Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin.
A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d'amoureuses flammes,
M'a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m'ont pas trouvé beau.
Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l'étant guère,
J'ai voulu mourir à la guerre :
La mort n'a pas voulu de moi.
Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu'est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspar !.
Ces vers de Paul Verlaine, écrits en 1873, sont destinés à un être mystérieux, hirsute, grimaçant, au sommeil lourd. Tenant à peine sur ses jambes. Son infirmité est lourde, traînée par des mains anonymes, dans une nature verdoyante, ondulant au rythme des vents. Kaspar Hauser, âgé d'environ seize ans, et découvert au mois de mai 1828, bras gauche tendu, tel une statue de pierre, au milieu d'une place, sous les regards inquiets d'autochtones, découvrant une telle posture. Il porte une lettre destinée à un capitaine de cavalerie et ne prononce qu'une seule phrase apprise par cœur : "J'aimerais devenir un combattant comme le fût mon père." Recueilli par la collectivité, Kaspar montre une ignorance inégalée, il ne sait ni lire, ni écrire, recrache ce qu'il mange, n'offre qu'un regard fixe envers ses protecteurs. Un intérêt pour les bases de l'existence et néanmoins découvert, Kaspar nourrit patiemment un oiseau. Le contact de la chaleur et la douceur de la main d'un bébé déclenche des larmes. Ce jeune homme a des sens. Les progrès sont fulgurants, il apprend le mécanisme de la nature, la musique, les sons, la parole, mais le destin veille entretenant un mystère contrariant un mécanisme interne évolutif. Werner Herzog habille ses œuvres d'échecs, "Fitzcarraldo", "Aguirre" et Kaspar sont anéantis par des destins contradictoires, programmés afin d'obstruer des mécanismes d'énergies, un genre de grandeur négative où les oppositions sont des affirmations antinomiques. Kaspar ne se délecte provisoirement que de cette seconde naissance intellectuelle, offerte par des mots captés et renvoyés. L'encadrement est doux, patient envers cette entité à façonner, pourtant toutes ces sollicitudes sont vouées à ne pas réussir. Ce curieux personnage emporte son parcours que l'on peut définir, afin d'épiloguer sur un sujet bien mystérieux, comme un bâtard, le fruit d'un amour adultère escamoté à la naissance, un masque de fer gênant, qu'il ne faut surtout pas faire grandir intellectuellement. Ce n'est qu'une suggestion pour conserver la maîtrise d'un dénouement, que Kaspar, privé du potentiel d'une intuition divine, ne peut fournir, faute de temps. Le mystère Kaspar Hauser reste entier pour l'éternité.