2° Construit sur une succession de séquences qui ne se répondent pas toujours directement, Chansons du deuxième étage est un film qui ne se résume pas facilement. Peu ou pas d'intrigue au sens classique du terme, Roy Andersson joue sur l'ambiance générale : une ville grise quasi paralysée par des problèmes de circulation et des personnages englués dans des difficultés diverses. Il joue également sur une extrême maîtrise et rigueur techniques : plans extrêmement soignés et composés avec précision, travail sur la photographie et ce ton froid et métallique des images. Nous sommes là aux antipodes du Dogme, le réalisateur privilégiant la caméra fixe et le travail en studio dans des décors aux accessoires méticuleusement choisis et disposés. Pas de place ici à l'improvisation. Pas de place au sentimentalisme non plus, juste peut-être à un peu de pitié pour ces humains malmenés par une société qui n'a plus rien d'humain et qui semblent régresser jusqu'à en revenir à des pratiques d'un autre âge : le sacrifice de la jeune fille par les autorités politiques, militaires et religieuses, l'étrange procession de flagellants qui semblent presque sortis tout droit du Septième sceau. Faut-il voir là une des raisons de l'intérêt d'Ingmar Bergman pour le film de son collègue suédois ? Je le cite : "Un accomplissement, un film parfaitement génial". Quelques leitmotivs, comme ce "Bienheureux ce qui s'assoient", citation du poète Cesar Vallejo, ou "Il y a un temps pour tout", sont repris de séquence en séquence par divers personnages et servent en quelque sorte de liens entre plusieurs moments du film. La première de ces répliques propose d'ailleurs l'une des deux dernières possibilités laissées aux protagonistes de l'histoire, coincés dans un univers absurde, implacable, cauchemardesque, pour ne pas totalement renoncer : prendre un peu de repos. Une autre solution leur est également plusieurs fois proposée : la fuite, mais celle-ci est bien problématique comme l'illustre la séquence des voyageurs cherchant à approcher les guichets du hall de départ d'un aéroport (progression comme au ralenti, lourdeur des bagages, rivalité entre les futurs passagers). Roy Andersson joue également sur un humour froid et glacial, mais toujours extrêmement caustique et efficace. On pourra sans doute reprocher au réalisateur un symbolisme parfois facile (le poète interné en hôpital psychiatrique), mais on ne pourra pas reprocher à son film sa grande originalité et son étonnant et inquiétant pouvoir de fascination. Un film auquel il faudrait bien évidemment consacrer plus que les quelques lignes qui précèdent.