Robin Campillo signe un premier long métrage d’une belle maîtrise. Avec le choix d’une réalisation tirée au cordeau et un sujet difficile, Robin Campillo n’est pas complaisant avec le spectateur. Les revenants est un film qui ne peut laisser indifférent et qui fête l’émergence d’un nouvel auteur avec lequel le cinéma français devra heureusement compter.
Avec cette manière dont Robin Campillo entre dans le vif du sujet en nous demandant d’admettre l’impensable, on pense à ces films américains des années 50 comme Le village des damnés. De la même façon, point de digressions, de fioritures et de fin qui se dilue dans des atermoiements... D’emblée, le film s’ouvre sur une foule qui marche. Il s’agit de morts qui sont sortis de leur tombe et qui défilent sous les yeux de leurs proches, dans les avenues de cette ville où ils ont vécu. Ces morts ne se différencient pas des vivants. Une cellule de crise se tient chez le maire. Il faut dresser un campement pour accueillir les revenants. Les familles peuvent venir les chercher. Ainsi, le maire voit-il revenir sa propre épouse et un jeune couple retrouve son petit garçon. Mais ces retrouvailles se font sans joie. Le film est admirable dans sa manière de parler du travail de deuil et de l’impossibilité évidente des vivants à accepter que leurs disparus “vivent” près d’eux . Même Rachel repousse le moment de se jeter dans les bras de Mathieu qu’elle a tant aimé et qui a disparu tragiquement trop tôt, après des non-dits regrettables. Géraldine Pailhas et Jonathan Zaccaï sont remarquables et nous offrent une scène finale pleine d’étrangeté et de poésie qui renoue avec le mythe d’Orphée et d’Eurydice, en accord avec ce film de genre tel que se présente Les revenants.
En effet, avec son titre et son postulat de base, Les revenants s’inscrit dans la tradition du film fantastique. Pourtant, ce film raconte autre chose et c’est en ce sens qu’il est passionnant. On pensera à Ressources humaines et à L’emploi du temps, les films de Laurent Cantet dont Robin Campillo avait été le chef monteur et le scénariste. Ces film, comme Les revenants, parlent de notre société où la dimension économique prévaut. De façon troublante, la préoccupation fondamentale des notables de cette ville est celle de la rentabilité par le travail de cette nouvelle population. Mais elle se montre inefficace : “La question que se posent les personnages du film à propos des revenants est celle de leur intégration. Alors on peut penser aux réfugiés, mais aussi aux vieux, aux immigrés, à toutes ces petites différences qu’on fait en permanence, et qui ont toujours à voir avec un état de mort, une forme de non-inscription dans la vie”. Et, lorsque la nuit ces morts errent dans les rues cela déplaît aux autorités. Cela fait désordre dans cette ville où tout est contrôlé. Les militaires sont appelés à la rescousse. Le film ouvre alors sur d’autres interprétations, d’autres images que nul spectateur ne peut ignorer : “Et quand, à la fin du film, des troupes de soldats et des policiers se déploient dans la ville cela peut évoquer des scènes d’attentats. Un plan est d’ailleurs directement inspiré d’une image vue à la télévision, après la prise d’otages au théâtre Nord-Ost à Moscou : celle des cadavres assis dans un autobus. En le tournant, j’avais en tête ces vers terrifiants d’Aragon : C’étaient des temps déraisonnables / On avait mis les morts à table.”
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Cela fait froid dans le dos.
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Son site : Ecrivain de votre vie)