Il a surtout filmé des femmes en pensant qu’elles portaient mieux l’émotion et l’intériorité. Ici, Ozon a voulu filmer un mélodrame au masculin. Melvil Poupaud, trop rare au cinéma, connaît ici son plus beau rôle. Un défi de tous les plans qu’il habite de son regard noir qui chavire, face à ce temps si court qu’il reste à vivre à son personnage. Toute une vie devant soi si le crabe ne s’en était pas mêlé.
Romain est un jeune photographe de mode. Il a trente ans et il apprend qu’il a un cancer dont il ne pourra guérir. Plutôt que de courir après une rémission illusoire, renonçant à tout traitement, Romain se laisse couler dans ce temps qui lui reste. A l’opposé de la caméra survoltée des Nuits fauves de Cyril Collard, en 1992, à l’image de son héros condamné lui aussi mais qui continuait de vivre à cent à l’heure, la caméra d’Ozon est sereine et Romain ne choisit pas de se brûler un peu plus les ailes. Romain passe par la colère, le refus d’être malade et par l’acceptation. Ozon ne joue pas la corde de la sensiblerie et il n’a pas choisi de filmer le délabrement physique. Ce nouveau film de François Ozon, s’inscrit dans un questionnement qu’il poursuit sur la mort : « A l’origine, il y a l’idée d’une trilogie sur le deuil, commencée avec Sous le sable, « mélodrame sec » qui posait la question de comment vivre la mort de l’autre. Le temps qui reste pose celle de sa propre mort à soi. Et le troisième volet, que je ferai peut-être un jour, racontera la mort d’un enfant. » Comment réagir lorsque l’on sait que l’on va mourir ? Pour Ozon, il est important de se réconcilier avec soi-même, avec l’enfant que l’on a été, et de se libérer du rapport à l’autre. Il ne s’agit pas de régler des comptes mais d’apprendre le détachement et de préparer l’autre à la rupture. Un dîner explosif chez les parents, Marie Rivière, avec son charme fou des actrices rohmériennes et Daniel Duval, presque muet, avec sa présence physique impressionnante et son jeu contenu. Et une séquence éprouvante chez la grand-mère de Romain, la seule à laquelle il annonce sa maladie. Jeanne Moreau, dans le rôle, est bien entendu d’une justesse limpide. Les deux comédiens nous offrent un moment d’émotion pure, un échange sensible sur cette situation si triste qui veut qu’un jeune homme, beau dans la force de l’âge meure avant sa grand-mère. Et puis il y a la rupture avec le petit ami, l’amoureux, l’autre que l’on aime et que l’on préfère quitter avant… Celui dont on veut s’épargner la pitié, le regard apeuré sur son corps qui s’abîme. Il est difficile de parler de ce film car il ne faut surtout pas déflorer le tournant de l’histoire. Non que l’issue soit surprenante – nous ne sommes pas au pays des miracles – mais Romain va se retrouver embarqué dans une situation qu’il n’aurait pas pu imaginer s’il ne s’était su condamné. Nous retrouvons alors une Valéria Bruni-Tedeschi naïve, désemparée et très touchante. Le temps qui reste est un film très épuré qui sert le parti pris d’une pudeur émotionnelle. Vu le sujet, de façon étonnante, il a pourtant été tourné en Scope. Ce format, qui prend tout son sens à la fin du film, a obligé François Ozon a des cadrages très larges ou bien très serrés. Le gros plan, au plus près des visages et des regards, renforce le degré d’intimité qui se crée entre Romain et le spectateur qui l’accompagne. La gageure du film était d’instaurer ce rapport dérangeant et de nous réconcilier peut-être avec l’idée de la mort, d’accepter cette idée intolérable que nous puissions accueillir la mort en souriant, comme Romain.
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Son site : Ecrivain de votre vie)