Résumé
Créée en 1867, la manufacture générale horlogère, d'une future réputation mondiale, sise dans le quartier besançonnais de Palente, connaît ses premières difficultés structurelles cent ans plus tard, en 1967, sous la direction de Fred Lipmann alias Fred Lip qui est obligé de céder plus de 30% de ses parts à un gros consortium suisse "Ebauches S.A." qui devient le principal actionnaire en 1970. Trois ans plus tard, avec la pressante concurrence américaine et japonaise dans l'environnement de la montre de qualité et de précision, le patronat décide d'un drastique plan de licenciement (500 personnes) découvert inopinément par les salariés, qui se mettent immédiatement en grève (12 juin) avec séquestration des représentants de la direction, provoquant une intervention des forces de police, suivie peu après (15 juin) par une conséquente manifestation, regroupant près de 12.000 opposants. Devant la possible inanité de cette action revendicatrice, il est décidé (18 juin) d'une remise en route de la production de l'usine, sur le mode utopique et lumineux de l'autogestion, avec la constitution d'un stock de "guerre" composé essentiellement de milliers de montres subtilisées, cachées auprès de sympathisants de tous bords, allant de la discrète mère de famille à l'anonyme écclésiastique, en passant par l'insoupçonnable activiste. Bien sûr, les instances syndicales nationales (CFDT, CGT) sont totalement prises au dépourvu, dépassées par ces initiatives "individualistes", anachroniques, "irresponsables" (les membres du comité d'action des grévistes) ne rentrant pas du tout dans les arcanes de la revendication militante basique et "réglementaire". S'en suit la première paie sauvage. Le 2 août, le ministre du Développement Industriel de l'époque, Jean Charbonnel, nomme un médiateur, Henri Giraud dont le plan de restructuation impose toujours des licenciements et mène ainsi irrémédiablement vers un inévitable échec des pourparlers. Excédé, le pouvoir politique en place, envoie à nouveau les CRS qui cette fois, évacuent, manu militari, l'usine. Rapidement, la résistance s'organise dans des structures nouvelles, des lieux de réunion hors du cadre de l'entreprise, des collaborations inédites, et cela malgré les difficultés économiques de plus en plus prégnantes et d'insidieuses et détournées promesses de reclassement. Personne ne succombe aux sirènes du pouvoir, comme un vulgaire Bernard Kouchner*** au seuil de la pauvreté et de la déshérence. D'ailleurs, le 29 septembre, une impressionnante marche sur Besançon réunit 100.000 manifestants, sous une pluie et une conviction battantes. Quatre mois plus tard, avec le soutien de quelques chefs d'entreprises "progressistes", l'ensemble des activités est reprise par Claude Neuschwander, numéro 2 du groupe Publicis et membre du PSU, avec une promesse de réambauchage progressive de la totalité des ouvriers, via les fameux accords de Dôle. Au cours des deux années qui suivront, le pouvoir politique n'aura qu'une idée en tête, casser Lip pour éviter toute contagion revendicative sur le même modèle libertaire et fera tout (suppression des habituelles commandes nationales de pendulettes pour les voitures de Renault, désengagement discret pour des prêts de restructuration, réapparition judiciaire de dettes anciennes, etc..) pour mettre enfin un terme définitif au dangereux rêve de milliers de travailleurs d'ici et d'ailleurs, qui ont perçu dans cette lutte inédite, un semblant d'espoir pour des lendemains qui chantent et dansent. Mais les temps ont inexorablement changé et les c(h)oeurs transis appris à déchanter; nous sommes désormais dans un autre monde, comme le stigmatisait fort justement Claude Neuschwander, le président démissionnaire ou plutôt démissionné :
"Jusqu’à Lip, nous étions dans un capitalisme où l’entreprise était au coeur de l’économie. Après, nous nous sommes trouvés dans un capitalisme où la finance et l’intérêt de l’argent ont remplacé l’entreprise"...
*** Homme politique de gauche, faisant partie du staff de la candidate socialiste aux élections présidentielles de 2007 et qui rejoint quelques jours plus tard, après la promulgation des résultats, le camp adversaire (vainqueur) pour aller au maroquin "Judas", à la soupe "Brutus", au picotin "Ganelon", au portefeuille "Iago", auprès de celui (Sarkozy) qu'il traitait il y a peu, de "singulièrement dangereux, voire irresponsable qui n'éprouve aucune honte à pêcher dans les eaux de l'extrême-droite".