Les aficionados de ce réalisateur venu du froid, à l’univers atypique, vont être de nouveau comblés. Poétique, drôle et tendre, décalé par rapport à la tendance du cinéma actuel à calquer sur le format télévisuel, Le Havre se déroule dans la ville de France qui convenait le mieux à Kaurismäki pour y planter son film : bastion communiste il fut un temps, et permettant la référence au havre… de paix où évoluent d’attachants personnages, Le Havre est également la ville ou se passe Quai des Brumes de Carné, réalisateur cher à Kaurismäki.
On y retrouve André Wilms dans le rôle principal, acteur Kaurismäkien qui joua dans La Vie de Bohème, en 1992, et qui s’appelle Marcel Marx encore ici, une référence à Karl Marx. Il campe un cireur de chaussures qui fut un temps écrivain et il nous régale avec son phrasé d’acteur de théâtre français, comme les affectionne le réalisateur. Marcel Marx a une épouse, Arletty, de santé fragile, incarnée par Kati Outinen, l’égérie du cinéaste finlandais. Elle est hospitalisée et Marcel Marx se retrouve seul avec son chien… pas pour longtemps ; un jeune garçon venu d’Afrique clandestinement va trouver refuge chez cet homme bohème et généreux. Les personnages de ce quartier populaire du Havre le sont tous, les femmes particulièrement, et ces dockers qui traînent dans le bar, l’épicier à l’ancienne également… tous évoluant dans un décor et des couleurs très années 50. Car, chez Kaurismäki, il ne faut pas chercher de réalisme ni de message politique lourdement asséné. Dans ce film franco-finlandais, le côté fable est affirmé, et une foi dans le cinéma, avec des clins d’œil à Marcel Carné et René Clair, avec des personnages qui s’appellent Becker ou Arletty, et dans la propension que le cinéma a de transcender le réel comme en témoigne la fin.
Le film progresse de façon simple : Marcel Marx va aider le jeune garçon à rejoindre l’Angleterre et devoir, pour cela, collecter assez d’argent en organisant un concert : les gains de la vente des billets serviront à l’enfant à traverser la Manche. Nous ne sommes pas chez Philippe Lioret, avec son Welcome tragique, même si Marcel Marx va rencontrer des réfugiés dans un camp de détention sauvage ; séquence qui sonne comme un moment de cinéma vérité suspendu, avec peu de paroles échangées. La star qui va attirer les foules est Little Bob lui-même, star du rock français alternatif, havrais lui-même, et qui vaut à lui seul le détour. Tout le monde est acquis à la cause du jeune garçon et doit déjouer la trahison d’un vilain dénonciateur – Jean-Pierre Léaud qui a un petit rôle mais quelle présence ! La menace qui pèse sur le destin de l’enfant est incarnée par Jean-Pierre Darroussin dont le rôle est étonnant, tout en nuances. Film d’une belle intensité, traitant de manière légère un sujet grave et pour qui le qualificatif de profondément « humaniste » n’a rien de galvaudé, il pose la question de l’immigration dans cette France qui fut longtemps terre d’accueil et qui est devenue bien étriquée à tous points de vue. Les Indignés s’indignent, Kaurismäki réalise Le Havre. On veut croire, avec lui, qu’un film peut-être une petite pierre de plus à l’édifice du changement…
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Son site : Ecrivain de votre vie)