J’ai essayé de raconter les grandes lignes de ce film de trois heures. La forme employée est intéressante. Il n’y a pas de décors, seuls les murs des maisons sont dessinés au sol. De ce fait, tous les acteurs sont visibles à tout moment, ils miment les gestes, des bruitages indiquent les fermetures de portes, etc. En fermant les yeux, on pourrait se croire à l’écoute d’une pièce radiophonique. Mais l’intérêt de ce dispositif est que le jeu des acteurs devient le point central, voire unique, du film. L’acteur / le personnage comme sujet du film ? Malheureusement, le pari ne me semble pas tenu par les comédiens malgré un casting prestigieux. On peut voir aussi dans cette absence de décor une transposition du regard des villageois, de ces petits villages où l’on voit tout, où l’on sait tout. Voilà pour la forme : du théâtre filmé en quelque sorte. Une démarche qui n’était pas inintéressante. Mais au fond ? Que raconte ce film ? Eh bien, il présente la veulerie, la bassesse, l’intérêt personnel, la lâcheté, la concupiscence, etc. des villageois comme des sentiments qui de toute façon devaient dominer. La présence et l’acceptation de Grace semblaient effacer la culpabilité de la communauté face aux reproches d’égoïsme de la part de Tom. Et lui voit là l’occasion de mettre en pratique sa théorie. Grace aussi est minée par la culpabilité : elle tente de racheter les crimes de son père. Cet ange tombé du ciel symbolise la pureté pour les villageois ; ils font tout au moins mine d’y croire. Qu’un doute s’insinue quant à cette pureté et tout est permis : on la fait trimer, on la traite comme un chien (c’est beaucoup trop explicite d’ailleurs), on la viole, etc. L’attitude de Tom est symptomatique de cette évolution : à ses yeux, Grace passe de la pureté à la déchéance. C’est alors que le personnage de Tom révèle sa nature véritable : il est lâche et trahit. Pour ne plus faire courir de risques aux villageois, il livre Grace à ceux qui la recherchent. Celle-ci, par vengeance, fait tuer tout le monde. Ainsi, pour Lars von Trier, il n’y aurait pas d’autre choix : être un saint ou un bourreau ? Avec un passage par le martyre, comme il se doit. L’Homme est un chien pour l’Homme ? Dans le village de Dogville, seul le chien survit à l’hécatombe (i.e. : l’innocence survit à la faute généralisée ?) Mais quelle vision de l’humanité a Lars von Trier ? Hors de la sainteté, point de salut ? Le message délivré par ce film est atterrant, et je le résumerai un peu rapidement ainsi : si vous n’êtes pas des saints, c’est que vous ne méritez pas de vivre, donc mourez tous ! Les photos du générique de fin qui présentent des pauvres des États-Unis à diverses époques ajoutent au malaise. Une photo a très certainement inspiré le personnage du camionneur tant la ressemblance est frappante. Que viennent faire ces photos en fin de film ? On pourra y voir, la larme à l’œil, le côté charitable et compatissant de Lars von Trier. Mais comme ces photos défilent juste après le massacre, en un raccourci indépendant de ma volonté, j’ai pensé : pour Lars von Trier, les pauvres (les villageois), c’est moche, c’est bête, c’est méchant, ça pèche, c’est irrécupérable alors massacrons-les. Terminer une projection avec ce genre d’impression montre à quel point j’exècre ce film. Lars von Trier y aura été incapable de montrer de la sympathie pour ses personnages (ce qui les condamnait d’avance). Il leur laissait pourtant un terrain d’expérimentation très intéressant pour qu’ils puissent s’exprimer. Comme dans Breaking the waves et Dancer in the dark, plus le film avance, plus le ratage est complet. Dans ces trois films, l’apothéose de l’échec se situe à la dernière scène. Lars von Trier a souvent de bonnes idées de cinéma qu’il gâche toujours tel un enfant qui prend plaisir à détruire son château de sable à peine terminé.