L’affiche est pour le moins étonnante, surréaliste et dérangeante. Pour ceux qui connaissent Moby Dick, l’idée de voir Denis Lavant dans le rôle du Capitaine Achab stimulera la curiosité mais sont-ils si nombreux ceux qui ont lu le roman de Melville ? Assurément, ce film qui est en grande partie une rêverie autour de l’enfance d’Achab en éveillera l’envie. Dorénavant complémentaires, le roman et le film sont une réflexion passionnante sur la quête d’un bonheur irrémédiablement perdu.
Librement inspiré de Moby Dick d’Hermann Melville, Capitaine Achab est le second long métrage de Philippe Ramos. Ce jeune réalisateur souvent récompensé aime à se présenter comme un homme des bois. D’avoir grandi près de la nature lui a forgé ce goût pour un rapport authentique aux être et au monde. Aller au cœur de la vérité des personnages sous-tend son film autour de la figure d’Achab dont Melville ne décrit pas les jeunes années dans son roman. Philippe Ramos le fait ici avec Virgil Leclaire, un Denis Lavant enfant plus vrai que nature et qui porte avec une détermination impressionnante sur son visage et dans sa chair cette violence qui le conduira à corps perdu dans cette chasse à la baleine insensée. Capitaine Achab adulte c’est Denis Lavant qui, après Gregory Peck dans le film de John Huston, renouvelle la vision de ce personnage jusqu’au boutiste dans son combat contre la baleine blanche. Le moteur de cette quête éperdue est l’affirmation et la revendication de la liberté ; l’affranchissement des liens sociaux et conventionnels. L’enfant en a une vision incarnée à travers la maîtresse de son père. En effet, l’enfant est très tôt confronté à la violence de la perte de la mort de sa mère, remplacée peu de temps plus tard par une jeune femme libre, sauvage comme la nature environnante. Et l’enfant d’avoir une vision bucolique de l’amour avec un père heureux (Jean-François Stévenin) et de croire à cette famille improbable qu’ils forment tous les trois, insouciante et joyeuse. Très vite, un peintre moins frustre va séduire la jeune demoiselle et le drame éclatera renvoyant l’enfant définitivement dans le monde âpre de la société puritaine américaine du 19ème siècle. Le film de Philippe Ramos, construit autour de différents chapitres, ne cessera de surprendre et de jouer sur des contrastes, à commencer par ce couple qui adoptera l’enfant composé de sa tante aux prises avec Dieu et avec les affres de ses désirs retenus et d’un homme à la perversité non moins retenue mais néanmoins tangible à chaque plan… joué par l’inénarrable Philippe Katerine. Le casting est très intéressant, faisant la part belle à des comédiens venus presque exclusivement du théâtre qui donnent au texte très « écrit » de ce film leur timbre de voix et leur phrasé particulier. Dominique Blanc, vibrante femme de marin, amoureuse de son Achab abîmé dont elle panse les plaies et accompagne dans ses premiers pas d’estropié et Carlo Brandt, qui brûle du feu intérieur de ce pasteur habité par la foi et auquel on ramène l’enfant inconscient sauvé des eaux avec une Bible dans les mains. Cette rêverie autour de Moby Dick, convoque tout un imaginaire lié au 19ème siècle en Amérique, aux romans de Mark Twain et Walt Whitman accompagnée par une bande musicale qui fait la part belle à l’éclectisme, passant du classique à la pop. Surprenante encore est la chasse à la baleine qui renvoie au réel avec des images d’archives ayant permis d’échapper à la reconstitution forcément décevante. Capitaine Achab nous met dans un état particulier, par ses musiques, par cet univers esthétique où il nous plonge… Œuvre complexe éveillant chaque spectateur à sa propre sensibilité.
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Son site : Ecrivain de votre vie)