Chaque film de ce cinéaste géorgien installé en France depuis 1990, est une source de plaisir intense, que ce soit Il était une fois un merle chanteur (1970), réalisé en Union Soviétique, en passant par l’inénarrable Chasse aux papillons (1992). Original, sans cesse surprenant, et plein de charme, Adieu plancher des vaches ne déroge pas à la règle.
Nicolas, 19 ans, vit avec sa famille dans un château. Le père (Iosseliani lui-même) passe son temps à boire en regardant tourner des trains électriques. Les enfants s’ennuient. La mère – peu tendre et épouse tyrannique – a des airs de Diva et chante lors de soirées mondaines qu’elle organise en femme d’affaires redoutable, désireuse d’entretenir les bonnes relations. Elle se déplace en hélicoptère et tout cela ne serait pas si original si elle n’avait pas pour animal de compagnie un marabout dont chaque apparition à l’écran est saugrenue à souhait. Iosseliani pratique avec un talent fou l’art de surprendre par une situation surréaliste, un détail insolite, et ouvre son film sur des moments de pure poésie. En ce sens, le prologue est admirable. La mise en images opère dans un espace clos qui n’est jamais montré dans son ensemble. La surprise naît du mouvement de la caméra et du montage : le spectateur est amené à s’étonner de plan en plan, incapable d’anticiper ce qu’il va voir. Iosseliani fait un cinéma osé et audacieux dans le contexte actuel du marché du cinéma. Son film est quasiment muet et travaille avec le hors-champ – notamment en jouant sur les sons. Il n’est pas surprenant d’apprendre que la rencontre de Jacques Tati a beaucoup marqué Otar Iosseliani, ainsi que celle de René Clair. Son film est habité par des personnages avec des trognes incroyables et ils sont souvent proches de figures burlesques. Avec sa manière de filmer le Paris des bistrots, des bords de Seine où l’on fait de la barque, c’est aussi à Renoir et à Jean Vigo que l’on pense. Il est étonnant ce monde que décrit Iosseliani, avec ce fils de châtelain qui se déguise en pauvre et fréquente des SDF et des clochards, et ce pauvre qui se déguise en dandy séducteur, tandis que la femme de leur cœur se méprend sur leur compte. Ce film est jubilatoire car chaque personnage joue à être un autre. Il s’opère des chassés-croisés, des rendez-vous manqués et quand ceux qui n’auraient jamais dû se rencontrer se rencontrent – scène pleine d’émotion que celle du châtelain qui tue le temps en buvant et d’un vieux clochard qui boit en goûtant le temps qui passe et qui chantent des chansons oubliées… « Adieu plancher des vaches » et on largue les amarres. La fin est très curieuse encore, pour notre grand plaisir, comme la défense et l’illustration que bien évidemment « in vino verita est ».
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Son site : Ecrivain de votre vie)