Formidable satire de la société des années Trente, regardée de travers à sa sortie et réhabilitée grâce aux mouvements contestataires qui ont suivi. On passe un délicieux moment dans ces couloirs où on se cause, joli remue-ménages dont le libraire Edouard Lestingois est à l'initiative. Il scrute à la longue-vue les bonnes gens qui passent et n'hésitera pas une seconde à sauter à l'eau, sous l'oeil admiratif des curieux. A retenir, cette scène hilarante où Boudu soulève soudain de terre son bienfaiteur que d'aucuns veulent décorer... Et aussi la philosophie des dernières images (quelle modernité de moeurs !), mais il y a mille autre choses dans ce film. Et si la liberté c'était aussi boire de l'eau plutôt que du vin, ou bien chercher une fleur difficile à cueillir, entre un costard des grands jours et de vieilles hardes... C'est à la fois plein de fiel et toujours poétique. Tout le monde est un peu un mélange des deux univers décrits, le fait est qu'on peut toujours s'identifier au libraire, une position modérée quant au degré d'acceptation de notre trouble-fête... Aimer son prochain, certes, mais qui garderait longtemps sous son toit un individu qui se croit autorisé à devenir insultant ?... En même temps, l'admirable interprétation de Michel Simon ne peut que toucher, Boudu affiche ce naturel des enfants, la réflexion adulte en prime et il ne s'embarrasse de rien, surtout pas d'illusions. En 2007, à l'heure où, faute de vouloir financer la dérive sociétale, la charité revient sur le devant de la scène, ce petit chef-d'oeuvre en révèle bien des aspects.