Sandrine Veysset a beaucoup de talent et l’intuition d’un casting toujours parfait. Valérie Donzelli dont c’est le premier rôle au cinéma, et Yann Goven découvert dans le film d’Orso Miret, De l’histoire ancienne, campent un couple étonnant aux prises avec les démons du passé, la folie et la désespérance. Un film très noir, bouleversant.
Dans "Y’aura t’il de la neige à Noël ?", le premier film de Sandrine Veysset, le personnage de la mère était tout amour pour ses enfants et le père était méchant et tyrannique. Dans Victor... pendant qu’il est trop tard, Victor était adopté par une femme en manque d’enfant et il n’y avait pas de père. Dans Martha... la mère aime sa fille mais elle échoue à jouer son rôle de mère. C’est le père qui s’occupe de la petite Lise. Comment Martha pourrait-elle être une mère attentive quand elle-même a souffert d’une enfance perturbée marquée par un lourd secret ? Sandrine Veysset n’explique rien ; elle suggère au travers de petits détails aidant le spectateur attentif à comprendre ce personnage féminin écorché qui n’a pas sa place dans le monde et auquel sa propre mère nie le droit à l’existence en refusant de la nommer. Martha... Martha ou le droit de vivre... en composant avec le sentiment de l’échec et celui de la culpabilité. Elle n’a jamais vraiment grandi Martha. Jouant au Monopoly avec sa fille de sept ans, elle se prend encore plus au jeu qu’elle, et dans une séquence impressionnante par sa tension, elle finit par manger avec les doigts, s’en mettant partout, bavant, opérant une véritable régression. De fait, Martha est à la fois la petite fille que représente sa propre fille, et sa mère, à laquelle elle finirait par ressembler et qui a perdu la mémoire. Il n’est pas innocent que ce film de Sandrine Veysset soit placé sous le signe de l’eau ; l’eau qui lave, l’eau où l’on se noie, l’eau qui est source de vie. Avec Martha se pose la question du sentiment maternel qui ne va pas de soi et en cela ce film est audacieux. A la fois touchante et détestable, Martha est un personnage border line. Sandrine Veysset filme avec intelligence cette histoire de personnage en équilibre à la frontière fragile entre normalité et folie dans laquelle il est si facile de basculer. Le tour de force était de ne pas tomber dans la sensiblerie, ni l’excès. L’interprétation des trois comédiens jouant la mère, le père et l’enfant est irréprochable, tout comme la réalisation. Sandrine Veysset est aussi peintre. Elle aime jouer avec la matière, elle aime le côté bricolage que le cinéma permet. Lise, la petite fille, fait un cauchemar et rarement rêve d’enfant n’a été si bien exprimé à l’écran. De même, à la fin, diaphane dans une longue robe blanche, Martha semble perdre en existence pour en gagner à l’écran. Le grain de l’image devient comme palpable et vibre des jeux entre l’ombre et la lumière. Précisément, les derniers plans s’inscrivent dans le registre du fantastique poétique. On pense à La dame du lac, on pense à ces histoires de fantômes qui errent éternellement en quête de paix et qui apparaissent parfois aux vivants. L’émotion qui se dégage de la fin tient au fait qu’elle est ouverte et offerte au spectateur qui l’interprètera selon sa propre sensibilité. Martha... Martha est un film délibérément sombre qui peut déranger ; c’est ce qui fait sa force.
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Son site : Ecrivain de votre vie)