Avec De l’histoire ancienne, Orso Miret signe un premier film où l’on sent déjà la patte d’un véritable auteur. Le choix des comédiens est impressionnant de justesse avec Brigitte Catillon, Olivier Gourmet (La Promesse) et une révélation : Yann Goven dans le rôle de Guy, un homme qui perd son père, un ancien héros de la Résistance, et qui sombre dans un délire envahissant en étant en proie aux questionnements, au doute et au sentiment de la culpabilité. Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un film historique, ni d’un film sur l’Histoire.
Déjà, lorsque vous étiez à la Femis en 1989, vous vous intéressiez à la Résistance, au rapport de notre société avec le passé et à la manière dont celui-ci se mêle au présent. Pourquoi une telle obsession ? D’un point de vue personnel, familial, c’est vrai que je me sentais concerné et puis on vit dans un pays où il me semble qu’il suffit de s’intéresser à l’actualité pour voir que ces événements ont encore un poids très lourd sur le présent, même soixante ans après ; on a pu le vérifier il n’y a pas si longtemps avec les derniers grands procès de l’Occupation et avec le procès Papon en particulier. Je me sentais concerné par tout cela parce que c’est l’histoire de mon pays. Du point de vue du cinéma, il est intéressant d’aborder un tel sujet parce que cela renvoie à quelque chose qui n’est plus, à une époque du passé, et donc à quelque chose que l’on ne peut pas filmer sauf à faire des reconstitutions ou des flashs back que je m’interdisais. Je me suis donné une sorte de challenge : comment filmer tout cela au présent parce que justement cela se manifeste dans le présent et que ce n’est pas que du passé ? Cela fait beaucoup de raisons pour avoir eu envie de faire ce film : des raisons personnelles, des raisons politiques et des raisons de cinéma. Il y a un malentendu sur la Résistance. Comment l’expliquez-vous ? L’image a été complètement brouillée, récupérée par tous les bords politiquement, que ce soit par De Gaulle ou par les communistes. Ils ont fondé leur légitimité dans la Résistance. Ils l’ont instrumentalisée, ils s’en sont servie. Du coup, l’histoire a été longue à s’écrire et quand il reste des témoins, c’est difficile de faire l’Histoire ; on est confronté à la mémoire de chacun. Et puis, comme le père dans mon film, je pense que nombreux ont été ceux qui ne savaient pas quoi faire de leur image de héros, notamment par rapport à leurs enfants. Le plus simple était de ne plus rien leur dire, de ne pas leur donner de leçons, de les mettre devant leur responsabilité. L’autre chose est que l’on a l’image de l’ancien combattant bavard, arborant ses médailles, racontant ses souvenirs de guerre ; ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde. Pour ceux qui ont connu des expériences limites comme la déportation ou la torture, il est difficile de s’exprimer. Ce que l’on oublie trop - il ne s’agit pas de mythifier d’une autre façon la Résistance - c’est que pour la plupart, c’était leur jeunesse - ils avaient 15-25 ans. Ils vivaient cela comme une aventure, sans mesurer toujours les conséquences de leurs actes. Il y avait une fraternité et, par ailleurs, c’était aussi un combat politique. Ils étaient très durs entre eux. Ce sont souvent les poètes qui en ont le mieux parlé. René Char qui était au maquis en parlait comme d’une expérience humaine, morale et esthétique extraordinaire. Au sortir de la guerre, il emploie cette expression : “l’épaisseur triste du réel”. C’était paradoxal, ils étaient déprimés par la libération. Le Comité National de la Résistance a espéré changer la France, la vie politique, la vie tout court, mais ce programme n’a pas tenu, on est revenu au système des partis et tous étaient déprimés. Yann Goven que l’on voit pour la première fois au cinéma est étonnant. Comment l’avez-vous découvert ? Je voulais que ce soit un inconnu. Je n’aime pas les jeunes comédiens marqués par des rôles précédents. Je voulais me laisser surprendre aussi parce que c’est un personnage proche de moi, d’un moment de ma vie, de ma personnalité. Je voulais le construire dans le casting. Photo, c.v.... On en a vu des centaines et puis on est tombé sur une photo floue d’un type qui baissait la tête. Il n’y avait rien dans le c.v., un peu de théâtre, mais très mal présenté. Cela nous a intrigué parce que pour se vendre aussi mal, cela en disait déjà beaucoup sur sa psychologie, sur son rapport à l’image. Cela m’a donné envie de le rencontrer et tout de suite il s’est passé quelque chose : je lui parlait du sujet et il ne disait pas un mot. Il avait un espèce de truc bizarre. Il n’était pas là. Il avait cette présence-absence du personnage de Guy. Et il s‘est révélé un excellent comédien. Personnages en amorce comme s‘ils étaient espionnés, fluidité des mouvements de caméra, ellipses, contrastes entre l‘ombre et la lumière... Votre film est très écrit. Est-ce que tout cela était défini avant le tournage ? Un film se construit à tous les stades de la réalisations. Il y a des choses préméditées et d’autres qui sont apparues au tournage et au montage. Parfois il y a des choses qui sont des références à des cinéastes que j’ai aimés du point de vue de la mise en scène et du cadre. C’est vrai que j’aime beaucoup Antonioni. Il filme toujours en retrait avec une présence fantomatique de la caméra, pour une raison simple, c’est que le sujet aussi s’y prête. Dans l’Avventura, il est question d’un fantôme, celui de la deuxième femme, la troisième partie du trio, qui est absente et qui les hante. C’est des choses auxquelles j’ai réfléchi par rapport à mon propre sujet, à la figure du père, sans forcément copier des plans. Le début du film est un souvenir très transposé de l’Hôtel des Invalides, un documentaire de Franju. Pour votre prochain film, vous sentez-vous libéré du passé ou avez-vous encore des choses à explorer par rapport à ce thème ? Il y aura des rapports au passé mais le point commun avec De l’histoire ancienne sera de montrer un individu pris dans une société qu’il essaye de comprendre, qu’il essaye de déchiffrer, qui est pris dans un travail d’interprétation, un peu comme Guy par rapport à son père ou à l’Histoire. Ce sera sûrement un personnage pris dans la même activité frénétique d’interprétation qui n’arrive pas bien à saisir le monde qui l’entoure.
Extrait d’un entretien avec Orso Miret
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Son site : Ecrivain de votre vie)