"Quand passent les grues" littéralement, mais ce mot aurait fait tache en sous-titre français... Amour et guerre : les astuces du cinéma russe pour être sûr d'être tranquille, car il était encore périlleux en 1957 sous Khroutchev et sa soi-disant "destalinisation", de se risquer hors des balises... L'actrice Tatiana Somoilova, jolie frimousse slave, silhouette pleine de promesses, crève l'écran par les pressentiments qui émanent de sa personne. Etonnant comme son Boris et elle se frôlent plus qu'ils ne se tiennent, il doit faire son devoir ("volontaire" ou "désigné", je me le demande encore), elle court beaucoup vers lui une fois qu'il a monté son escalier, elle questionne "et moi dans tout ça" ?... Contrairement aux fréquents résumés du film, je trouve qu'elle subit ensuite les assauts du pressant cousin Marc plus pour éviter le scandale, bien davantage que par faiblesse. Sa mine révèle qu'elle est complètement défaite après le premier bombardement. Sentiments piétinés par cette soudaine violence qui déferle... C'est beau et ça fait pleurer plus ça avance, on est renseigné sur ce qu'une guerre chavire dans le quotidien des populations. Mikhaïl Kalatozov montre bien que, sous tout régime, aussi dur soit-il, on perd pied jusqu'à devenir l'ombre de soi-même dans certains cas. Quand le sort frappe trop dur, mieux vaut s'occuper à aider les rescapés en attendant que ça se passe... Techniquement, c'est un noir et blanc d'une netteté parfaite, la caméra est virevoltante pour l'époque, la musique peut vriller les tympans dans les crises traversées, on sait pourquoi... Mais c'est surtout ce couple promis, d'emblée trop enclin à louvoyer qui maintient l'intérêt du spectateur... Issue confondante, simultanément liesse + détresse dans les fleurs, léger sourire, on sent le bon côté du collectivisme... Silence sur le pacte germano-soviétique, on marche dans la boue sous la mitraille, mais rien ne peut faire qu'on identifie l'ennemi une seule fois. Accent mis sur le courage collectif du peuple russe... L'avenir se tient tout entier dans le personnage de Veronica. Ce film multiprimé, qui m'avait fortement impressionnée quand j'avais quatorze ans par l'émotion qu'il dégage, trouve le moyen d'encore bien me remuer au-delà de cinquante !