Sur un schéma digne des tragédies grecques, Baltasar Kormákur nous donne là une œuvre qui va plus s'orienter vers la comédie - voire le théâtre de boulevard - que vers le drame. Certes, les éléments dramatiques sont présents et, pris individuellement, très forts, très graves (on peut citer comme exemple la situation d'Ágúst gamin, enfermé dans sa chambre, entendant dans une pièce voisine les râles de sa mère mourante et dans une autre les gémissements d'amour de son père et de sa future belle-mère), mais le réalisateur a choisi de mettre les rieurs de son côté. Aussi, les situations cocasses se multiplient et les répliques bien senties fusent avec un maximum d'efficacité. On sent des dialogues très travaillés, peut-être est-ce dû au fait que le film est adapté d'une pièce de théâtre d'Ólafur Haukur Simonarson. Ceci dit, on ne sent aucun confinement théâtral, The sea (traduction française de Hadid, on appréciera) nous promène ici et là de manière assez trépidante, de Paris à Reykjavik et à travers les différents lieux marquant de ce petit port de pêche, centre d'amours, de haines et de refoulements divers. Sociologiquement, le film se situe donc dans un monde isolé, frustre et brutal : incestes, viols, coucheries tous azimuts, refoulés et pervers divers, alcoolisme… Tout cela rend quand même le film assez peu crédible. Décidément, trop, c'est trop. Mais revenons à ce monde dirigé par des patriarches despotiques faisant régner leur loi sur les gens et les choses : Thordur emploie la majorité des habitants du lieu dans son usine, possède l'épicerie locale, fait tenir le magasin de vêtements par sa belle-fille, impose ses dictats à la police… Mais ce monde est en train de disparaître. Le vieil homme se rend d'ailleurs compte que les temps changent : la faillite guette l'entreprise, la main d'œuvre féminine qu'il emploie n'est plus uniquement locale ("C'est un véritable aéroport international ici", constate-t-il lors d'une de ses visites), les jeunes préfèrent les pizzas et les hamburgers au poisson… Il va donc tenter une ultime et assez pathétique tentative pour sauver sa conserverie. Mais l'heure est aux regroupements et aux navires usines. La présence d'une Française dans ce contexte très islandais permet de nous expliquer certains us et coutumes locaux : la consommation du requin trempé dans l'urine, la "mort noire" (l'alcool local) ou encore les filles violées avant leur communion, réponse que donne Ágúst à Françoise quand elle lui demande comment c'est l'Islande. Tout cela est un peu trop noir et systématique pour être vrai. Mais le contexte social et économique est surtout là comme un décor de fond, presque en décalage avec le traitement du film (poursuites en voitures, situations burlesques et surréalistes, réparties hilarantes). Bref The sea est plutôt à regarder comme un produit qui vise d'abord à nous faire passer un bon moment et, à ce titre, on serait mal placé pour dire qu'il n'y réussit pas.