En 1981, le Maroc connaît des mouvements de rébellion sévèrement réprimés. Le père du héros de ce film est emprisonné pour avoir manifesté. On cache la vérité à Mehdi, son fils de sept ans. On lui fait croire qu’il est parti travailler en France. Autour de Mehdi gravitent d’autres personnages : sa mère Amina, son grand-père Ahmed, l’instituteur amoureux, poète d’une seule poésie, un caïd et son frère, véritables figures burlesques, et la jeune et jolie Malika au destin tragique qui écoute Babouchka en boucle et qui fume en cachette. Ce film parle avec simplicité de ces hommes et de ces femmes qui vivent dans un village au cœur de l’Atlas, au mois du Ramadan. Bensaidi s’est plu à les filmer dans ces espaces immenses désertiques où seuls circulent les grands taxis bondés et les fameux camions Ford. On saluera la sobriété de ce film qui ne joue jamais la carte du folklore. Il témoigne d’un renouveau dans le cinéma marocain dès lors qu’il existe un mouvement général d’ouverture grâce à une presse dynamique. Bensaidi ne fait pas du cinéma militant. Il fait du cinéma motivé par le désir et pour “le plaisir de faire exister ces personnages extravagants, singuliers, qui ont peuplé [s]on enfance”. Lorsqu’il traite de l’oppression du régime, Bensaidi procède par allusion. Son utilisation du hors-champ participe aussi à cette façon d’évoquer ces années de plombs où le pouvoir politique et policier, même invisible, était partout présent. Les gens savaient alors que “les murs avaient des oreilles”. D’emblée le ton du film est donné. Une poule vient perturber la prière d’Ahmed en voulant s’installer sur son tapis. Avec un regard iconoclaste mais résolument prudent, Faouzi Bensaidi mélange les genres. Il mêle la comédie au drame car “on ne pleure jamais autant que dans un mariage et l’on ne rit jamais tant que dans un enterrement”. Les comédiens non professionnels apportent une justesse aux personnages. Les chihats, ces chanteuses qui viennent animer une scène de mariage, à la fin du film, sont girondes à souhait et l’ambiance qui règne à cause d’un musicien ivre brise avec l’image traditionnelle que l’on se fait d’une telle cérémonie dans un pays musulman. Le caïd est une caricature grand guignolesque de l’arriviste roublard. Le préposé à la diffusion des programmes télé abuse de son pouvoir d’être aux manettes lorsque passe le feuilleton sentimental que tout le village suit avec assiduité. Mille Mois surprend par sa forme inattendue qui laisse les personnages sortir du cadre sans que la caméra les suive. Le petit Mehdi est attachant, ce gardien de la chaise de l’instituteur qu’il transporte sur sa tête. Bensaidi enfin, fait la part belle aux femmes. Il témoigne de la place qu’elles occupent dans la société marocaine. Elles n’ont rien des esclaves soumises dont l’Occident a acheté le cliché. Avec Milles Mois, souhaitons que le cinéma marocain prenne un élan et fasse mieux connaître ce pays si riche d’histoires.