Ce septième long métrage de Susanne Bier est également le septième film danois bénéficiant de l'étiquette "Dogme" et c'est peut-être (? !) à cette appartenance qu'il doit sa diffusion dans les salles de l'hexagone. Car le Dogme est toujours source d'intérêt médiatique et les frères en dogme Thomas Vinterberg, Lars von Trier, Søren Kragh-Jacobsen et Kristian Levring n'ont pas manqué de critiquer les libertés prises par la réalisatrice par rapport aux différents points de leur manifeste de 1995. Ils s'en sont particulièrement pris à la musique qui n'aurait pas fait l'objet d'un enregistrement entièrement en direct. Susanne Bier s'est défendue en disant que la musique provenait du walkman de l'actrice Sonja Richter ! Elle n'avait donc pas transgressé les sacro-saintes règles. Ouf !
Ces niaiseries mises à part, Open Heats (traduction française de Elsker dig for evigt, on appréciera) est un très beau film. Et pourtant, c'était loin d'être gagné d'avance avec un scénario mélodramatique à souhaits : ils sont jeunes et beaux, ils s'aiment ; un accident stupide brise leurs vies ! Ils constituent une famille somme toute heureuse, avec leurs trois enfants ; un accident idiot brise leurs vies ! Il frise la quarantaine et tombe amoureux d'une jeune femme de 23 ans ! Stine, en pleine crise d'adolescence, est forcément désagréable comme dans les idées reçues les plus éculées sur le sujet. Bref l'ensemble aurait pu se fondre en quelque chose de fort indigeste. Il n'en est heureusement rien, la magie de la réalisation et le tact de Susanne Bier transcendent l'ensemble. Elle est d'ailleurs bien aidée par un scénario et des dialogues justes, où les petits détails vrais, associés à un humour, certes souvent noir, aident à faire accepter le tout. D'une situation très quotidienne, on pourrait presque dire banale, hélas !, elle fait une œuvre riche et subtile. Elle réussit tout particulièrement à donner une grande richesse psychologique à ses personnages, à nous les faire tous comprendre et accepter, dans leurs qualités comme dans leurs défauts. Le film questionne également sur des aspects de plus en plus présents dans notre société, sur nos vies que nous pensons pouvoir totalement contrôler, sur la difficulté de réagir quand la catastrophe arrive, sur l'aspect imprévisible de ce qui peut alors se passer. Il y a dans Open Hearts des éléments d'un réalisme implacable (la cruauté de Joachim afin qu'on en vienne à ne plus s'apitoyer sur son sort mais, d'un autre côté, il sait bien que les visites de Cecilie se feront de plus en plus éloignées au fil du temps, pour ne citer que cet exemple) mais également tout un aspect positif, chaque personnage garde en lui le désir de s'en sortir, de trouver des solutions, même si celles-ci n'apparaissent pas vraiment évidentes à la fin du film. Á chacun de réfléchir et d'envisager comment vont ou peuvent évoluer Cecilie, Niels, Marie, Stine et les autres après ce qui vient de leur arriver, avant ce qui va peut-être nous arriver.