l’adopter. Ensemble, avec d’autres chiens, ils vont vouloir libérer tous les oiseaux.
    Francis Nielsen est tombé dedans quand il était petit. Né à Annecy, capitale de la bande dessinée, il a très tôt tripoté les cellulos. De La Ballade des Dalton au Chaînon manquant, en passant par des adaptations de Vuillemin et de Manara avec Le Parfum de l’invisible, Francis Nielsen s’est imposé comme producteur et réalisateur à la télévision. Il travaille actuellement sur les albums de Boule et Bill. Passionné par son métier, Francis Nielsen est un curieux de la vie. Grand voyageur, son imaginaire s’alimente de visions et d’impressions qui trouvent leur place dans son art. Avec Le chien, le général et les oiseaux, il témoigne de son amour pour la Russie et la culture russe.
    Ce film a été réalisé d’après un livre de Tonino Guerra, le scénariste entre autres d’Antonioni, de Fellini et de Théo Angelopoulos. Les illustrations qu’en avait fait Sergueï Barkhin ont inspiré l’univers pictural. Les perspectives de guingois, l’architecture des maisons, la composition du cadre, les personnages en apesanteur et les rêves du général qui vole en compagnie de son chien sont autant de références à Chagall. Les illustrations de Barkhin sont des monochromes. Il a donc fallu chercher du côté des icônes et du folklore russe pour les couleurs. L’impression de matière fait aussi l’originalité de ce dessin animé où la neige, les manteaux de fourrure, le poil des chiens, les oiseaux etc. atteignent un degré de réalisme étonnant, tout comme la bande son avec le vent qui souffle, le bruit des pas et le lac gelé dont la glace craque. Ce sont autant d’éléments qui contribuent à un effet de proximité qui entraîne notre adhésion. Comme se plaît à le répéter Francis Nielsen : “c’est vrai puisqu’on le voit” se mettant ainsi dans la peau et dans le cœur des enfants et des grands ayant su conserver une âme candide.
    Construit sur une situation très simple, Le chien, le général et les oiseaux ne joue pas sur des effets spectaculaires. Le rythme de ce film respecte le temps de la narration. Les distances que les personnages ont à parcourir sont rendues sensibles. Le traîneau du général traverse longtemps la toundra gelée. Le général doit passer par des couloirs qui n’en finissent plus pour rencontrer le Tsar et plaider la cause des oiseaux. Les grands se laisseront porter par la beauté picturale et par l’étrangeté de la situation. Ils se laisseront surprendre, dans le contexte, par l’arrivée du cortège d’un sultan monté sur un éléphant rose. Les petits (moins de 4 ans s’abstenir) riront de ce chien obstiné à vouloir rester avec le général et de la fâcheuse détermination qu’ont les pigeons à bombarder le général de leurs fientes, l’obligeant à sortir avec un parapluie. Tous seront séduits par cette histoire de chère liberté qu’il faut défendre à tout prix. (Son site : Ecrivain de votre vie)
  • ENTRE SES MAINS (2005)
    Les films d’Anne Fontaine ne laissent pas indifférent. Entre ses mains ne déroge pas à la règle et le casting est étonnant. Il fallait une belle intuition pour imaginer Benoît Poelvoorde dans un rôle d’une telle teneur dramatique. Sans son accord, Anne Fontaine n’aurait pas réalisé ce film et elle aurait eu raison. Il y est magistral. Face à lui, Isabelle Carré est parfaite, évidemment.
    Claire travaille dans une compagnie d’assurances. Elle s’occupe d’un dégât des eaux survenu chez Laurent Kessler, un vétérinaire. Du jour où ils se rencontrent, il ne peut plus se passer d’elle. Il lui offre des fleurs, l’invite au restaurant, à un karaoké. Laurent aime les femmes. C’est un chasseur dont les boites de nuit sont le terrain de prédilection. Les femmes y sont faciles. Avec Claire, c’est différent, Laurent découvre le sentiment amoureux. Le jeu de la séduction auquel il se livre serait banal, si un serial killer ne sévissait pas dans la région, égorgeant à coups de scalpel. Claire est fascinée par Laurent. Fascination, amour et effroi se mêlent en une histoire d’amour passionnelle...
    ... Pour notre plus grand plaisir. Entre ses mains est un film à suspens, un thriller amoureux et intime, librement adapté du roman de Dominique Barberis, Les Kangourous. Anne Fontaine se défend d’avoir voulu faire un film de genre, mais il y a un côté héroïne hitchcockienne chez la blonde et lumineuse Isabelle Carré. En petits talons, gants et manteau ceinturé, elle marche dans les rues de Lille. Les pavés sont mouillés en cette période de Noël. Une ambiance particulière règne. Benoît Poelvoorde joue l’élégance des stars hollywoodiennes, vêtu de costumes sombres et de chemises blanches. On pensera aussi à Jack l’éventreur qui s’en prenait aux prostituées, à ces serials killers impuissants, violeurs à coups de couteau et que seul l’Amour peut sauver.
    Entre ses mains est la rencontre de deux solitudes. Claire est mariée, elle a une petite fille et mène une vie rangée. Trop rangée sans doute, ce qui expliquerait le trouble qu’elle ressent. Elle plonge dans cette histoire d’amour qui l’éveille à elle-même, à ses peurs, ses fantasmes. Entre ses mains est une histoire d’amour fou. La gageure du film est de nous amener à trouver attachant cet homme romantique en diable, si malheureux et inquiétant à la fois. Le pari est de nous faire épouser les sentiments de Claire et avec elle de nous attacher à cet homme qui pourrait être le serial killer dont tout le monde parle en ville. Anne Fontaine joue avec un talent admirable sur les points de vue jusqu’au moment ou le film bascule. La mise en scène est rigoureuse, la narration tirée au fil du cordeau. Le doute parcourt le film sur l’identité de Laurent. Des indices sont distillés pour le cinéphile jubilant à jouer au détective. Et l’émotion est de tous les plans. C’est bien d’une histoire d’amour dont il s’agit avec un suspens qui court. Quand vont-ils finir par tomber dans les bras l’un de l’autre ? Et le spectateur est amoureux à son tour de Claire et de Laurent, fragiles, à fleur de peau, chacun éveillé à son propre désir de se sentir exister, chacun étant l’élu dans le cœur de l’autre, à la vie à la mort. (Son site : Ecrivain de votre vie)