Réalisateur de nombreux courts et moyens métrages distingués par la critique, Sylvain Desclous signe ici son premier long, nourri de son expérience dans l’organisation de séminaires d’entreprises. Si Vendeur est un portrait au vitriol des bonimenteurs, derrière le bonimenteur peut se cacher un homme fragile et cassé par son métier.
Avec Gilbert Melki (Serge) et Pio Marmaï (Gérald), le film dessine une histoire tendue et émouvante entre un père et son fils. Le premier est un as de la vente, spécialisé dans les cuisines, le second rêve d’ouvrir un restaurant. Rien cependant ne lie les deux hommes qui ont des personnalités opposées. Gérald a besoin d’argent pour financer les travaux de son restaurant et demande à son père de lui trouver un travail de vendeur. Ce doit être temporaire. Et sans doute pas difficile ! Or, la concurrence est féroce entre les vendeurs et ferrer un client, le baratiner et réussir une vente n’est pas à la portée de tout le monde. Gérald va en faire les frais et son père, Serge, qui s’est engagé pour lui, va devenir son coach. Il suffit de jouer un rôle, d’improviser comme sur une scène de théâtre ! Pari réussi, le fils surpasse le père mais sans voir l’envers du décor et la réalité de ce qu’il vit. La fêlure de ce personnage qui intéressait le réalisateur est son extrême solitude, son alcoolisme festif, la drague, les paillettes dans les boites de nuit et la cocaïne pour tenir le choc après une nuit sans sommeil. C’est aussi l’âge qui gagne avec les bobos qui vont avec et les alertes cardiaques qui conduisent Serge à l’hôpital avec l’interdiction de reprendre le travail. Si seulement son fils ne décidait pas de prolonger cette expérience de vendeur, prenant goût à cette vie en apparence brillante où le champagne coule et les filles sont faciles ! Le travail de sape confondu avec un vrai sauvetage de son fils va conduire Serge à accomplir la plus belle réussite de sa vie. L’émotion est au rendez-vous avec ce père qui se bat pour que son fils ne commette pas les mêmes erreurs que lui, ayant tout sacrifié à son travail, à commencer par son couple et sa relation avec son fils. Sébastien Desclous sait filmer ces corps d’hommes qui s’étreignent avec retenue et pudeur pour mieux filmer quand ils craquent, solitaires, comme des fauves auxquels il est fait référence dans une autre scène qui parle de filiation entre Serge et une jeune femme qui pourrait être sa fille spirituelle, étudiante en Master Marketing et qui paye ses études en se prostituant (Sara Giraudeau, parfaite). Pute et vendeur c’est un peu pareil, lui dira-t-elle. Rien de glauque cependant, de l’amour et de la tendresse et des fausses pistes pour mieux étonner le spectateur. De même une séquence de Serge avec son propre père qu’il voit trop peu, moment apaisé au bord d’une rivière où ils pêchent, ouvre le film sur un autre moment sensible. Outre la maîtrise narrative et formelle, ce film se distingue par un choix esthétique qui rend beaux ces espaces de centres commerciaux habituellement froids, gris et tristes. Sébastien Desclous connaît bien ces lieux et il a choisi des teintes chaudes et des références au cinéma américain des années 70. Le prologue du film est remarquable qui ouvre sur le réseau autoroutier du périphérique parisien en suivant Serge dans sa BMW d’un autre âge, porté par une musique qui donne une ampleur et un souffle à son trajet dans le flot de la circulation. Lui-même a le look des hâbleurs de la belle époque, moins proche de Patrick Abitbol dans La vérité si je mens que d’un Al Pacino ou autre Ben Gazzara, le costume bien taillé avec manteau long et bague au petit doigt, en ayant de la prestance au milieu des belles de nuit qui paillonnent autour de lui dans les bars. Gilbert Melki joue sa partition tout en finesse et nous rappelle qu’il est un grand comédien devenu trop rare ces dernières années et qui mérite une place plus grande dans le cinéma français.
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Son site : Ecrivain de votre vie)