"Les yeux noirs", est une oeuvre comme on en fait qu'exceptionnellement. Elle se raconte comme une longue farce, celle de la vie où la frivolité et l'exubérance se trouvent entrecoupées de moments profonds, mais vite emportés par le tourbillon de la ronde qui tourne sans répit. Mastroianni y est remarquable. Il eut l'intelligence d'épouser une femme riche, la lâcheté de laisser s'en aller son seul amour, une frêle Russe avec un petit chien. Bien après la rencontre dans une ville d'eau, il part la retrouver en Russie en tant que négociant. Mais rien n'est plus commme avant, le bonheur est là, mais il le laisse passer. Dans ce film une scène bouleversante. Une scène dans laquelle le temps s'arrête, où le souffle demeure suspendu comme si la vie entière d'un être se résumait à quelques instants. Et un sentiment prémonitoire avertit que tout, tout s'arrête ici ; le reste de la vie sera la répétition sans cesse imaginée de ce moment, l'avenir, une longue attente pour une utopie que l'on appelle amour. Il s'agit de cette scène où, pudiquement Nikita Mikhalkov filme la chambre qui va accueillir l'instant d'infini des deux amants. Mastroianni se lève, la jeune femme se tourne vers le mur. Et dans ce tourbillon d'images et de couleur que sont "Les yeux noirs", le temps s'arrête ... Doucement, elle commence à tracer sur le mur des traits humides qui sont à peine, une écriture, une douce plainte, le dessin de ses larmes ... Ceci paraîtra à certains pur détail. C'est pourtant une image qui demeure en moi, profondément ancrée, comme la fugacité du bonheur dans l'étendue désespérante de la vie.