Premier long métrage accompli de cet ancien journaliste des Cahiers du Cinéma (1987-2000), ce film réunit Guillaume Canet et Géraldine Pailhas. Mixte de film sentimental et de film d’espionnage, Espion(s) joue avec brio avec les codes du genre. Bien au-delà d’un exercice de style, le film fait la part belle à l’émotion, servi par des interprètes exceptionnels.
La clef du film est donnée d’emblée. Vincent (Guillaume Canet) travaille dans un aéroport au centre de triage des bagages. Son collègue fouille les valises pour voler deux-trois bricoles tandis que Vincent lit Le Cœur Conscient de Bruno Bettelheim. Qui connaît ce livre majeur en comprendra les implications. Pour les autres, le titre-même de ce livre renvoie au parcours initiatique que connaîtra Vincent. Ce jeune homme brillant pour le moins détaché et désabusé va devoir s’éveiller au monde, à ses misères, à sa violence, au terrorisme et… à l’amour. En effet, sa vie bascule lorsque son collègue prend feu, devant ses yeux, après avoir débouché un flacon de parfum qui lui a explosé au visage. Un homme, un syrien, vient chercher son sac. La DST s’en mêle et va impliquer Vincent dans une enquête qui va le mener à Londres auprès de Peter Burton, un homme d’affaires britannique, patron d’un laboratoire pharmaceutique, lié aux agents syriens. Vincent va se retrouver au cœur d’une conspiration terroriste qui menace la sécurité de l’Europe en utilisant les propriétés explosives du nitrométhane : un explosif liquide. Or, le seul moyen de déjouer cette conspiration est de gagner la confiance de Claire, l’épouse de Peter Burton, une femme française fragile. Pour ce faire, Vincent va devoir la séduire. « Ce film est d’abord une histoire d’amour sur fond d’espionnage. Le plus difficile c’est de garder ce point de vue jusqu’au bout en respectant certaines conventions propres au genre. Dans tout film de genre, il y a des « scènes à faire » et j’ai essayé de respecter ce cahier des charges. J’aime les récits d’espionnage parce qu’ils concernent toujours la manipulation, les faiblesses humaines, la fragilité qu’il y a en chacun de nous ». L’une des gageures du film est de se développer en Grande-Bretagne et de parler dans les deux langues, le français et l’anglais. Pour Nicolas Saada, jouer sur les deux registres du film psychologique sentimental propre à un certain classicisme français et du film noir d’action devait passer par ces deux langues. Les scènes entre Guillaume Canet et Géraldine Pailhas sont en français. Lorsqu’il est confronté aux agents secrets britanniques, en anglais. Le film fonctionne sur de nombreuses séquences remarquables. Particulièrement, une scène de repas chez l’homme d’affaire britannique est un grand moment de cinéma. Elle est construite sur différents niveaux sur un timing précis; séduction, peur d’être démasqué, mensonge sont au cœur de cette séquence avec un sens du suspens et de la construction admirable. Le Prince de New York de Sidney Lumet et Pickpocket de Bresson ont été des films de référence lors de la préparation d’Espion(s) qui fera aussi penser aux Enchaînés d’Hitchcock par son thème. L’espace urbain nocturne de Londres et sa proche banlieue est magnifié par la photographie de Stéphane Fontaine qui avait travaillé avec Jacques Audiard sur De battre mon cœur s’est arrêté. Sans oublier de traiter avec l’envergure nécessaire les scènes d’action, le film n’oublie pas qu’il s’agit du parcours initiatique de Vincent. En travaillant sur l’espace intime dans une histoire qui traite de la menace terroriste internationale, Nicolas Saada a signé un grand film.
(
Son site : Ecrivain de votre vie)