Si le résumé qui précède peut sembler un peu long, il me paraissait nécessaire pour donner une petite idée de la construction de Tic Tac. A une première vision, le film a, en effet, de quoi intriguer, surprendre et même parfois égarer le spectateur. Et cela non seulement à cause des intrigues multiples qui se déroulent sous ses yeux et qui semblent, au départ du moins, totalement indépendantes les unes des autres, mais également puisque la chronologie en prend elle aussi pour son grade, sans qu'on puisse véritablement s'en rendre compte avant la fin du film. Deux choses, en particulier, peuvent appréhender le spectateur : pourquoi les policiers laissent-ils repartir Kent et pourquoi ne veulent-ils pas que celui-ci les reconnaisse ? Rétrospectivement, tout apparaît beaucoup plus compliqué - un peu trop peut-être - puisque le bus que Kent double inconsidérément est celui duquel descendent Pedro et les deux skinheads et que la voiture qu'il est sur le point d'emboutir est celle des policiers qui l'ont escroqué. Tout ce beau monde se retrouve donc dans cette banlieue de Stockholm pour le moins un peu arbitrairement et de manière assez peu réaliste. Mais toute l'écriture du scénario de Tic Tac fonctionne ainsi. Avant de gagner le café où ils vont discuter, les deux skinheads longent un quai de gare où on peut, au passage, apercevoir Pedro qui tente de téléphoner à son amie. On pourrait multiplier les exemples. Voilà pour la forme. Pour le message, Daniel Alfredson se propose de peindre la Suède d'aujourd'hui. On peut, bien évidemment, le prendre au pied de la lettre et lui reprocher une vision partielle et partiale de son pays. Tout en effet est ici sombre et noir. Les policiers n'ont pas des méthodes très orthodoxes, comme le montre l'acquisition d'un logement par Niklas et on peut penser que c'est là chose courante puisque sa femme lui a auparavant demandé de ne pas se lancer dans des transactions douteuses pour obtenir un nouvel appartement. La jeunesse semble en proie à un désenchantement total comme l'illustrent les propos de Mieke et de Jeannette qui semblent dans l'impossibilité totale de communiquer avec leurs parents, quand ils n'ont pas envers eux des sentiments beaucoup plus radicaux. Mieke, qui veut brûler son école dans un souci de vengeance sans doute mais aussi dans un but de purification, a du mal à croire qui si Dieu existe il ait pu créer son père, et il égorgera ce dernier s'il en a l'occasion. Les skinheads glissent volontiers dans la violence et se jettent sur l'émigré Pedro aux cris de "Sieg heil" et de "Purifions le pays". Auparavant, le patron du café où ils sont descendus avait manifesté sa haine des skinheads et placé, dès leur entrée, une batte de base-ball sous le bar, à portée de la main, au cas où… De son côté, Kent ne semble pas non plus très fréquentable, se livrant à des opérations commerciales douteuses et prompt à susciter la création de milices. Si on ajoute les problèmes de couples, les querelles entre Niklas et Francesca, Pedro et son amie ou entre Kent et Ylva, on comprend que tout va vraiment mal dans le royaume de Suède. Il n'en reste pas moins que les quelques vies quotidiennes de ces êtres qui se croisent ou se rencontrent et une habile et subtile (même si elle est quelque peu artificielle) construction du film en font de bout en bout une œuvre attachante.