Ce fut l’euphorie sur la scène du Palais des Festivals, à Cannes, lorsque la fine équipe masculine d’Indigènes reçut le prix d’interprétation. Cela faisait dix ans que Rachid Bouchareb voulait parler de l’engagement des maghrébins aux côtés de la France, dans la seconde guerre mondiale. Episode peu connu de l’histoire de ce pays qu’il était temps de traiter en ces temps agités et de réflexion pour les petits enfants de ces soldats morts pour la France.
Ils étaient fiers ces hommes du Maroc, d’Algérie et de Tunisie de participer au combat pour la liberté face au nazisme. Partis en 1943, de l’Italie à la Provence jusque dans les Vosges, les hommes qui allaient au casse pipe étaient mus par des motivations diverses. Certains y sont allés pour la paye, d’autres parce qu’ils voulaient s’installer en France et il y avait ceux qui se sentaient appartenir à cette mère patrie dont on leur avait répété les principes de la République. Rachid Bouchareb, le réalisateur de Little Sénégal, continue de s’intéresser aux liens entre l’Histoire de l’Occident et l’Histoire de l’Afrique. Il montre les différentes facettes de cet engagement à travers des personnages qui ont tous leur raison d’être là. En amont, pour écrire son scénario, il a rencontré des anciens qui ont participé à cette guerre.
Les personnages s’inspirent de ces rencontres. Yassir, le mercenaire est interprété par un Samy Naceri quasi muet, au jeu intense. Jamel Debbouze parvient à nous faire oublier le show man comique le plus doué de sa génération. Roschdy Zem fait passer l’émotion du soldat amoureux, loin de sa belle, prisonnier de la logique de guerre et si le prix d’interprétation avait dû récompenser un seul de ces comédiens, Sami Bouajila aurait été celui-là ; impressionnant, fièvreux. Enfin, Bernard Blancan est un personnage pivot et emblématique du malaise de ces pieds noirs mal dans leur peau qui reniaient leurs origines pour avoir le droit d’exister dans l’armée française et de monter en grade. Les scènes qui les réunissent, Jamel et lui, sont parmi les plus belles du film.
Indigènes est un film ambitieux qui s’est donné les moyens et qui nous emporte dans des scènes de guerre d’envergure. C’est un film âpre qui n’est jamais complaisant avec le spectateur. Il est particulièrement intéressant car on y parle l’arabe. C’est l’une des audaces de ce film qui fera date dans l’histoire du cinéma français et que l’on espère servir de base à des cours d’Histoire de France aux nouvelles générations.
Grâce à Jamel Debbouze qui en est l’un des producteurs, le film a bénéficié de l’aide du Royaume du Maroc qui a mis à disposition son armée pour les figurants et sa flotte militaire. Etre une star aimée à l’avantage de voir ouvrir des portes et obtenir des facilités. Lorsque c’est au service d’un beau projet et d’un film salutaire comme celui-ci, la notoriété a du bon. Saluons l’obstination de Rachid Bouchareb et de Jamel Debbouze qui ont dû aussi solliciter les bonnes volontés des autorités françaises pour les autorisations de tournage. De fait, l’équipe venue défendre le film à Strasbourg nous a assuré que Jacques Chirac avait vu Indigènes et qu’il avait promis d’activer le dégel des pensions de ces anciens combattants. Car il faut savoir que depuis 1959, date de la fin de la décolonisation, les retraites et pensions d’invalidité versées aux anciens combattants de son ex-Empire colonial sont gelées. Il s’agit de la loi de « cristallisation ». Rachid Bouchareb et ses comédiens présentent toutefois le film comme étant celui de la réconciliation et non celui de la colère. On souhaite que ce film fasse bouger les consciences politiques.
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Son site : Ecrivain de votre vie)