Premier film de Fanny Ardant, présenté à Cannes, hors compétition, Cendres et Sang est servi par des comédiens étonnants. Ils font la preuve qu’être dirigé par une réalisatrice, elle-même immense comédienne, donne envie de se surpasser. Cendres et Sang est une belle alchimie de talents.
L’histoire se passe quelque part dans un pays des Balkans où les chevaux fougueux la dispute à l’impulsion des hommes prêts à sortir leur couteau au moindre mot de travers. Il ne fait pas bon vivre ou survivre dans ces contrées où les hommes ont tous un ennemi, à commencer par leur voisin, et où les femmes ne sont que des épouses soumises, des mères orphelines de leur enfant ou des veuves figées dans leur deuil éternel, drapées de noir. C’est pourquoi, Judith a payé chèrement son esprit rebelle. En ayant revendiqué son droit à l’amour, elle s’est vue privée de son mari, assassiné sous les yeux de ses enfants et de sa fille devenue sourde depuis lors. Judith et ses enfants vivent à Marseille, loin de ce monde archaïque lorsqu’ils reçoivent une invitation au mariage de leur cousine. Judith renoue avec sa famille et ses enfants découvrent une société régie par des lois strictes et des rituels d’un autre âge. Or, ses deux grands fils vont apprendre que le sang appelle le sang et être confronté, à leur tour, à la fatalité et au drame. Les comédiens, roumains pour la plupart, sont impressionnants de force et de justesse. Les femmes ont une belle présence et les hommes sont particulièrement beaux, alliant rudesse et sensibilité en parlant français avec un accent non dénué de charme. Le personnage de Judith est incarné par l’immense Ronit Elkabetz. Fanny Ardant a trouvé son alter ego. Elle aurait pu jouer ce rôle de femme écorchée, volontaire et tellement séduisante mais elle voulait que son interprète puisse être crédible en femme venue de ces pays où le code de l’honneur est une composante clef du fonctionnement de la société. L’histoire pourrait aussi bien se dérouler en Sicile et en Grèce. Ronit Elkabetz n’a-t-elle pas l’aura d’une Irène Papas ? Le côté théâtral de certaines scènes, par le jeu et les mouvements des personnages dans le cadre, confère à Cendres et Sang une dimension de tragédie antique. Certaines séquences sont particulièrement marquantes. Des chevaux piaffant, ruant, affolés, prisonniers d’un cercle de feu, les hommes engagés dans une danse martiale, tapant le sol de leurs talons, lors de la cérémonie nuptiale, un grand miroir porté par des vieilles femmes en noir lors d’un banquet où siège seul, face à ces juges, un homme accusé de meurtre. Elles posent le miroir près de cet homme qui s’y reflète car tout homme est double et n’est jamais tout à fait mauvais. Fanny Ardant joue avec les codes de l’honneur, les rituels et faux rituels en laissant la part belle à son imagination romanesque. Elle a signé un film qui lui ressemble, alliant mystère et charme ténébreux.
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Son site : Ecrivain de votre vie)