"Comment avez-vous pu gouverner un pays?".
En 1984, la vérité, conquise de force par la Stasi, consiste en des propos désordonnés. Le soleil une fois à l'Ouest se moque de vous. Rien voir et rien entendre assure la pitance de ses proches. Les rues désertes, clairsemées d'automobiles, offrent des nuits blafardes à un apparatchik soudainement troublé par la valeur propre de l'individu, le texte et la musique. Ces illuminations nouvelles inaugurant peut-être l'éveil d'un esprit. L'instrument du parti dine seul dans des grands espaces murés, laissant parfois le passage à un apaisement furtif, fourni par des professionnelles. Tout ce qui manque se décortique sadiquement dans un jouissif permanent nommé "La vie des autres", que l'on tient entre ses mains. A l'étage, les portes sont ouvertes sans ménagement. Dans les sous-sols, l'oreille est attentive, sadique, provocatrice. Dans les hauteurs, l'écouté complote pour survivre dans une liberté créative en maintenant du mieux possible un comportement intellectuel, non assujetti à la dominance d'un pouvoir, ne stabilisant sa puissance que par la démolition de ceux qui pensent. Le suicide n'est plus comptabilisé, ce n'est qu'une mort comme les autres. L'écoute d'une sonate verrouille presque le processus d'une révolution. Le poète est l'ingénieur de l'âme. L'actrice, malgré son talent, reste dépendante de l'obèse tribal, camouflé dans la voiture de fonction. Pour un régime totalitaire, l'art est le pire des ennemis. Le penseur est dangereux, il se dompte au même titre que la population, par la peur, la surveillance et le slogan politique. La créativité libératrice est sous-marine, en parallèle avec les énormes pressions que le parti s'inflige à lui- même. Le régime n'est qu'un harcèlement, nivelant constamment toutes les couches sociales, réduisant à néant les libertés de penser d'individus diabolisés par la peur. "La vie des autres" est un film poignant sur la destruction des âmes, opérée par des opportunistes sans structures, récupérés par l'idéologie dominatrice d'un rouleau compresseur broyant ses propres composants. Difficile de ne pas comparer ses images de persécutions, de trahisons et de sacrifices avec les sinistres heures hitlériennes ùu chacun n'est plus lui-même, ce dysfonctionnement appelant avec désespoir la diction d'une phrase sublime : "Le mur est ouvert".