En novembre 2000, publiée par « l’ Association », paraissait la première bande dessinée de Marjane Satrapi. Intitulé Persepolis, ce premier album très remarqué devait connaître une suite en trois volumes. La jeune femme y raconte son enfance iranienne, son exil en Autriche puis son retour en Iran. Depuis 1994, elle est installée en France. "Persepolis" a obtenu le prix du jury au dernier festival de Cannes. C’est la première fois qu’un auteur de bandes dessinées adapte son œuvre au cinéma.
Lorsqu’elle était petite fille, les parents de Marjane ne l’emmenaient pas voir les dessins animés qui passaient dans les salles de Téhéran. Ils voulaient qu’elle devienne une « intellectuelle ». Très jeune, elle a surtout vu des films comme Le chien andalou et le 7ème sceau d’Ingmar Bergman par exemple. C’est dire qu’elle a été à bonne école ! Elle a réalisé un film très réussi. Ceux qui craindraient un côté redondant par rapport à la bande dessinée seront rassurés. Le fond ayant eu une importance fondamentale sur la forme, le film fait la preuve d’une riche inventivité pour jouer sur différents niveaux narratifs.
En effet, l’histoire commence en 1978, lorsque la petite Marjane a 8 ans ; enfant choyée dans une famille moderne et cultivée de Téhéran. La révolution va conduire à la chute du régime du Chah. Les évènements conduisent à l’instauration de la République islamique avec ses règles de conduite répressives. Marjane grandit et porte désormais le voile mais elle n’a pas sa langue dans sa poche dans un pays placé sous le règne de la dictature où kidnappings et torture des dissidents sont monnaie courante. Le pays est désormais en guerre contre l’Irak. Pour préserver Marjane de plus en plus en butte à l’autorité, ses parents l’envoient à Vienne. Elle a 14 ans et découvre l’occident, les affres de l’adolescence et les histoires d’amour malheureuses.
Hormis quelques éléments du décor en couleur dans un aéroport, tout le film est en noir et blanc. La couleur se satisfait de quelques imperfections. Le noir et blanc est exigeant avec le risque de lasser. Ce n’est pas le cas ici. Persépolis surprend par sa créativité, passant de scènes oniriques à des scènes de répressions policières, de flashs-backs ramenant à différents temps du passé à la ville de Téhéran avec ses immeubles modernes et à une Vienne baroque « exotique ». A l’épure du trait dont la simplicité est cependant étonnante d’expressivité, s’allient des emprunts aux codes de l’expressionnisme allemand avec ses jeux d’ombres inquiétantes, l’utilisation du fondu enchaîné et le graphisme de certaines séquences rappelant la finesse des miniatures persanes. Nombreuses transitions sur des motifs graphiques sont admirables. Le film est sur le fil avec une belle rigueur dramatique.
"Persepolis" est habité par les voix de Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Danielle Darrieux et Simon Abkarian respectivement dans les personnages de Marjane, de sa mère, sa grand-mère et son père. L’originalité de la démarche a voulu que l’enregistrement des voix se fît avant la réalisation. Les comédiens ont profité, de fait, d’une liberté qui n’est pas celle habituellement des donneurs de voix pour un dessin animé traditionnel, n’ayant pas été tributaires d’un timing ou obligés de coller aux mouvements des personnages. On retrouve l’impertinence du texte de la bande dessinée. Le parler souvent fleuri de la grand-mère est dit avec une saveur incomparable par la grande Darrieux. Film intelligent, tragique et drôle souvent, étonnant par ses trouvailles visuelles narratives, "Persépolis" fera assurément date dans l’histoire du dessin animé.
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