Le projet de monter ce film date d’avant Nationale 7, premier long métrage nombreuse fois primé de ce réalisateur aguerri à la maîtrise du scénario par une expérience prolifique d’auteur pour la télévision. Avec sa structure tirée au cordeau, Vivre me tue captive et émeut, servi par trois comédiens que Sinapi juge être les meilleurs acteurs français du moment : Sami Bouajila, Jalil Lespert et Sylvie Testud.
Jean-Pierre Sinapi a découvert le roman éponyme dont il s’inspira pour son film, par hasard en librairie. Il était signé par Paul Smaïl. Il racontait son histoire et celle de son frère aux prénoms bien français, habitant Barbès, mais dont les physiques trahissaient leur origine maghrébine. Ce roman a donné envie à Sinapi de le porter à l’écran, d’autant plus que ses parents italiens étaient venus s’installer en France après la guerre. Ce roman, riche d’émotions dues à cette sincérité d’un auteur qui parle de lui, cachait pourtant une supercherie. Lorsque Sinapi a voulu rencontrer l’écrivain Paul Smaïl, il a appris que ce jeune homme existait certainement, mais que l’auteur de ce roman n’était autre que Jacques-Alain Léger. Ce dernier n’a pas participé à l’écriture du scénario et Jean-Pierre Sinapi a eu le bonheur de se voir entièrement libre d’adapter le livre. Il a étoffé par exemple judicieusement le personnage de Myriam, joué par Sylvie Testud. Ce personnage clef permet une référence à l’amour courtois et de rappeler qu’il a trouvé sa place en occident grâce à l’influence des poètes arabes de la regrettée Andalousie, du temps de la circulation florissante des cultures. Mais si Paul, armé d’un DEA sur Moby Dick, trouve en Myriam une amie de cœur et d’esprit, il se refuse pourtant le bonheur d’une relation amoureuse pleinement vécue. Car Vivre le tue... Le malaise d’être né à Barbès et de n’avoir jamais mis les pieds au Maroc, d’être français alors qu’à chaque entretien où il se présente pour un emploi à hauteur de ses études, on lui tend le miroir de “l’arabe” est une situation insupportable. Il fait comme si tout allait bien pourtant, avec son sourire, en disant qu’il s’appelle Smaïl avec l’accent anglais. Et derrière le masque de la gaieté, il est touché au plus profond par un autre drame ; le drame d’avoir un jeune frère dépressif chronique, incapable de faire des études et dont la seule passion est le body-building. Sa passion le conduira à se mettre en danger à coups d’anabolisants et autres potions magiques redoutables et mortelles. Si Sinapi a finalement réalisé Vivre me tue après Nationale 7 c’est parce qu’il ne trouvait pas son culturiste. Sami Bouajila était d’emblée préposé au rôle de Paul Smaïl et c’est enfin la rencontre avec Jalil Lespert qui a été décisive. Il fallait que Jalil s’entraîne près d’un an pour devenir la masse de muscles qu’il fait saillir dans Vivre me tue. Pour se préparer à ce rôle, il a refusé toutes les propositions qui s’offraient. C’est dire comme il croyait dans le projet de Sinapi. Il a eu raison. Vivre me tue est un grand film, intelligent, sensible, drôle parfois, et qui parle, au-delà des problèmes de l’intégration, de la question de l’identité et de la réalisation de soi. Le choix final de Paul Smaïl, inattendu, est un formidable plaidoyer pour la liberté de dire non au système.
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Son site : Ecrivain de votre vie)