Emmanuel Salinger fait partie de la bande de la nouvelle nouvelle vague française avec Arnaud Desplechin (La vie des morts et La Sentinelle), Xavier Bauvois et Pascal Bonitzer avec lesquels il a travaillé comme comédien et scénariste et personne ne l’attendait, pour son premier long métrage sur le terrain de la comédie.
La très bonne idée fut d’imaginer le personnage principal en prof de province – de philo – dans un pauvre costume fripé et tenant à bout de bras un cartable élimé qui fut sans soute le sien lorsqu’il était lui-même élève. L’excellente idée fut d’en faire un personnage burlesque. D’emblée le ton est donné avec un pré générique désopilant. Dans un élan de catastrophes en cascade, Grégoire se prend sur la figure des livres qui dégringolent, lui-même va dégringoler dans des escaliers, une journaliste reporter lui tombe littéralement dessus et les copies de philo de ses élèves volent par la fenêtre, tombent et s’éparpillent foulées aux pieds par des CRS venus intervenir contre une manif destinée à soutenir des locataires chassés de chez eux manu militari… Grégoire fait partie des militants et se retrouvent enfin à devoir héberger l’un de ces locataires, joué par Maurice Bénichou qui fait de brèves apparitions mais chacune d’elles est mémorable. La bande son très jazzy donne un côté frénétique à l’ensemble.
Par son rythme La Grande vie fait penser aux comédies américaines des années 50 dont Emmanuel Salinger s’est beaucoup nourri et qu’il a fort bien digérées, ayant su trouver un ton très personnel. Il tient de bout en bout sa comédie qui joue sur les registres du verbal, de l’absurde et du burlesque porté par un comédien mal connu mais qui fera désormais parler de lui : Laurent Capelluto, une sorte de Gary Grant mâtiné d’un Jean-Pierre Léaud et d’un Rowan Atkinson (Mr Bean) avec un jeu très physique, à la fois drôle et élégant.
Grégoire, le petit prof de province, va se retrouver sous les feux des projecteurs, invité sur un plateau de télévision à défendre les victimes chassées de chez elles par un promoteur immobilier. Grégoire n’a pas la télé et il ne sait pas que dans ce genre d’émission, le sérieux est bafoué et que tout dialogue est impossible, remplacé par des pump pump girls. L’animateur, c’est Michel Boujenah. Les deux hommes commencent à se fréquenter. L’un est fasciné par le monde des paillettes et de l’argent, l’autre découvre avec ravissement Socrate et se prend de passion pour Diogène qui habitait dans un tonneau ! La remise en question est douloureuse et inattendue. Le monde de la télévision est traité sans complaisance. Michel Boujenah ne joue pas les cabotins et compose avec son partenaire un très joli duo de comédie où l’on parle de la caverne de Platon, de Socrate le rebelle et de la question fondamentale qui est un cœur du film : « Qui suis-je ? »
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Son site : Ecrivain de votre vie)