Comment le cinéma peut-il lutter aujourd’hui contre la déferlante des séries ? Comment un film peut-il emporter le spectateur, de plus en plus conditionné par ces formats, au risque de s’ennuyer devant une histoire simple et linéaire ? Ce nouveau film de Radu Mihaileanu fait la preuve que le cinéma en est capable par la complexité de l’intrigue, ses nombreux personnages et ses histoires qui se croisent.
Cependant, c’est parce que le spectateur est aujourd’hui apte à détricoter les scénarii les plus alambiqués que le réalisateur a fait ce pari, constatant que « grâce aux séries télé, les spectateurs étaient capables de se confronter à des narrations plus complexes et habitués à ne pas tout comprendre immédiatement. Cette « déconstruction organisée » et ce croisement de chronologie me semblaient donc possible. » Inauguré par un plan-séquence vertigineux, L’Histoire de l’Amour fait l’effet d’un grand 8 dont le spectateur sort pantelant deux heures et quart après, sonné, ébahi et heureux de ce moment de cinéma qu’il vient de vivre. De la Pologne des années 30 à New York aujourd’hui, en passant par Brooklyn, Chinatown et même le Chili, ce film est le plus ambitieux de Radu Mihaileanu qui nous avait déjà enthousiasmés avec Va, Vis et Deviens et Le Concert. Son goût pour le bigger than life s’exprime ici dans une mise en scène brillante, par-delà le temps et les frontières. Un tour de force qui ne perd pas de vue l’émotion, présente dans l’histoire d’amour de Léo et Alma que la guerre va séparer et qui se développera autour de deux protagonistes qui ne devraient jamais se rencontrer, Léo, devenu un nonagénaire espiègle et une adolescente fougueuse. Elle s’appelle également Alma car l’amour de ses parents s’est nourri d’un roman qu’ils ont lu, intitulé L’Histoire de l’Amour dont l’héroïne se nommait Alma. Mise en abyme jubilatoire pour le spectateur qui devra dénouer les ficelles de l’intrigue. A l’origine de ce film, la volonté d’adapter le livre de Nicole Krauss dans lequel Radu Mihaileanu a retrouvé des thèmes chers à son cœur, déjà explorés dans ses films précédents, comme la question de la transmission, celle de la survie et de la dignité humaine, lui qui est né en Roumanie sous la dictature communiste et qui est le fils d’un journaliste juif qui a connu la déportation dans un camp de travail. « Le film pose la question de savoir comment se remettre debout quand l’Histoire collective et l’histoire individuelle nous ont quasiment anéantis. » Comment survivre à la perte des êtres chers ? Comment se reconstruire et croire à tous les possibles ? Léo est de ces héros positifs à qui on a tout pris mais qui a confiance dans l’amour. Il lutte avec l’énergie et l’humour du désespoir cher au réalisateur pour qui le rire est une arme. Le Concert déjà alliait les pleurs au rire et l’on retrouve ici cette signature propre à Radu Mihaileanu qui n’a jamais oublié ses origines : « L’humour est ma soupape de survie. On le retrouve partout dans l’identité juive. Pour moi, l’amour comme l’humour sont la plus noble façon de dire « je suis vivant » ».
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Son site : Ecrivain de votre vie)